NOURRIR LA BÊTE. PORTRAIT D’UN GRIMPEUR.

AL AVAREZ. ÉDITIONS MÉTAILIÉ

“Feeding the rat”, c’est le titre original de l’ouvrage de Al Alvarez, poète et écrivain anglais, paru il y a plus de 30 ans. Une biographie de Mo Anthoine, un ami, grimpeur et alpiniste anglais de génie qui a couru avec passion les abîmes de granite du Pakistan comme les «Sea Stacks» trempés et battus par les embruns océaniques. La parution de la traduction française l’été dernier a surtout été relayée dans les milieux montagnards : Mo Anthoine était sur les pentes de l’Ogre avec les deux monstres Scott et Bonington lors de l’une des épopées les plus hallucinantes de l’histoire de l’alpinisme. Mais à l’époque de Mo, qui plus est au pays du Trad, l’escalade et l’alpinisme sont des choses aux frontières ténues, et Mo était avant tout «a climber» : les chapitres sur la grimpe galloise et sur les monuments du monde vertical britannique, comme la tour du Old Man of Hoy perdue dans les îles Orcades écossaises sauront séduire les grimpeurs curieux autant que les montagnards. Il a traîné ses grolles du Pays de Galles à la Nouvelle Zélande, en passant par des tepuys perdus dans la jungle sud-américaine, et égrainant les premières derrière lui pour autant d’histoires à raconter. Plus encore que le récit de ses aventures en tous genres, c’est la philosophie de la grimpe, du plaisir, de la cordée - « un bon moment entre copains avec l’attraction des lieux reculés et des cultures différentes» - qui ont fait de ce bouquin un ouvrage universel aujourd’hui devenu un classique de la littérature «alpine» dans le monde anglophone. À la sempiternelle question de «pourquoi grimper ?», «pourquoi gravir des montagnes ?», Anthoine avait sa formulation, plus personnelle, plus honnête et bien moins grandiloquente que le «Because it’s there» de George Mallory partant pour l’Everest : Il faut nourrir la bête ! La bête de l’auteur, Al Alvarez, est vite rassasiée, et se contente de quelques ascensions en second, de temps en temps. Il en faut plus pour Mo, il lui faut son content d’aventures, d’efforts et d’inconnues pour qu’il rentre au Pays de Galles. Heureusement pour lui, la bête est exigeante, intransigeante sur l’éthique, mais aussi sage et lucide : il faut savoir ne pas être trop gourmand en montagne. Plus que la renommée, l’ego ou la compétition, il y a la quête de l’aventure, de l’esthétisme et du plaisir qui nous font courir les parois. De quoi nourrir la bête.