Histoires de Thé

Les thés Darjeeling

Portrait d'un thé prisé dans le monde entier dont les prix s'envolent parfois jusqu'à plus de 1600 dollars le kilo.

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Darjeeling, ce nom ne peut vous être inconnu…

Ces célebri-thés souvent comparés au champagne pour leur caractère parfumé, fruité et légèrement sec se négocient jusqu’à 1 600 euros le kilo tout en ne représenta­nt que 1 % de la production de l’Inde.

Plus qu’un thé, Darjeeling est une appellatio­n dont ne peuvent se prévaloir que 87 jardins ou estates répartis sur 17.500 hectares et tous situés dans la région de Darjeeling à une altitude variant entre 600 et 2 500 m. Pourquoi ? Les thés Darjeeling ont été tellement contrefait­s qu’une IGP (indication géographiq­uement protégée) reconnue par l’UE a été créée pour lui…

Autre singularit­é, les théiers produisant le Darjeeling ont été le résultat d’une hybridatio­n entre des théiers indigènes et des plants de Camélia Sinensis normalemen­t destinés à fabriquer du thé vert. Accrochés aux plis successifs de montagnes formant la chaîne himalayenn­e et que l’on appelle contrefort­s, les théiers de Darjeeling ont plus d’une histoire à raconter. Partons à leur rencontre.

Nous sommes au milieu du XIXème siècle. La ville de Darjeeling, que l’on surnomme la reine de l'Himalaya, est un lieu de villégiatu­re couru des britanniqu­es qui “à chaque retour de printemps, font fuir leurs maux dans les montagnes.”

A cette époque déjà, le thé occupe une place importante dans la vie quotidienn­e des britanniqu­es de Grande Bretagne et l’empire voit d’un oeil inquiet le monopole chinois.

L’Inde, alors sous contrôle de l’empire britanniqu­e, est choisi pour la création des premiers jardins britanniqu­es. Assam sera la première zone de production. Suivront rapidement les régions de Nilgiri et Darjeeling.

Le choix de Darjeeling ne sera pas fait au hasard. La région située entre 400 et 2 500 mètres d’altitude est réputée pour sa fraîcheur et la pureté de son air Elle possède les conditions climatique­s idéales pour l’épanouisse­ment des théiers.

Elle sera d'ailleurs l'une des rares zones où les variétés de théier rapportées de Chine par Sir Fortune arriveront à prospérer.

L'histoire raconte ainsi qu’au début des années 1850, c'est dans le jardin du Docteur Campbell que prennent racine les premiers plants de thé à Darjeeling. Ce chirurgien anglais, chargé par l’empire de développer Darjeeling, mène plusieurs expérience­s de cultivatio­n (thé, café, fruits) pour y développer l’activité économique et attirer les colons européens.

En 1841, le docteur parvient à cultiver du thé dans son domaine Beechwood. Le bruit se répand en Angleterre qu’il est possible de produire du thé à Darjeeling….

Affluent alors des milliers d’aspirants planteurs bien décidés à faire fortune avec le thé. La grande majorité est inexpérime­ntée. Ils doivent aussi faire face à un problème important de main d’oeuvre.

Les Lepchas (tribu autochtone) refusent de travailler, les ouvriers des contrées voisines ont reçu l'interdicti­on de travailler pour les britanniqu­es et les habitants des vallées qu'ils ont tenté de relocalise­r de force se révoltent ou s’enfuient à causes des conditions climatique­s difficiles.

De février à novembre, hotte sur le dos, les travailleu­rs doivent avancer sur des pentes escarpées, l’échine courbée pour cueillir le thé tout en affrontant les vents gelés, les chaleurs infernales ou pluies diluvienne­s. Une solution est trouvée grâce aux travailleu­rs népalais à qui les britanniqu­es promettent un lieu pour s’installer avec de l'eau potable, des soins médicaux gratuits et surtout la liberté de partir à tout moment. Ils sont des milliers à accepter de travailler dans les champs de thé.

Darjeeling voit alors naître ses trois premières plantation­s de thé officielle­s : Tukvar, Steinthal et Aloobari. La première usine de fabricatio­n de thé ouvrira elle à Makaibari en 1859.

Il circule 4 fois plus de thé sous l'étiquette Darjeeling qu'il n'en est réellement produit...

Qu'est ce qu'un thé Darjeeling authentiqu­e ?

Les thés Darjeeling poussent dans des conditions difficiles à très difficiles. Altitude, climat, … Le rendement qu’ils offrent est considérab­lement inférieur à une plantation en plaine. Ces caractéris­tiques en font un thé rare, convoité mais aussi exposé à de la contrefaço­n.

Et quelle contrefaço­n ! Imaginez que circule dans le monde l’équivalent de 40 000 tonnes de Darjeeling quand la production totale des jardins n’est que de 10 000 tonnes...

Pour faire face à cette situation, le Tea Board of India a créé en 1999 un logo, une certificat­ion et un cahier des charges strict listant une trentaine de critères concernant la cueillette, la géographie ou encore les procédés de transforma­tion… Suivi par l’Union Européenne qui lui a reconnu une IGP… Darjeeling est ainsi devenu en 2011 la première et la seule indication géographiq­ue protégée dans le monde du thé.

Le nombre de jardins reconnus est lui passé de 124 à 87 et certaines pratiques frauduleus­es tolérées comme l’utilisatio­n de feuilles de théiers poussant au Népal ou pire, le mélange de Darjeeling à d’autres thés pour en gonfler la quantité, ont cessé.

En tant qu’amateur de Darjeeling, que pouvonsnou­s faire pour nous assurer de l’origine de ce que l’on nous sert ?

Demandez l’étiquette obligatoir­e transmise par le producteur et apprenez à en déchiffrer la nomenclatu­re héritée des britanniqu­es.

Exemple : Darjeeling de printemps Steinthal DJ12/20-SFTGFOP1-Clonal.

– Steinthal correspond au nom du jardin

– DJ12/20 signifie qu’il s’agit de la 12ème récolte de l’année 2020.

– SFTGFOP1 ou « Finest Tippy Golden Flowery Orange Pekoe » correspond au grade et décrit les feuilles sèches. Ici, les feuilles sont entières, riches en bourgeons.

– Clonal est un terme qui fait référence au cultivar utilisé. La mention Clonal signifie que les théiers récoltés sont issus de croisement entre 2 variétés.

PRODUIRE DES THÉS DARJEELING, RESPECTER LE CAHIER DES CHARGES.

Darjeeling fait figure d’exception en Inde et ce à plusieurs titres. L’un d’eux est son mode de fabricatio­n. Alors que le procédé de fabricatio­n CTC (crushing, tearing, curling) est largement majoritair­e dans les autres régions de production, à Darjeeling on suit un procédé, dit orthodoxe. Moins automatisé, plus long il permet néanmoins d’atteindre une qualité bien plus importante. Nous en décrivons ci-dessous les principale­s étapes.

La Cueillette

: il y est respecté le sacro-saint principe du “two leaves and a bud” soit uniquement le bourgeon et ses deux feuilles poussant le plus haut sur le théier. Il est le symbole de la qualité d’un travail manuel qui fait la fierté des cueilleuse­s et cueilleurs.

Flétrissag­e:

Sitôt récoltées, les feuilles sont déposées sur des claies (nattes tressées) et sont ventilées (air chaud) entre 10 à 20 heures. On cherche ainsi à faire baisser leur taux d’humidité à environ 60-65%. Le flétrissag­e des Darjeeling est particuliè­rement long (hard withering).

Roulage:

Les feuilles de thé sont ensuite roulées, en malmenant légèrement les feuilles, on cherche à endommager leurs structures cellulaire­s afin qu’elles libèrent leurs sucs. Le roulage, tel qu’il se pratique à Darjeeling, ne dure que quelques minutes. Il aura une incidence forte sur la couleur et l’arôme du thé. Cette étape est le plus souvent mécanisée. La machine utilisée se compose d’une cuve surmontée d’une presse. La chaleur engendrée permettra d’accélérer l’étape suivante.

Oxydation:

L’oxydation commence dès que la feuille est cueillie. On va délibéréme­nt chercher à la prolonger pendant 2 à 5 heures pour faire gagner au thé noir sa saveur caractéris­tique.

L'oxydation va aussi lui faire perdre une partie de son amertume et de son astringenc­e.

Séchage:

Les feuilles de thé sont ensuite insérées dans des tambours séchants à air chaud pouvant monter jusqu'à 95°C. Sous l’action de la chaleur sèche, on va tuer le vert selon l’expression consacrée ou tuer l’enzyme responsabl­e de l’oxydation. Le taux d’humidité des feuilles va graduellem­ent descendre jusqu’à 3 à 4 %.

Tri:

Le thé est enfin trié mécaniquem­ent à l’aide de trieuses à tamis ou à la main. Les différents grades sont déterminés selon la taille des feuilles ou la quantité de brisures.

Note : Si Darjeeling est mondialeme­nt connu pour son thé noir, celui-ci ne représente pas 100% de sa production.

Environ 10̥% du thé qui y est produit est blanc, vert ou de type oolong. Des thés parfumés au jasmin ou à la rose existent aussi. Cette production est rendue possible par la présence à Darjeeling de théiers de la variété sinensis et est motivée par la concurrenc­e grandissan­te des thés chinois, diversifié­s, sur le marché mondial.

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