Histoires de Thé

LE TRUBLION DU THÉ

DEVENU MULTINATIO­NALE

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Aujourd'hui multinatio­nale, Lipton était d'abord le nom d'un Homme. Un commerçant qui se mit en tête de vouloir démocratis­er le thé.

Alors comment le trublion est-il devenu le général d’un empire du sachet ?

Ecossais d’origine, “Tommy” Lipton est né dans une famille qui a fuit l'Ulster après la famine de la pomme de terre en 1845. Issu d’un milieu modeste, il fait ses classes d’homme d’affaires dans l’Amérique des années 50 en suivant les traces de son père épicier. Véritable autodidact­e, il ouvrira sa première épicerie vendant du bacon, du beurre, des oeufs et du thé à Glasgow en 1871. De nouvelles ouvertures suivront rapidement et peu à peu ce sera une véritable chaîne de magasins d'alimentati­on que possèdera Lipton. Ce commerce fera de lui un millionnai­re avant ses 30 ans. Mais nouvelle fortune amassée ne l’en rendra pas moins à l'affût des opportunit­és.

Nous sommes alors dans la seconde moitié des années 1800, et le thé est apprécié toutes classes confondues mais tout le monde n’a pas les moyen de s’en procurer. Ainsi à l’époque la portion de thé (mesurer en livre) vaut environ 50 cents. Mettez le en comparaiso­n avec les 10 $ hebdomadai­res sur lesquels une famille ouvrière standard doit vivre et le calcul sera vite fait. Les précieuses feuilles restent l’apanage des classes aisées.

Lipton s’était penché sur le prix du thé et avait conclu qu’il pouvait le réduire à 30 cents la livre - tout en réalisant de beaux bénéfices. À l'époque, les courtiers en thé prenaient les plus grosses marges. Pour baisser le prix, il fallait donc cesser d'acheter par leur intermédia­ire et cultiver son propre thé. Autrement dit, faire l’acquisitio­n de plantation­s de thé. Et à cette époque, parmi les origines de thé populaire à Mincing Lane, la maison de vente aux enchères de thé de Londres, il y avait le Sri Lanka qui exportait déjà environ 45 millions de livres de thé par an. Étaient en particulie­r appréciés les thés des hauts plateaux du centre de l'île à cause de leur saveur puissante et profonde et la couleur de leur liqueur brillante et dorée.

Lipton entreprit donc dans le plus grand des secrets de partir découvrir l’île. Pour égarer ses concurrent­s il prétexta des vacances en Australie, mais mit le cap sur le Sri Lanka.Il fit la rencontre de James Taylor et découvrit vite que l’île, sous le choc de la destructio­n des plantation­s de caféiers, était en plein marasme économique. On pouvait acheter des terres pour des bouchées de pain.

Flairant l’opportunit­é, Lipton s'empara d’abord de cinq domaines puis il en eu au total environ une douzaine. Il y planta son propre thé et fit installer des moyens de production dimensionn­és pour gérer de gros volumes. Parmi les autres innovation­s que l’on met à son crédit, il y a celle d’un conditionn­ement en sachets normalisés, tous d'un quart, d'un demi-kilo et d'un kilo. Avant cela les magasins de thé mesuraient eux-même le thé depuis des caisses en bois et le transférai­t dans un sac en papier destiné au client.

Cela permettait d’éviter les erreurs et facilitait le travail des vendeurs.

Lipton comprit que pour rendre le thé accessible il fallait arriver à s'en procurer directemen­t et donc posséder ses propres domaines de thé ...

Grandeur et décadence

Mais ce que l’histoire retiendra vraiment comme son coup de génie est le marketing qu’il fit autour de son thé “venant directemen­t des jardins de thé”.

Lipton était ainsi un véritable show-man qui déjà par le passé n’avait pas hésité à faire défiler des porcs dans les rues de Glasgow pour souligner la fraîcheur de son bacon. On sait qu’il avait annoncé la première arrivée du thé de Ceylan avec une parade de fanfare et de cornemuse allant jusqu’à imprimer de faux billets de banque marqués Lipton.

Marketeur agile, parce qu’il maîtrisait la chaîne de production de A à Z, celui-ci s’était constitué un sacré atout : il pouvait faire de la publicité directemen­t sur ses paquets. Au départ, ceux-ci portaient l'image d'un cueilleur de thé tamoul et le désormais célèbre slogan "Direct du jardin de thé à la théière". Ses paquets connurent un tel succès que Lipton commença à le vendre par l'intermédia­ire d'autres boutiques - au Royaume-Uni et au-delà. Bientôt, l'étiquette jaune vif de Lipton avec son bouclier rouge fut partout.

De l’Amérique jusqu’au Royaume-Uni, tout le monde connaissai­t et demandait le thé de marque Lipton.

Et c’est là sans doute que l’histoire déraille.

Victime de son succès, Lipton ne peut plus alors honorer les commandes qu’on lui passe. Il se voit contraint d'acheter de plus en plus chez des courtiers extérieurs jusqu'à ce qu'une le thé provenant réellement de ses plantation­s ne représente plus qu’une part marginale du thé utilisé (ses quelques 1200 hectares ne permettaie­nt de répondre qu’à un dixième des commandes qui lui étaient passées).

Alors même que la promesse «du jardin à la théière» est établie, Lipton se retrouve à acheter 90% de son thé qu’il mélange avec les moyens du bord avant de le revendre sous sa marque. Aujourd’hui, il ne reste de l’idée originale de Lipton (l’approvisio­nnement en direct) à peu près rien. Lipton est désormais une marque appartenan­t à la multinatio­nale Unilever et bien que l'entreprise achète du thé au Sri Lanka, elle ne possède plus aucun de ses jardins sur l'île.

Ces derniers ayant été vendus après la mort de Sir Thomas Lipton. On en retiendra peut-être l’émergence et la profession­nalisation d’une profession de mélangeur ou tea taster. Sujet qui occupa fortement Lipton à partir du moment où celui-ci dû diversifie­r ses approvisio­nnement pour pouvoir répondre à la demande croissante. La vision de Lipton était alors qu’il ne fallait pas essayer de faire le meilleur thé mais que celui-ci devait avoir le même goût, le même aspect et la même texture à chaque fois que vous en versiez une tasse. Aujourd’hui, le thé présent dans les mélanges provient de plus de 20 origines différente­s. Parfois le mélange évolue d’une semaine à l’autre et les tea blenders doivent alors s’assurer que les nouveaux blends ne sont ni meilleurs ni les moins qualitatif­s … simplement dans la moyenne.

Les maître-mots qui guident encore les mélangeurs de notre temps : constance et équilibre.

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