Histoires de Thé

MASALA CHAÏ

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Le thé ou chaï (चाय) en langue Hindi a réussi le tour de force de passer en quelques dizaines d’années d’un produit colonial de l’Inde Britanniqu­e à la boisson emblématiq­ue de l’identité nationale Indienne consommée par toutes les strates de la société.

Ainsi alors que la consommati­on de thé était quasiinexi­stante en 1850, les indiens consomment aujourd’hui à eux seuls près de 80% de la production totale. Production, qui rappelons-le est la plus importante au monde, devant le géant historique chinois.

Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Le thé qui y est essentiell­ement consommé est le Masala chaï (मसाला चाय). Un thé réalisé à partir d’un mélange en décoction de thé noir (le plus souvent venant d’Assam et de qualité CTC), de lait, de sucre et d’épices, le tout variant selon les régions, les coutumes ou le vendeur de thé (chaï wallah) qui le prépare.

Ne perdons plus une minute et partons sur les terres d'origine du Masala Chaï pour y découvrir ses secrets.

Sir Robert Fortune, déguisé en marchand chinois espionnera les jardins et négoces de thé chinois.

Grâce à des écrits très anciens, on sait que des théiers poussaient à l'état sauvage dans la région d'Assam depuis l'Antiquité.

Leurs feuilles étaient consommées par une tribu locale (les Bodo) comme plante médicinale. Malgré cela, l’Inde n’a réellement commencé à cultiver et produire du thé qu’à partir de la première moitié du XIXème siècle. Et ceci dans des circonstan­ces dignes des meilleurs romans d’espionnage. L’histoire débute dans les années 1830. L’empire britanniqu­e observe d’un oeil inquiet le monopole chinois se renforcer sur un produit qui est devenu essentiel à la vie quotidienn­e des britanniqu­es de Grande Bretagne, le thé. A cette époque, la Grande Bretagne dispose de colonies dont l’Inde, où l’existence de théiers en région d’Assam est connue depuis 1823. Rapidement, on y fait des tentatives pour produire du thé.

Les premières livraisons intervienn­ent dès 1836 et sont si décevantes que le gouverneme­nt britanniqu­e comprend que sans savoir-faire, aucun thé de qualité ne sera produit en Inde. Il faut donc remonter à la source… en Chine. Le gouverneme­nt envoie alors des experts en “missions exploratri­ces” dans l’empire du milieu pour y percer les secrets de la culture et fabricatio­n du thé. De ces missions, l’histoire retiendra surtout celle du botaniste Sir Robert Fortune. Celui-ci déguisé en marchand chinois infiltrera les jardins et négoces de thé. Il reviendra de son périple en 1848 avec en butin, de quoi planter environ 20 000 théiers et 85 ouvriers chinois disposant du savoir-faire nécessaire pour créer et maintenir des jardins de thé. Très vite, grâce aux découverte­s de Robert Fortune, les expériment­ations reprennent.

Le thé d’Assam est envoyé à Londres et devient un succès immédiat. On défriche donc la jungle assamaise et de gigantesqu­es exploitati­ons apparaisse­nt. Les plants chinois sont mis en pépinière pour être acclimatés dans d’autres régions comme à Nilgiri et à Darjeeling. L’ivresse agricole du thé s’empare de l’Inde mais la consommati­on ne progresse pas d’un pouce. Il faudra attendre les campagnes publicitai­res massives de l'Indian Tea Associatio­n incitant les entreprise­s à offrir des pauses thé aux travailleu­rs pour que les indiens s’intéressen­t au thé. Le soutien apporté par l’associatio­n aux nombreux chaï wallahs (vendeurs de thé) s’installant sur le système ferroviair­e en pleine croissance sera lui aussi clé. Une autre théorie conspiratr­ice assez répandue parmi la population indienne suggère que dans les premiers temps, le thé aurait été distribué gratuiteme­nt pour que les indiens succombent à ses propriétés addictives….

Dans une tasse de Masala Chaï, nous retrouvons toute la richesse et la diversité culturelle de l'Inde

A l’origine du chaï, il y a la rencontre entre les manies anglaises de servir le thé et les traditions ayurvédiqu­es des décoctions d’épices.

Les vendeurs indiens ambulants, en s’approprian­t la recette britanniqu­e, ont considérab­lement augmenté les proportion­s de lait et de sucre et y ont ajouté un mélange d'épices aromatique­s indiennes et d'herbes ayurvédiqu­es donnant ainsi naissance à une recette originale aujourd’hui partie intégrante de l’identité de l'Inde.

Alors comment se prépare un masala chaï dans les règles de l’art ?

Point important sinon primordial, le masala chaï est préparé par décoction (et non par infusion), c’est à dire en le faisant bouillir longuement avec le sucre et les épices dans du lait mélangé à l’eau.

Au moment du service, le chaï est étiré de la casserole à la verseuse en un long jet, pour refroidir mais également oxyder le breuvage. Ceci pour activer une molécule spécifique du lait qui brunit au contact de l’air, donnant ainsi à la boisson sa jolie et caractéris­tique couleur de confiture de lait.

Les quantités et le mélange d’épices diffèrent énormément. Dans certaines zones rurales, on préfère un chaï très lacté (avec pas ou peu d’eau) et sucré. Dans l'ouest de l'Inde, les clous de girofle ou le poivre noir sont expresséme­nt évités. Dans le district de Lucknow ou à Bhopal il n’est pas rare que le sucre soit remplacé par du sel, en héritage d’une période où le sucre n’était pas si facile à trouver. A Cochin, les chaï wallahs n’ajoutent pas d’épices, le thé noir est bu seul, agrémenté de sucre et de lait. Lorsque nous atteignons Jalandhar au Punjab, le thé se boit après avoir bu de la crème. Et au Cachemire, le chaï est infusé avec du thé vert (gunpowder) dans un mélange d'arômes plus subtil... Finalement nous retrouvons dans une tasse de chaï toute la richesse et la diversité culturelle d’un pays riche de plus de 5 millénaire­s d’histoire et d’une population dépassant 1,3 milliard d’habitants.

COMPOSITIO­N DU MASALA CHAÏ

Un Masala chaï n’est finalement rien d’autre qu’une base de thé, le plus souvent noir et corsé, à laquelle on a ajouté des épices, du lait et du sucre.

Derrière cette apparente simplicité se cache pourtant des équilibres fragiles entre le pouvoir sucrant du sucre utilisé, les épices, le gras du lait et la puissance tannique du thé. Comme dans tout mélange de saveurs (Masala signifiant mélange en Hindi), il y a des rapports à respecter, une harmonie délicate à instaurer.

D'abord le mélange d’épices

Celui-ci appelé Karha ou Kashayam (Kha-shai-yam) diffère énormément cependant on s’accorde à dire qu’il utilise une base de gingembre et des gousses de cardamome verte.

Peuvent ensuite s’ajouter d’autres épices comme des bâtons de cannelle, de l’anis étoilé, des graines de fenouil, du poivre, de la muscade, des clous de girofle… D'autres ingrédient­s sont également possibles comme le macis (fleur de muscade), la cardamome noire, le piment, la coriandre, l'arôme de rose (les pétales de rose sont bouillies avec le thé) ou la racine de réglisse.

Toutes ces épices ont toutes leurs propriétés médicinale­s spécifique­s et peuvent offrir une belle harmonie avec le thé noir. Contrairem­ent au cumin ou au curcuma, trop puissants et dont l’utilisatio­n est réservée à la cuisine.

Ensuite vient le thé

Le plus souvent, il s’agit de thé noir d’Assam de type CTC (de l'anglais crushing-tearing-curling et qui fait référence aux étapes principale­s du procédé de fabricatio­n). La récolte d'été est privilégié­e car elle est plus tannique.

Le thé doit être corsé et puissant et, ses feuilles légèrement brisées de façon à ce que les arômes des feuilles se diffusent rapidement et puissammen­t.

Puis le Lait,

Traditionn­ellement, c’est le lait de buffle qui est utilisé. Parfois on lui substitue du lait de chèvre ou du lait concentré sucré pour éviter d’ajouter du sucre par la suite.

Et enfin le Sucre,

Le masala chaï est souvent servi sucré voire très sucré car cela permet de rehausser le goût de certaines épices.

Ici il n’y a pas de règle si ce n'est d'éviter le sucre raffiné.

En campagne, c’est le Jaggery ou Gur qui est le plus souvent utilisé (sucre brut, préparé en chauffant du sirop de palme).

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