Grimper

CHAPITRE III

DÉCOUVERTE DE LA VALLÉE AUX POSSIBILIT­ÉS INFINIES

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Le Yosémite, c’est bien sûr El Capitan, la paroi la plus célèbre du monde, mais en arrivant sur place, on s’aperçoit rapidement que le mythe dépasse largement la seule question des bigwall de haute difficulté. Le Yosemite du point de vue des marins, nos capitaines !

Nos deux capitaines, Loïc Morize et Maud De Hemptinne, tous deux belges, sont ceux à qui nous devons la réussite de ce voyage. Baignés dans le milieu de la navigation depuis leur plus jeune âge, ce sont eux qui ont guidé Samsara de port en port jusqu’à destinatio­n. Lâcher leur vie et leur boulot, effectuer des mois de travail dans un port de béton catalan pour réparer/préparer le bateau, endosser la responsabi­lité et les risques d’un équipage de débutants à travers les océans, initier des grimpeurs malpropres aux plaisirs de la navigation, Maud et Loïc ont décidément tout donné pour mener à bien cette entreprise ! Également passionnés de montagne et pratiquant la grimpe, ils avaient bien l’intention de profiter eux aussi du Yosemite.

Nous leur avons demandé leurs premières impression­s sur cette vallée et ce qu’on peut y trouver.

Capitaine Loïc

“Le Yosemite destinatio­n finale… « j’ai pleuré quand j’y suis allé la première fois ». « Vous vous imaginez même pas à quel point c’est incroyable » … J’en ai entendu des choses sur le Yosemite avant d’y arriver. Mes attentes étaient donc très élevées ! Et finalement… Un fond d’écran Apple, on flotte dans la vallée comme dans un décor de cinéma avec l’impression de ne pas être à la bonne place. Puis on s’y fait, on se rend compte de l’énorme potentiel de l’escalade dans le coin, on fait les liens avec l’histoire des pionniers de ce sport, et, bien sûr, on redoute les rangers. Quel bonheur d’être arrivé au bout de la route pour un petit temps. Plus qu’à se retrousser les manches (pas trop, parce que la fissure, ça fait mal) et progresser pour pouvoir profiter au mieux de ce Disneyland de la grimpe !”

Capitaine Maud

“C’est le coeur en fête qu’on rejoint le Yosemite. Tard la nuit, après un autre trajet éprouvant. Soulagée ? Oh oui. Mais surtout bienheureu­se d’enfin découvrir ce petit paradis. Mille odeurs de pins, d’humus et de bois nous saluent et nous enlacent. En découvrant la vallée, j’ai l’impression

d’être entrée dans un paysage qui n’existe que sur les cartes postales. Après les décors désertique­s traversés ces derniers mois, le Yosemite me semble être une oasis de vie, beau à tirer des larmes à une pierre. À chaque fois qu’on glisse nos mains meurtries dans des fissures pour prendre de l’altitude, monter encore de quelques centaines de mètres, on admire des fresques différente­s. Fresques d’acrylique en journée ou d’aquarelle sous le soleil couchant. Que du plaisir.”

Un demi-nose Par Soline

Les semaines dans la vallée se succèdent et les petits projets laissent place aux grands. Les tentatives pour se mettre à l’aise en fissure n’étant guère concluante­s, il m’a semblé que le moment de mettre les mains sur El Capitan était venu. Mon idée était de réaliser une

montée de repérage pour un futur projet. Une seule personne a répondu à ma propositio­n de cordée, et cette personne n’était autre que Clovis Roubeix. Aussi inexpérime­nté que moi en Big Wall, ce dernier fait tantôt preuve d’une grande confiance en escalade trad, tantôt perd pied en rentrant dans une forme plus ou moins atténuée de panique. L’idée de partir avec Clovis dans une voie engagée, effrayante et dénuée de magnésie ne me mettait pas particuliè­rement à l’aise. Je lui ai donc proposé de partir pour trois jours dans le Nose, la voie la plus parcourue d’El Cap.

C’est au milieu de la deuxième journée que l’histoire se gâte, alors que le bien-être et la sérénité de la veille ont laissé place à l’inconfort du vide et de l’inconnu, réunis dans une boule venue se loger dans mon ventre. Je m’équipe pour partir dans un beau dièdre à doigt finissant en fissure large et, à mon habitude, organise l’équivalent de huit racks et demi sur mon baudrier pour grimper les 25 premiers mètres en protégeant deux (quatre) fois trop. Je remonte une petite cheminée et place une dernière protection m’inspirant n’importe quoi sauf de la confiance, dans une fissure interne évasée et émiettée. Je lève mon regard, distordue par la peur, sur cet offwidth, impossible à protéger, qui semble si raide. Je regarde encore plus haut et l’ampleur du mur se dressant devant moi me fait déglutir. Impuissant­e et navrée, je ne laisse même pas à mon cerveau l’option d’imaginer essayer. Je me tourne vers Clovis, qui analysait les rappels depuis déjà quelque temps. « Allez déséquipe, on se casse d’ici. » Un vent à coucher Samsara s’est levé et menace de faire tourner nos rappels au boudin. La première partie de la descente est aussi hasardeuse qu’un jeu de l’oie. Nos cordes partent dans tous les sens et vont flirter avec des coinceurs en décomposit­ion dans l’antre de profondes fissures. Descendre les 40 kg du sac est également plutôt intéressan­t. Nous rejoignons enfin une ligne de rappel plus évidente qui nous conduit jusqu’au sol. Seb et Nic Martinez, qui passaient par là, nous accueillen­t. Stupéfaits quant à notre marche arrière, ils nous font comprendre que nous étions en réalité très bien partis et manifestem­ent plus proches du sommet que du sol… Il faut dire que ce n’est pas l’impression que ça donne quand on y est !

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