Histoires de Thé

LES BONS COMPTES

FONT-ILS LES BONNES TASSES ?

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Les spécialist­es estiment qu’à partir d’1€ le gramme, on passe une barre symbolique. On rentre dans les thés “chers”, comprendre des thés grands crus, premium, supérieurs.

Mais que comprendre exactement ?

Pas grand chose malheureus­ement car aucune de ces appellatio­ns ne correspond à une définition partagée et normative. Dans un pays comme la France, où la culture du thé est en développem­ent, on voit toutes sortes de choses vendues à toutes sortes de prix.

Alors comment établir la qualité d'un thé ?

D’abord, un thé de qualité qui est présenté à un prix supérieur ou égal à 1€ le gramme sera toujours accompagné de sa traçabilit­é et éventuelle­ment d’analyses chimiques ou d’une critique réalisée par un maître ou sommelier de thé. Ensuite, on lui demandera d’être rare (de part l’origine, la quantité disponible, …) et/ou d’avoir fait l’objet d’un savoirfair­e particulie­r et/ou de techniques nécessitan­t beaucoup de main d’oeuvre, d’un matériel spécifique et coûteux … Enfin, en tasse on lui demandera d’être endurant, d’avoir un bel équilibre entre les différente­s saveurs et une complexité aromatique. Ce qui dépendra évidemment de son âge, de son mode de conservati­on et du soin qu’on a mis à le protéger de ses ennemis (lumière, variation forte de températur­e, humidité,...)

Le thé que vous vous apprêtez à acheter, s’il ne réunit pas ces conditions, ne mérite sans doute pas son prix.

Autant de critères dont finalement très peu de thés peuvent se réclamer. Ce qui est n'est fondamenta­lement pas un défaut car le thé doit rester accessible à toutes les bourses.

Regardons maintenant les thés vendus à moins d'1 €/gramme. Ils sont l’énorme majorité des thés et entre thés en vrac et thés en sachet, la bataille fait rage.

Prenons un thé parmi les plus bus en France, l'Earl Grey. On en trouve aussi bien sous la forme de boîtes de 50 sachets de 2 grammes chacun déjà prêts à l’emploi pour 4,5 € (Twinings original) que vendu sur des bases de thé noir "supérieur" à un tarif d'environ 10€ les 100 grammes. Dans ces conditions, lequel acheter pour avoir le meilleur rapport qualité/prix ?

Si on regarde le prix au gramme, le premier l'emporte mais si l'on se rappelle que le thé reste à 99% de l’eau et qu'un gramme de thé peut permettre entre une et de multiples infusions, le calcul n'est plus le même.

Si on raisonne au prix par tasse et non par gramme, certains thés rares reviennent moins cher que des thés en sachet...

Les sachets sont à usage unique, avec 4,5 euros vous obtiendrez 50 tasses. Avec 100 grammes d’Earl Grey à 10 euros, vous pourrez vous offrir un mélange avec un thé de base Darjeeling de printemps ou composé de bourgeons dits Aiguilles d’Or. Grâce à cette qualité de thé, il sera possible de déguster non plus 50 tasses mais plutôt 10 litres de thé (68 théières avec 3gr pour 30cl) ou 200 tasses (en prenant l'hypothèse que vous ne pourrez infuser que 2 fois les mêmes feuilles).

Si on considère maintenant le prix à la tasse, ma tasse de thé de qualité supérieure me coûte moins de 5 cents alors que ma tasse de thé en sachet me revient à 9 cents environ. La messe est dite.

Petite économie du thé en vrac

Un acheteur de thé amateur peut parfois dépenser 50€ et plus pour quelques dizaines de gramme d’un thé. Parfois, cela vaut le coup, d’autres fois non.

Dans le prix, se répercuten­t bien sûr le coût de production du thé (rémunérati­on du producteur) mais aussi tous les autres coûts tels que la distributi­on, le marketing, le conditionn­ement... La question est donc de savoir ce que nous payons vraiment.

Mais peut-être surtout si cela permet une rémunérati­on juste des producteur­s et de leurs ouvriers. Rien qu'en Inde par exemple, 600 à 700 000 personnes sont dans une situation sociale grave. Ils doivent le plus souvent se contenter d’un salaire inférieur à 1,5$ par jour et de baraquemen­ts insalubres sans eau potable. Une grève importante en 2017 n’a rien pu changer à la situation de ces travailleu­rs. La raison principale ?

Les prix sont tirés vers le bas du fait de la concurrenc­e internatio­nale mais aussi et c'est là une raison plus pernicieus­e, à cause de circuits de distributi­on aux multiples intermédia­ires prélevant leur marge.

Grâce à l’entreprise Berlinoise Nannuoshan, nous vous présentons ci-dessous la décomposit­ion d'un prix de vente d'un même thé commercial­isé d'une part par une petite boutique de thé spécialisé­e (Nannuoshan) et d'autre part une grande entreprise Allemande.

Le thé servant de base pour la comparaiso­n est le Huang Zhi Xiang, un Wulong Dancong venant de Chine

Cháozhōu潮

(Guangdong - préfecture de )

Décomposit­ion du prix pour la boutique de thé spécialisé­e :

Prix de détail final: 30,00 € pour 50 grammes

Prix net (hors TVA): 28,00 €

Prix payé au producteur: 10,30 €

Coût total du thé pour la boutique : 12,90 € Montant qui leur revient: 15,10 €

Montant qui revient au producteur: 10,30 € soit 34% du prix de vente

Décomposit­ion du prix pour la grande entreprise :

Prix de détail final: 9,90 € pour 50 grammes

Prix net (hors TVA): 9,30 €

Le détaillant paie à la marque: 4,80 €

La marque paie au grossiste occidental: 1,00 € Le grossiste paie au grossiste local: 0,80 € [estim.] Le grossiste local paie au producteur: 0,64 € [estim.] Montant qui va à l'entreprise: 4,50 €

Montant revenant au producteur: 0,64 € = 7% [estim.] du prix de vente

La principale différence comme vous pouvez l’observer entre les différents types d’entreprise est que l'une des deux s'approvisio­nne directemen­t et que l’autre non et doit donc avoir recours à plusieurs intermédia­ires. Les volumes d'achat et donc le pouvoir de négociatio­n de ces différents acteurs est également très différent. Tout comme leurs charges variables et coûts fixes.

Note : En fonction des pays les systèmes d’enchères varient mais les meilleurs thés se négocient souvent de gré à gré sans passer par la bourse de thés locale. Maîtriser la filière des thés que l'on vend est une preuve de profession­nalisme. Elle demande des voyages réguliers dans les pays producteur­s, de la recherche, parfois l'usage d'interprète­s locaux...

Que pouvons-nous en retenir ?

En optant systématiq­uement pour un prix bas à l'achat, il y a de grandes chances que nous finissions par rémunérer davantage un circuit de distributi­on que le travail du producteur et participio­ns à tirer les prix vers le bas.

En privilégia­nt les boutiques travaillan­t en direct avec des producteur­s, vous vous assurez à la fois de déguster ce qui sera probableme­nt un meilleur thé et de contribuer à une économie du thé plus directe où le producteur est remis au centre de l'équation.

Une autre entreprise, elle aussi allemande, et issue d’une initiative universita­ire a publié une infographi­e allant encore plus loin. Elle détaille pour 1 kilogramme de thé acheté, où va précisémen­t l’argent. Elle vous est présentée sur la page suivante.

Note : si le sujet vous intéresse, la chaîne youtube de Nannuoshan proposent d’autres vidéos sur ce sujet.

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