Débat
La femme, avenir de l’entrepreneuriat français ?
En une époque (pas si lointaine !) où les notions d’égalité et de parité provoquaient des poussées d’urticaire dans les rangs d’une société française alors assujettie à d’ancestraux modes de pensée profondément machistes, la maxime du poète Louis Aragon « La femme est l’avenir de l’homme » fit l’effet d’un gros pavé dans la mare. Depuis les années 1970 beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’émancipation avec la mise en place d’un dispositif législatif mettant fin à des siècles de discrimination. Du moins en principe parce que persistent toujours encore de patentes inégalités sur le plan professionnel. Un état de fait qui n’empêche pas nombre de femmes d’investir désormais quasiment tous les secteurs de l’économie, y compris sur le chapitre de la création d’entreprise. Au point d’amener certains observateurs à les estimer souvent bien plus performantes que leurs homologues masculins. Résurgence de l’étiquette de gestionnaires s du foyer qui colle depuis des lustres aux basques des femmes, sensée les muer par ricochet en entrepreneures avisées? Nous avons demandé à Catherine Barba, fondatrice et dirigeante de CB Group et par r ailleurs très impliquée sur la question de l’entrepreneuriat, si de son point de vue les s femmes pouvaient symboliser le renouveau, au, donc l’avenir, de nos entreprises hexagonales. les.
Informations Entreprise : Il y a quelques mois, Ségolène Royal déclarait que les femmes se révélaient meilleures chefs d’entreprise que les hommes en raison de leur sens de la gestion bien plus développé dans leur quotidien que celui des hommes. Partagez-vous cette opinion ? Catherine Barba : J’ai longtemps eu du mal à accepter l’idée que l’entrepreneuriat puisse être sexué, avait un genre. Cela fait dix ans maintenant que je suis entrepreneure et tout au long de ce parcours c’est surtout le fait d’entreprendre qui a été compliqué, de se jeter à l’eau, de prendre des risques, d’innover, voire même de s’exposer à un échec. Autant de questions qui, à mon sens, n’avaient rien à voir avec le fait d’être une femme ou un homme. Pour le coup, lorsque j’entendais dans des réunions des femmes témoigner de leurs difficultés à entreprendre, j’avoue personnellement ne pas du tout m’y identifier puisque je n’ai jamais eu à les subir. Je crois que ma chance a d’avoir démarré dans un secteur, le digital, qui à l’époque était tout neuf et n’avait donc rien de comparable aux autres secteurs d’activités alors majoritairement masculins mais dont on ne cessait d’entendre qu’il faudrait bien un jour ou l’autre féminiser pour respecter le principe de parité. Le fait pour moi en tant que femme de me retrouver dans un univers que l’on apprenait au jour le jour, loin de s’avérer un handicap, a été au contraire un véritable atout tout simplement parce que les femmes s’y trouvaient moins nombreuses et qu’il était par conséquent plus facile de sortir du lot. J’ai par là même pendant longtemps tenu ce discours consistant à dire que l’entrepreneuriat n’a pas de sexe ! Sauf que depuis décembre 2012, en raison de ma forte implication dans les assises de l’entrepreneuriat, notamment avec le groupe « Mobilisez tous les
talents pour la création et la reprise d’entreprise » où est abordé le sujet des femmes, mon point de vue a évolué sur la question. J’ai en effet été plongée quatre mois durant avec des femmes entrepreneures et des femmes qui dirigent des réseaux d’accompagnement de femmes entrepreneures. C’est dans ce cadre que je me suis rendue compte combien je me sentais vraiment un OVNI parce que les difficultés évoquées par mes homologues tiennent sans doute davantage au regard que les femmes portent sur elles-mêmes qu’à de soi-disant grandes vérités affirmant qu’elles sont plus ceci et font moins cela ! J’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de femmes
qui se mettaient de leur propre chef des barrières, notamment sur des sujets extrêmement concrets comme le financement d’une entreprise. Et là, je me suis dit qu’au fond j’avais vécu exactement la même chose que ces femmes au moment de la création de ma première entreprise en 2004 pour laquelle je n’avais pas voulu faire de levée de fonds. J’ai réalisé que c’était souvent un travers des femmes à ne pas vouloir lever d’argent par refus de l’endettement. Et j’ai compris qu’il y avait un vrai sujet et un vrai besoin de décomplexer une grande partie des femmes, pas les plus jeunes, celles de moins de 25 ans, qui réagissent différemment par rapport aux notions de prise de risque et de parité, mais celles âgées entre 35 et plus sur la nécessité d’imposer des quotas pour rééquilibrer des univers par trop masculins. Maintenant, par rapport au supposé plus grand pragmatisme des femmes, au risque de verser dans une lapalissade, je connais des hommes très pragmatiques et des femmes très rêveuses et totalement « cigales ». J’ai donc franchement du mal à abonder dans une forme quelconque de généralisation. IE : Comment expliquer que les femmes, pourtant aussi nombreuses que les hommes à vouloir entreprendre, ne représentant pour l’heure que 38% des créateurs d’entreprise ? CB : Cela tient en réalité, à une raison culturelle. Contrairement à ce que moi j’ai vécu dans la mesure où j’ai débarqué dans un secteur totalement à inventer dans lequel l’égalité s’est instaurée quasi naturellement, tous les autres domaines de l’économie et de l’industrie sont traditionnellement sous hégémonie masculine. Il y a cependant une chose qui s’avère certaine aujourd’hui tenant au fait que c’est le numérique qui apporte une nouveauté à tous les secteurs, tous les métiers, toutes les entreprises, redistribuant ainsi les cartes pour absolument tout le monde. Et je crois qu’il s’agit d’une chance nouvelle qui est donnée aux femmes de ne plus vivre leur condition comme un handicap. Dans la sphère du numérique, je ne vois aucune différence entre les femmes et les hommes. Je peux citer des tas d’exemples de femmes entrepreneures qui sont extraordinaires, qui lèvent des millions d’euros, qui foncent sans se poser la question de savoir si elles sont aussi aptes que les hommes et auxquelles, dans le cas où on leur demande si être une femme se révèle difficile, répondront sans nul doute « tout dépend avec qui on s’entoure ». Je me dis en conséquence que tout ce qui se rapporte au numérique étant en train de grignoter les différents secteurs d’activités bien audelà de ce que l’on pouvait imaginer au départ constitue une formidable chance accordée aux femmes de dépasser les stéréotypes pour entreprendre comme les hommes. Tout simplement parce que lorsqu’une chance est nouvelle, il n’y a pas de comparable possible ! A mes yeux, l’entrepreneuriat est l’avenir de la France sans nul doute et le numérique, en rebattant les cartes, octroie aux femmes une nouvelle chance de se hisser à égalité avec les hommes entrepreneurs. IE : Du 13 au 18 mai, a été mise en orbite la Semaine de la sensibilisation des jeunes à l’entrepreneuriat féminin à l’initiative de la ministre des Droits de la femme, Najat Vallaud-Belkacem, en partenariat notamment avec l’association 100.000 entrepreneurs dont vous êtes membres. En quoi ce type d’initiative peut-il faire bouger les mentalités ? CB : J’ai été intervenante le 17 mai dernier dans une école de Rueil-Malmaison pour parler à 45 élèves d’une classe de 3ème. Je suis convaincue que pour devenir entrepreneur, parmi toutes les choses qui font qu’un jour ou l’autre on bascule tient au fait d’avoir des rôles modèles, des gens qui vous inspirent. Il s’agit là d’un moteur extraordinaire pour entreprendre. Toutes les choses qui m’ont amené un beau jour à sauter le pas alors que je n’étais absolument pas déterminée à cela tient à la chance que j’ai eue de travailler avec un entrepreneur fantastique qui m’a provoqué le déclic. Le fait que des femmes aillent parler à des jeunes du bonheur d’entreprendre, de cette liberté incroyable qui en résulte, qu’inventer sa vie s’avère incomparable même si c’est souvent très difficile à assumer au quotidien, est le type même d’initiative justement en mesure de semer de précieuses petites graines. Et le fait aussi pour ces adolescents de voir une femme en parler donnera peut-être à des jeunes filles l’envie d’entreprendre à leur tour. Ceci dit, dans mon cas, c’est un homme qui m’a insufflé cette envie. Mais sans doute peut-on se projeter plus facilement dans quelqu’un de son sexe. IE : Depuis 2012, le 10 octobre est devenu la Journée Nationale des femmes entrepreneures. Au-delà du symbolisme qu’une telle journée peut représenter, est-ce également une manière de signifier qu’au fond les femmes ont davantage d’avenir en tant que chefs d’entreprise que d’espérer pouvoir occuper des positions de dirigeantes dans des grandes entreprises ? CB : Disons d’abord que les femmes comme les hommes ne sont pas tous faits pour devenir entrepreneur. Tout le
monde n’a pas ce talent-là ! Et je pense par rapport au manque actuel de parité et donc de perspective dans les grands groupes que le temps finira par inverser la courbe. Néanmoins, pour accélérer le temps naturel, il faut effectivement pousser et c’est la raison pour laquelle d’ailleurs ont été mis en place des quotas qui peuvent, reconnaissons-le, paraître quelque peu artificiels. Quant à savoir si les femmes ont vraiment plus d’avenir en tant qu’entrepreneures, j’avoue ne pas vouloir verser dans la généralité hâtive. D’autant qu’il ne faut surtout pas envisager l’entrepreneuriat par la négative, comme le fait que ne pouvant se réaliser pleinement dans le cadre d’une grande société, on créé alors son entreprise. Il faut vraiment que cela soit ressenti comme une nécessité. Si on le fait par sentiment de frustration ou parce que l’on se trouve au chômage, à mon avis les chances de succès de ce type d’entreprise sont infimes. Et cela est valable que l’on soit une femme ou un homme … IE : Êtes-vous favorable en matière de recrutement et de niveau de rémunération à une forme de discrimination positive ? CB : Ce qui me choque tient à l’existence de différences salariales assez significatives sur des postes équivalents. Néanmoins, lors des recrutements que j’ai été amené à faire pour mes différentes entreprises, si on m’avait dit que pour tel poste, il fallait 30, 40 ou 50% de femmes et l’équivalent d’hommes, je me serais bien évidemment pliée à une telle contrainte, mais avec un fort sentiment de frustration dans le cas où je me serai vue dans l’obligation de renoncer à l’embauche d’un collaborateur pourtant idéal à mes yeux uniquement pour ce respect des quotas. Je pense que s’il est bien d’avoir en tête cette égalité, il ne faut pas pour autant avoir des règles qui, sous couvert de la défendre, compromettent la rentabilité ou la pérennité d’une entreprise. IE : En dehors des belles paroles et de pieux événements, comment selon vous continuer à développer l’entrepreneuriat au féminin ? CB : Il y a des choses très concrètes qui existent aujourd’hui afin d’encourager l’entrepreneuriat féminin. J’ai ainsi organisé le 8 mars dernier la première journée de la femme digitale. Journée que je compte rééditer l’an prochain. Le problème est que cet ensemble de manifestations finit par être un peu trop éclaté parce qu’il n’existe pas encore pour le moment un guichet unique afin de les promouvoir et les faire connaître. A mon avis, ce qui encouragera l’entrepreneuriat au féminin dépendra d’une communication nationale forte sur des grands médias qui mettent en scène des entrepreneurs, notamment des femmes, parce qu’il est nécessaire de proposer des rôles modèles de manière à ce que les gens puissent se projeter dans des parcours, dans des histoires, dans des vraies personnalités pour qu’ils puissent se dire vouloir faire de même. Mais audelà, il y a tout le sujet de l’information pour savoir que l’on peut devenir entrepreneur qui est important à développer. Une sensibilisation qui, je crois, devrait s’amorcer dès l’école primaire comme cela a d’ailleurs été recommandé lors des Assises de l’Entrepreneuriat. Il est intéressant en effet que l’on puisse parler aux enfants du sujet d’entreprendre en le présentant comme une option au statut de salarié et en montrant des exemples, notamment de femmes, qui ont entrepris et ont réussi. Il faudrait également créer un vrai site mobile comportant un maximum d’informations locales sur les différentes associations à contacter pour créer une entreprise et obtenir ainsi une sorte de passeport de l’entrepreneur. Enfin, il me paraît intéressant de proposer un véritable accompagnement, surtout lorsque l’on est une femme parce que celle-ci doute souvent davantage de ses propres capacités qu’un homme. Un accompagnement pour lever de l’argent, se développer, trouver des mentors, etc. IE : En termes de femmes entrepreneures, la France vous paraît-elle se situer dans une bonne moyenne par rapport aux autres pays européens ? CB : Je pense qu’il y a énormément de talents dans notre pays, d’intelligences, de bonnes idées, de dynamisme et d’envies aussi de sortir de la situation de crise qui est lourde à vivre. Mis à mon sens, ce n’est pas avec les entreprises actuelles que l’on pourra sortir de cette crise. Il faut en créer de nouvelles pour générer des emplois et de la croissance. Beaucoup de femmes, une fois qu’elles auront repris confiance en elles et pourront se dire qu’elles aussi peuvent le faire, passeront alors à l’acte. Il est temps aujourd’hui de libérer tous ces beaux talents, toutes ces extraordinaires énergies, par la communication notamment. Et puis, il faut que la fiscalité soit également favorable aux entreprises. La poésie, c’est bien joli, mais ce sont malgré tout les mathématiques qui font la différence ! Or, sur ce chapitre de la fiscalité, force est de dire que la France s’avère loin d’être la plus performante d’Europe. Un constat qui, je l’espère, pourra très prochainement changer …