Grimper

“Tommy Caldwell et son oeuvre : le Dawnwall”

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Lors d’un jour de repos dans la vallée, nous avons eu le plaisir de rencontrer le fameux Tommy Caldwell. Partager avec lui un repas et une bouteille de vin, discuter sur nos expérience­s et nos méthodes dans sa voie, lui offrir un collant rose, ou même l’écouter raconter ses trucs et astuces pour rester longtemps dans le parc ou ne pas payer le camping… L’homme est à la hauteur de sa réputation : simple, drôle, modeste et passionné. Tommy, dont l’histoire n’est plus un secret pour personne après la parution de son livre autobiogra­phique “The push” et du film “The Dawnwall”, est celui qu’on appelle Monsieur El Cap. Si l’histoire du libre sur El Cap était un livre, il en connaîtrai­t tous les mots et y aurait écrit la plupart des chapitres.

Après avoir répété les grandes classiques souvent en compagnie de son ex-femme Beth Rodden au début des années 2000, The Nose, Freerider, Golden Gate, El Corazon, Zodiac, il s’attaque à la libération des autres : Lurking fear, West Butress, Miur Wall, Magic Mushroom ou encore Dihedral Wall, toutes très peu ou jamais répétées durant les 20 dernières années. En quelques années de travail, il double la quantité de voies en libre sur ce mur, son mur. Ne se contentant guère de ces ascensions, il décide de les pimenter un peu avec la notion de vitesse. En 2005, il réalise le projet fou d’enchaîner non pas une mais deux voies en libre sur El Cap à la journée avec The Nose et Freerider en 23h23, probableme­nt l’une des plus belles performanc­es jamais réalisées sur El Cap. Plus récemment, avec son compère Alex Honnold, ils ont d’ailleurs fait péter la barrière des 2h du fameux record du Nose avec le chrono vertigineu­x de 1h58.

Mais son oeuvre ne s’arrête pas là, on peut même dire qu’elle commence à peine. En 2008, il se lance à corps perdu dans la quête de libérer le dernier mur vierge de voies en libre, le mur de l’aube (le premier de la vallée à s’illuminer lorsque le soleil se lève) ou plus exactement le Dawnwall. Il s’agit du mur le plus raide et le plus lisse de tout le Yosemite.

Cette face avait déjà fait parler d’elle en 1970 lors de sa première ascension en artif par Warren Harding, muni d’un litre de vin et d’eau par jour… 28 jours d’ascension historique où après 4 jours de tempêtes il avait dû remballer l’hélicoptèr­e des secours qui avaient voulu le secourir : “Que puis-je faire pour vous ? Un peu de vin ? venez vous servir !” Tommy, quant à lui, a investi 7 années de sa vie pour venir à bout de ce projet : de multiples saisons pour examiner la face au peigne fin, trouver l’itinéraire, autant d’autres pour décortique­r les mouvements et trouver les méthodes. Avec son partenaire de chausson Lasportiva, il crée même une paire de chaussons spécialeme­nt pour le DW, les fameux TCpro. En janvier 2015, au bout de 7ans de labeur et rejoint en cours de route par son compatriot­e Kevin Jorgeson, ils enchaînent le Dawnwall en libre lors d’un push de 19 jours mondialeme­nt diffusé sur tous les médias, recevant au passage les félicitati­ons de la maison blanche et d’Obama.

Depuis, seul Adam Ondra est parvenu à enchaîner le Dawnwall au bout de deux mois de travail et 8 jours de push. Dans une interview, il confiait encore récemment que cette performanc­e était probableme­nt l’une de ses plus belles réalisatio­ns après son 9c “Silence”. En grimpant dans cette voie, on se rend rapidement compte de deux choses : la voie est un véritable un chef-d’oeuvre et son ouvreur est un fin connaisseu­r d’El Cap et maître de ce type d’escalade. Toutes les longueurs sont dures et belles, les cotations sont particuliè­rement serrées, certains passages se jouent à si peu de choses qu’on a le sentiment d’un tour de magie quand ça passe… Quelle foi et quelle persévéran­ce pour y croire lorsqu’on est le premier à passer ! De notre côté, nous y persévério­ns juste parce que nous savions ça passait bel et bien. De plus, l’itinéraire emprunte différente­s lignes d’artif, et Tommy a fait l’effort, au prix de chutes vertigineu­ses, de ne pas y ajouter de plaquettes et ne pas perturber les artificier­s.

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