Dans la peau Jonas Fernando Pires. L’épure
Lové au coeur de cette mosaïque de galeries d’art et d’antiquaires de haut vol qu’est la très smart rue de Verneuil, dans le VIIe arrondissement de Paris, l’atelier/showroom ouvert il y a quelques mois par ce talent plus que prometteur issu de la nouvelle mouvance du design affiche une interpellante singularité. Tenant davantage en effet de l’esprit laboratoire d’une Factory new-yorkaise que de l’intimidant espace d’exposition parisien, ce lieu y met en scène des pièces de mobilier et de luminaires d’une impressionnante maîtrise créative.
Son parcours :
Sans affectation aucune, ni volonté de se « la jouer » (pour sacrifier à une expression à la mode) chic & cool, le maître de ce qui apparaît comme une symphonie de matériaux dont la totale urbanité annonce d’emblée ses parti-pris de création présente ce condensé de courtoisie affable et de simplicité élégante propre à ce que l’on nomme communément les dandies. A sa manière héritier, en version 21ème siècle cela va de soi, de ces grandes figures du genre qu’étaient les George Gordon Byron, Oscar Wilde, Francis Scott Fitzgerald ou, plus près de nous, Willy DeVille et Bryan Ferry, Jonas Fernando Pires affiche dans son allure comme dans son travail de designer ce que nous serions tentés d’appeler de la précision graphique. Mais attention ! Sa volonté clairement affichée d’aller droit à l’essentiel sans verser jamais dans l’afféterie qui tue et le scorie parasite ne rime pas pour autant avec un minimalisme qui se revendiquerait de bon aloi mais ne dégageant au fond qu’un incommensurable ennui. Et si l’on retrouve dans la « patte » de notre jeune (mais, refrain connu, « la valeur n’attend pas le nombre des années ») designer ce même esprit de rigueur et de dépouillement dont faisait montre ce cadore du mouvement moderne qu’était Charles-Edouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier, lui se revendique plutôt de la lignée de deux autres monstres sacrés de l’architecture, en l’occurrence l’allemand Ludwig Mies van der Rohe et le japonais Tadao Ando. Du haut de ses vingt cinq printemps, celui né à Paris de parents d’origine portugaise n’a pourtant pas franchement été nourri au lait de l’art et du design. Ce qui ne l’empêche pas de confier tenir son goût immodéré pour les matériaux de son père, entrepreneur dans le bâtiment, « un artiste dans son genre », dont il n’hésite d’ailleurs pas aujourd’hui à faire appel pour la réalisation de ses pièces. Si ses premiers pas professionnels dans l’univers du design se sont réellement amorcés il y a déjà cinq ans, sa familiarisation avec le vocabulaire des matières et leur utilisation en termes d’architecture est bien antérieure. Dès l’âge de quatorze ans, ne préférait-il pas aux loisirs propres à l’adolescence accompagner son père sur les chantiers afin d’y suivre le déroulement des constructions. Un apprentissage qui lui permet d’acquérir un véritable savoir-faire manuel et un sens du réalisme sur le plan de la fabrication que l’on perçoit dans ses pièces dont le caractère esthétique n’occulte jamais la dimension ergonomique et utilitaire. Titulaire d’un baccalauréat littéraire, il s’oriente vers des études d’architecture en ralliant l’École Spéciale d’Architecture située juste en face de ce haut lieu de l’art contemporain qu’est la Fondation Cartier. Au bout de deux années pourtant, prenant conscience de son trop grand décalage par rapport à ce type d’enseignement où la théorie tient lieu de maître mot, il décide d’en partir pour se lancer dans le grand bain d’une entreprise en nom propre. Déjà, se déploie sa partition de matières fétiches, l’acier, le béton et le wengé, avec lesquelles il élabore ses tous premiers modèles dont un fauteuil club d’aspect cubique, impressionnant visuellement mais qu’il définit rétrospectivement d’un total inconfort. Il n’empêche ! Les « défauts » de jeunesse ne dissimulent cependant pas le talent réel du jeune homme, au point d’inciter le très pointu multimarques créateur L’Éclaireur à exposer ses pièces. Au bout de deux ans, conjoncture économique défavorable oblige, le voilà obligé de mettre la clé sous la porte. Pendant un temps, « parce qu’il me fallait vivre et payer mes dettes », il travaille pour d’autres, notamment auprès de la marque The Kooples en tant qu’architecte coordinateur de tous les corners. Autant d’expériences qui finissent par tellement le frustrer sur le plan de l’expression créative que le voilà à fortement songer à se relancer. L’occasion lui est donnée de passer à l’acte lorsque sa route croise celle de ce que l’on peut qualifier de « business angel » et dont le vif intérêt pour son travail de designer l’a incité à financer une bonne partie des pièces visibles dorénavant dans son espace.
Son univers de création :
Ce fervent amoureux de matériaux de type industriel tels le béton et l’acier, mais aussi de ce bois noir originaire des régions équatoriales et tropicales d’Afrique connu sous le nom de wengé et qu’il utilise plutôt en touches, ne veut surtout pas parasiter la pureté géométrique, quasi janséniste, de ses créations. Une approche résolument graphique à laquelle se mélangent paradoxalement comme des réminiscences de la grande tradition du mobilier portugais tout-à-la fois empreinte de luxuriance et de grande austérité. Et c’est précisément sur ces points de jonction entre passé et présent qui donnent à son approche du design cette parfaite résonance avec notre époque contemporaine où les valeurs d’authenticité, d’équilibre et de qualité reprennent droit de cité. Une démarche où l’art d’être prime sur celui du seul paraître et qui connaît un essor supplémentaire avec ses toutes dernières créations, des luminaires, dont les volumes extrêmement architecturés et les formes building semblent comme le prolongement de ce Bauhaus visionnaire qui, dans la première moitié du XXe siècle, a défini de manière durable l’environnement urbain du futur.
Sa clientèle :
Pour l’heure, il s’agit plutôt d’un cercle de collectionneurs particuliers qui suivent son travail depuis les tous débuts et pour lesquels il lui arrive de réaliser des commandes spéciales (son exercice préféré!). Néanmoins, depuis l’ouverture de son espace, celle- ci s’est élargie à des architectes et des décorateurs d’intérieur à la recherche de pièces spécifiques à intégrer sur des projets d’aménagement BtoB ou BtoC.