Grimper

GÉANTS DE CHAIR

Nalle Hukkataiva­l, le précurseur

- Big Island (Soudain Seul),

Premier homme dans le 9e degré avec 5 ans d’avance, libérateur entre beaucoup d’autres d’Understand­ing(8C),

Livin’ Large (8C+), Finish Line

(8C), Bugeleisen sit (8C/+), Momentum (8C) et bien sûr

Burden of Dreams (9A), soit une part non négligeabl­e des blocs les plus beaux et les plus purs de la planète, Nalle Hukkataiva­l est considéré par ses pairs comme le GOAT (geatest of all time) incontesté du bloc naturel. Nalle, c’est une tenue de prises à faire pâlir, un mental d’acier et des années de pure dévotion à la cause du bloc, passées à parcourir le monde pour en déterrer les joyaux sur lesquels les meilleurs d’aujourd’hui viennent faire leurs classes. Nalle, c’est une bataille à la vie à la mort contre le Lappnor Project, une des plus grandes épopées de l’histoire de l’escalade, un combat entre deux géants, l’un de chair et l’autre de pierre, qui a tourné à l’avantage du premier, mais à quel prix ! En donnant naissance à Burden of Dreams en 2016, le Finlandand­ais, comme vidé de ses forces après avoir donné l’ultime coup d’épée, a ralenti sa course de l’extrême pour ne plus ou presque évoluer que dans l’ombre. Aujourd’hui, il a coupé les Internets et plus personne ne sait ni ce qu’il fait ni où il est. Certains l’aperçoiven­t parfois sur un spot de bloc, comme une apparition, signe qu’il grimpe encore. Mais continue-t-il au plus haut niveau ? À ouvrir des blocs majeurs loin des feux de la rampe ? Mystère.

Simon Lorenzi, le mercenaire

N’importe où dans le monde, si un bloc extrême est ouvert, le bloc tremble. Il tremble parce qu’à tout moment, Simon Lorenzi peut surgir et le détruire. Le Belge, en effet, semble être la synthèse en un seul homme de toutes les qualités qu’il faut à un spécialist­e du bloc naturel. Des doigts, des biceps, du gainage, un penchant naturel pour les stratégies d’optimisati­on si importante­s dans cette discipline (c’est lui, rappelez-vous, qui avait eu l’idée de mettre un livre sous sa genouillèr­e pour l’épaissir) et une déterminat­ion à réussir aux limites de la névrose. Alors que les deux Bleausards Camille Coudert et Nico Pelorson étaient à la lutte pour la première ascension du départ assis de

il a débarqué de Belgique pour poser dans le bloc un siège dont il a le secret, un siège du style : « ce sera le bloc ou moi mais à la fin il n’en restera qu’un », pour finalement chiper cette première de prestige à nos deux Français. En Suisse, idem, rien n’a résisté à Simon, ni le départ bas d’Off the

Waggon (8C+), ni Alphane (9A), dont il a signé la 4e ascension sans laisser de place au suspense. Simon Lorenzi, il l’a prouvé, est taillé pour casser du bloc naturel comme un mercenaire exécuterai­t méthodique­ment des contrats. Et si vous n’entendez pas trop parler de lui ces prochains mois, sachez que c’est temporaire, il met le rocher en stand-by quelque temps pour essayer de se qualifier pour les JO, mais on sait d’avance que son retour sur le support minéral fera très mal.

Daniel Woods, l’obsessionn­el

Des grimpeurs de 9A, Daniel Woods est avec Nalle Hukkataiva­l l’un des deux seuls de cette liste à faire partie de l’ancienne génération. Il est aussi, des dires de ceux qui ont grimpé avec lui, peut-être le plus fort physiqueme­nt mais aussi le moins fin technicien de cette liste. De là à affirmer que Daniel Woods est un bourrin, il n’y a qu’un pas ! Mais tout de même, certains se souviennen­t peut-être, pendant le confinemen­t, quand tout le monde s’amusait à faire une traction à un bras sur une barre et se maintenir en blocage le temps de manger une banane de l’autre main, lui avait fait de même, mais sur une arquée de 15mm, histoire de montrer qui était le patron.

Pour en revenir à la grimpe, Daniel a fait partie des chefs de file du bloc naturel pendant une quinzaine d’années, libérant et répétant des 8C à tour de bras et se posant même comme un pionnier du 8C+, avec notamment Hypnotised Mind (2010) et The Process

(2015), deux des premiers passages dans la cotation. Mais alors que la porte du 9e degré commençait à être enfoncée, allait-il réussir à prendre la tournant des années 2020 ?

C’est chausson aux pieds, en fin d’hiver 2021, que Daniel a répondu à cette question en libérant The Return of the

Sleepwalke­r, au terme d’un combat mental énorme qui l’a amené aux portes de la folie, seul face au bloc dans le désert pendant plus d’un mois. Au plus haut niveau en bloc naturel, Daniel Woods a encore son mot à dire.

Nico Pelorson, l’arqueur fou

Nico Pelorson est un talentueux, un vrai. Il a l’escalade et le sens du mouvement dans le sang. Surtout, dès qu’il peut passer le pouce sur l’index, il devient invincible. Peut-être sont-ce les gènes de Grenoble, cette terre de l’arquée, qui s’expriment ; toujours est-il que Nico n’est jamais en difficulté sur les croutes. Jamais.

Vous voulez savoir le plus comique de l’histoire ? C’est dans un style complèteme­nt opposé, dans un bloc long sur plats fuyants impossible­s à arquer, Soudain Seul pour ne pas le nommer, que Nico est allé frayer avec le 9e degré. C’est dire le potentiel de l’animal si un jour, au détour de ses promenades en forêt de Fontainebl­eau, il tombe sur un bloc vraiment dans ses qualités premières, à savoir les grands blocages sur arquées fuyantes, style dans lequel il est absolument imprenable. Nico a aussi la particular­ité d’avoir décoté les deux 9A bloc qu’il a réussis. Le premier, No Kpote Only, coté 9A par Charles et estimé à 8C+/9A par Riohey Kameyama, il l’a descendu à 8C grâce à une nouvelle méthode un rien plus facile. Le second, Soudain Seul, il l’a ramené à 8C+ car jugé pas suffisamme­nt au-dessus des 8C qu’il avait enchaînés auparavant.

Vous voulez savoir le plus comique de l’histoire (bis) ? Avec ces décotes, Nico a écopé de la double peine : non seulement il s’est privé des lauriers de deux réalisatio­ns en 9A, mais en plus, il a perdu toute sa crédibilit­é d’un coup aux yeux du monde de la grimpe, qui le considère maintenant comme un décoteur fou en plus d’être un arqueur fou. Ça lui apprendra à essayer d’être honnête !

Camille Coudert, l’intellectu­el

Parmi les bloqueurs les plus forts, Camille Coudert a un profil atypique parce qu’il a commencé l’escalade relativeme­nt tard, après 15 ans, ce qui fait que privé du biberonnag­e à l’escalade habituel, il est très mauvais en « sensations ». Dépourvu de cette grimpe instinctiv­e, Camille, au premier abord, peut ne pas paraître si fort que cela. En fait, le plus gros problème, pour lui, est de

trouver comment forcer dans un bloc, et une fois ce détail réglé, il apparaît quasiment invincible. Bras, doigts, pecs ; physiqueme­nt, Camille Coudert est une brute. Il peut tracter avec 80 kg de lest, faire des tractions à un bras sur des lattes de 10 mm et ne touche presque jamais ses limites physiques dans un bloc. Le concernant, à l’exception de quelques horreurs de Charles Albert dans lesquelles il ne tient pas les prises, la question de la fibre musculaire est pour ainsi dire réglée. Tout est un problème technique, cérébral pourrait-on dire, et il a su prouver qu’il était capable de relever avec brio ce défi intellectu­el en signant la 3e ascension de Soudain Seul, à Fontainebl­eau, son lieu quasi exclusif d’expression. Le prochain gros challenge pour sa matière grise : Imhotep assis, un projet futuriste de la forêt au pied duquel il a posé les crash pad avec son pote Nico Pelorson. Affaire à suivre.

Will Bosi ou l’art de la confiance

Le Britanniqu­e Will Bosi a une spécialité : se pointer sur un mouvement, un bloc ou une voie extrême, y arriver super bien et jouer la surprise du gars qui ne s’attendait pas à être aussi fort. On n’est plus dupe, Will ! Tu peux arrêter ton petit manège, on a compris que tu es un mutant, et toi aussi tu l’as compris !

Si on a pu douter un instant des capacités de Will Bosi en bloc naturel, c’est que jusqu’à récemment il était spécialisé dans la voie, que ce soit en compétitio­ns où il s’est hissé jusqu’au pied des podiums de Coupe du Monde, ou en falaise avec une première ascension en 9b (King Capella à Siurana). Mais on sentait déjà qu’il avait de la force doigts à revendre, et son séjour en République Tchèque en 2022, sur les terres d’Adam Ondra, a révélé au grand jour ses capacités en bloc naturel lorsqu’il a flashé le 8B+ Charizard. Les mois qui ont suivi, ça a été le strike. Will a commencé par libérer chez lui une véritable horreur, Honey Badger, qu’il a estimé à 8C+, avant de filer dans le Tessin pour ne faire qu’une bouchée d’Alphane (9A), en seulement 10 séances, ce qui est très peu pour un bloc de ce niveau.

À titre informatif, Simon Lorenzi, qui l’a vu grimper au même titre que la plupart des autres mutants de la discipline, estime que Will est probableme­nt le bloqueur actuelleme­nt le plus efficace du monde, c’est tout dire.

Aidan Roberts, le vérin hydrauliqu­e

Bien que s’étant rapidement distingué par une tenue de prise quasi surhumaine, Aidan Roberts, peut-être pas assez complet, n’a pas vraiment réussi à percer en Coupe du Monde. Tant mieux ! Il a ainsi pu se consacrer à sa passion première : le bloc naturel. Chose amusante, en suivant de loin la trajectoir­e d’Aidan, le monde de l’escalade l’a vu proposer des blocs extrêmes jusqu’au 8C+ (notamment à Lakeland avec le bloc Superpower­s), chez lui en Angleterre, et ce avant qu’il soit allé faire ses preuves sur des références mondiales. Sans points de repère, on a alors pu se demander ce que valait vraiment cet Aidan Roberts. Était-il aussi fort que les cotations de ses ouvertures (et la taille démesurée de ses avants bras) le laissaient supposer ? Réponse : oui. Peut-être même plus fort encore, en témoigne son ascension d’Alphane, la deuxième après Shawn Raboutou, mais aussi celle du départ assis de Vecchio Leone en 8C+ (que Shawn n’a pas réussi !), et de la magnifique proue Isles of Wonder en 8C+ également.

Shawn Raboutou, le nouveau patron

Depuis quelques mois, Shawn Raboutou a changé de sphère. Il était le jeune qui s’amusait ; il est devenu le patron du bloc mondial. De Didier et Robyn, deux parents qui ont fait les grandes heures de l’escalade dans les années 90, il a hérité d’une génétique solide doublée d’un conditionn­ement à l’escalade dès ses plus jeunes années, qui l’ont vu sauter directemen­t de la poussette sur les murs des falaises de Saint-Antonin Noble Val. Depuis la fin de son adolescenc­e, il s’est ensuite amusé à grimper des blocs extrêmes aux quatre coins du monde, jusqu’au 8C+, mais sans jamais se prendre au sérieux ni perdre la fibre de l’amusement, tout en ne communiqua­nt que très peu, voire pas du tout, sur ses réalisatio­ns. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, le jeune mutant n’est plus si jeune (26 ans), et il a décidé d’arrêter de rigoler pour devenir grimpeur pro et, surtout, pour prendre les rênes du haut niveau en bloc naturel. Comment cela ? D’abord en libérant deux projets en probable 9a, Alphane et Megatron, puis en entreprena­nt une tournée mondiale du 9A bloc pour se faire la main et construire des bases solides à sa crédibilit­é, condition indispensa­ble pour écrire l’avenir de la discipline. Première cible : Burden of Dreams, évidemment, dans lequel l’Américain est justement à la bagarre au moment où s’écrivent ces lignes.

 ?? © Arthur Delicque ?? Allô maman 9A.
© Arthur Delicque Allô maman 9A.
 ?? © Alexandra Kahn ?? Encore un caillou qui croit qu’il sera plus solide que mes biceps.
© Alexandra Kahn Encore un caillou qui croit qu’il sera plus solide que mes biceps.
 ?? © Gilles Charlier ?? Préparatio­n minutieuse à l’exécution du contrat.
© Gilles Charlier Préparatio­n minutieuse à l’exécution du contrat.
 ?? ?? GOAT
GOAT
 ?? © Matty Hong ?? Le patron du bloc mondial, ça ?
© Matty Hong Le patron du bloc mondial, ça ?
 ?? © Arthur Delicque ?? « À l’école j’ai toujours aimé les Maths »
© Arthur Delicque « À l’école j’ai toujours aimé les Maths »
 ?? © Sam Pratt ?? « Vous saviez que j’étais aussi fort ? »
© Sam Pratt « Vous saviez que j’étais aussi fort ? »
 ?? © Sam Pratt ?? Toujours prendre soin de son outil de travail.
© Sam Pratt Toujours prendre soin de son outil de travail.

Newspapers in French

Newspapers from France