Grimper

HYPOTHÈSE I

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Les jeunes sont tout simplement plus forts, et donc ils font exploser le niveau

Même si le premier 9A nous vient de Nalle, et que Daniel Woods est allé chercher le sien à Red Rocks, impossible de nier que cette révolution du 9e degré est l’oeuvre d’une nouvelle génération de bloqueurs. Une sorte de fournée des années 2020 composée de Shawn Raboutou, Simon Lorenzi, Aidan Roberts, Will Bosi, Nico Pelorson, Camille Coudert et quelques autres dont une armée de Japonais si on élargit un peu le spectre. On peut donc raisonnabl­ement se demander si la rupture que l’on cherche à expliquer n’est pas tout simplement due à une explosion du niveau des grimpeurs. Et il semblerait, en y regardant de près, qu’il y ait un peu de ça. En fait, on imagine en disant cela que les jeunes broieraien­t plus les prises et tracteraie­nt plus fort que leurs aînés, mais la réalité est beaucoup plus subtile. Il semblerait plutôt que les nouveaux soient un peu plus complets, capables de mutualiser les qualités physiques, technique et tactique pour les exprimer ensemble, là où elles étaient éparpillée­s entre différents grimpeurs auparavant. Sur ce point, nos trois interlocut­eurs, Charles, Clément et Simon, sont unanimes.

Selon Charles, « les nouveaux ne sont pas plus forts, mais ils sont de meilleurs grimpeurs ». Pour lui, il y aurait eu une culture du Stakhanovi­sme dans les années 90 et début 2000, suivie d’une culture du talent depuis la fin des années 2000 où les meilleurs, ben que parfois très forts physiqueme­nt (confère Daniel Woods ou Jimmy Webb), ne cherchaien­t pas à s’entraîner ailleurs que sur les blocs, tout en préférant surfer au maximum sur leurs qualités. Aujourd’hui, peut-être à cause de l’essor de la compétitio­n qui impose de ne plus avoir de point faible pour réussir, les deux cultures, celle du talent et celle du stakhanovi­sme, ne semblent plus s’exclurent mutuelleme­nt : on les retrouve réunies chez de plus en plus de grimpeurs.

Clément Lechaptois va même plus loin :

« Je crois que ceux de la nouvelle génération sont plus complets. Si tu prends Daniel (Woods) par exemple, il a une force de chien, par contre, en qualité d’escalade, il y a plein de trucs qu’il ne sait pas faire. Jimmy (Webb), même si je l’ai peu vu grimper, je crois qu’il a aussi des lacunes. Je ne suis pas sûr que les jeunes aient plus de force à proprement parler, mais je crois qu’ils n’ont pas de point faible. Ça ne se voit pas forcément bien sur les vidéos, mais quand tu grimpes avec eux, tu t’aperçois qu’ils savent tout faire. Shawn, il a une tenue incroyable, en position de corps, en souplesse, en talon, en placement, en valorisati­on des mauvais pieds etc., il est mutant. Nico Pelorson, pareil, tu peux avoir le sentiment qu’il mise tout sur sa tenue de prise, mais c’est pas du tout vrai, physiqueme­nt et techniquem­ent, il est incroyable­ment fort. Aidan Roberts, c’est un peu différent. Il n’est pas si fort en talon, mais il grimpe quand même super bien, il ne perd jamais les pieds, t’as l’impression qu’il a de la glue au bout des chaussons. Je pense que s’il y a un cap entre les anciennes génération­s et les nouvelles, c’est que les nouvelles sont capables d’ajouter un niveau de complexité énorme à un niveau de force à peu près équivalent. »

Toutefois, on ne peut dresser un tel constat sans faire injure à Nalle Hukkataiva­l. Non, même aux athlètes d’aujourd’hui, Nalle le précurseur n’a rien à envier, et ce serait peut-être même le contraire si l’on en croit le témoignage de ces derniers. Le très cortiqué Niky Ceria le qualifie volontiers de GOAT du bloc naturel, tandis que pour Clément Lechaptois, « Nalle est considéré par ses pairs comme étant au-dessus. Il a toujours eu une longueur d’avance sur tous les autres. Et même les jeunes le respectent énormément. Si tu parles de Nalle à Shawn ou Giuliano (Cameroni) par exemple, ils te diront que Nalle est au-dessus. Ça me fait croire qu’il était peut-être plus proche de la nouvelle génération que ce qu’on pense. » Quant à Charles, il a préféré nous raconter son éloquente première rencontre avec le mutant finlandais : « La première fois que je suis allé en Afrique, j’ai rencontré un peu tous les gars forts, et puis un coup je suis allé grimper avec Nalle. Et là, je me suis dit : « Merde, mais il est plus fort que moi ! » Il y a certains mouvements que j’arrivais à faire et pas lui, des trucs un peu acrobatiqu­es, mais globalemen­t, le constat était sans appel, il était meilleur grimpeur. Il était un peu plus fort, et surtout meilleur grimpeur. Ça m’a un peu rappelé quand j’étais enfant et que je voyais un adulte grimper. Je n’ai jamais ressenti cela à nouveau. »

Toujours est-il qu’à l’anomalie Nalle s’ajoute maintenant un escadron de bloqueurs d’un genre nouveau, c’està-dire alliant à la fois doigts, biceps, gainage, savoir-faire tactique, coordinati­on souplesse etc., et dont le mot point faible ne fait plus partie du vocabulair­e.

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© Nico Backstrom Vous Nalle tout de même pas croire que les jeunes sont plus forts que moi ?

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