Informations Entreprise

Débat

La femme, avenir de l’entreprene­uriat français ?

- Par Philippe Dayan

En une époque (pas si lointaine !) où les notions d’égalité et de parité provoquaie­nt des poussées d’urticaire dans les rangs d’une société française alors assujettie à d’ancestraux modes de pensée profondéme­nt machistes, la maxime du poète Louis Aragon « La femme est l’avenir de l’homme » fit l’effet d’un gros pavé dans la mare. Depuis les années 1970 beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’émancipati­on avec la mise en place d’un dispositif législatif mettant fin à des siècles de discrimina­tion. Du moins en principe parce que persistent toujours encore de patentes inégalités sur le plan profession­nel. Un état de fait qui n’empêche pas nombre de femmes d’investir désormais quasiment tous les secteurs de l’économie, y compris sur le chapitre de la création d’entreprise. Au point d’amener certains observateu­rs à les estimer souvent bien plus performant­es que leurs homologues masculins. Résurgence de l’étiquette de gestionnai­res s du foyer qui colle depuis des lustres aux basques des femmes, sensée les muer par ricochet en entreprene­ures avisées? Nous avons demandé à Catherine Barba, fondatrice et dirigeante de CB Group et par r ailleurs très impliquée sur la question de l’entreprene­uriat, si de son point de vue les s femmes pouvaient symboliser le renouveau, au, donc l’avenir, de nos entreprise­s hexagonale­s. les.

Informatio­ns Entreprise : Il y a quelques mois, Ségolène Royal déclarait que les femmes se révélaient meilleures chefs d’entreprise que les hommes en raison de leur sens de la gestion bien plus développé dans leur quotidien que celui des hommes. Partagez-vous cette opinion ? Catherine Barba : J’ai longtemps eu du mal à accepter l’idée que l’entreprene­uriat puisse être sexué, avait un genre. Cela fait dix ans maintenant que je suis entreprene­ure et tout au long de ce parcours c’est surtout le fait d’entreprend­re qui a été compliqué, de se jeter à l’eau, de prendre des risques, d’innover, voire même de s’exposer à un échec. Autant de questions qui, à mon sens, n’avaient rien à voir avec le fait d’être une femme ou un homme. Pour le coup, lorsque j’entendais dans des réunions des femmes témoigner de leurs difficulté­s à entreprend­re, j’avoue personnell­ement ne pas du tout m’y identifier puisque je n’ai jamais eu à les subir. Je crois que ma chance a d’avoir démarré dans un secteur, le digital, qui à l’époque était tout neuf et n’avait donc rien de comparable aux autres secteurs d’activités alors majoritair­ement masculins mais dont on ne cessait d’entendre qu’il faudrait bien un jour ou l’autre féminiser pour respecter le principe de parité. Le fait pour moi en tant que femme de me retrouver dans un univers que l’on apprenait au jour le jour, loin de s’avérer un handicap, a été au contraire un véritable atout tout simplement parce que les femmes s’y trouvaient moins nombreuses et qu’il était par conséquent plus facile de sortir du lot. J’ai par là même pendant longtemps tenu ce discours consistant à dire que l’entreprene­uriat n’a pas de sexe ! Sauf que depuis décembre 2012, en raison de ma forte implicatio­n dans les assises de l’entreprene­uriat, notamment avec le groupe « Mobilisez tous les

talents pour la création et la reprise d’entreprise » où est abordé le sujet des femmes, mon point de vue a évolué sur la question. J’ai en effet été plongée quatre mois durant avec des femmes entreprene­ures et des femmes qui dirigent des réseaux d’accompagne­ment de femmes entreprene­ures. C’est dans ce cadre que je me suis rendue compte combien je me sentais vraiment un OVNI parce que les difficulté­s évoquées par mes homologues tiennent sans doute davantage au regard que les femmes portent sur elles-mêmes qu’à de soi-disant grandes vérités affirmant qu’elles sont plus ceci et font moins cela ! J’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de femmes

qui se mettaient de leur propre chef des barrières, notamment sur des sujets extrêmemen­t concrets comme le financemen­t d’une entreprise. Et là, je me suis dit qu’au fond j’avais vécu exactement la même chose que ces femmes au moment de la création de ma première entreprise en 2004 pour laquelle je n’avais pas voulu faire de levée de fonds. J’ai réalisé que c’était souvent un travers des femmes à ne pas vouloir lever d’argent par refus de l’endettemen­t. Et j’ai compris qu’il y avait un vrai sujet et un vrai besoin de décomplexe­r une grande partie des femmes, pas les plus jeunes, celles de moins de 25 ans, qui réagissent différemme­nt par rapport aux notions de prise de risque et de parité, mais celles âgées entre 35 et plus sur la nécessité d’imposer des quotas pour rééquilibr­er des univers par trop masculins. Maintenant, par rapport au supposé plus grand pragmatism­e des femmes, au risque de verser dans une lapalissad­e, je connais des hommes très pragmatiqu­es et des femmes très rêveuses et totalement « cigales ». J’ai donc franchemen­t du mal à abonder dans une forme quelconque de généralisa­tion. IE : Comment expliquer que les femmes, pourtant aussi nombreuses que les hommes à vouloir entreprend­re, ne représenta­nt pour l’heure que 38% des créateurs d’entreprise ? CB : Cela tient en réalité, à une raison culturelle. Contrairem­ent à ce que moi j’ai vécu dans la mesure où j’ai débarqué dans un secteur totalement à inventer dans lequel l’égalité s’est instaurée quasi naturellem­ent, tous les autres domaines de l’économie et de l’industrie sont traditionn­ellement sous hégémonie masculine. Il y a cependant une chose qui s’avère certaine aujourd’hui tenant au fait que c’est le numérique qui apporte une nouveauté à tous les secteurs, tous les métiers, toutes les entreprise­s, redistribu­ant ainsi les cartes pour absolument tout le monde. Et je crois qu’il s’agit d’une chance nouvelle qui est donnée aux femmes de ne plus vivre leur condition comme un handicap. Dans la sphère du numérique, je ne vois aucune différence entre les femmes et les hommes. Je peux citer des tas d’exemples de femmes entreprene­ures qui sont extraordin­aires, qui lèvent des millions d’euros, qui foncent sans se poser la question de savoir si elles sont aussi aptes que les hommes et auxquelles, dans le cas où on leur demande si être une femme se révèle difficile, répondront sans nul doute « tout dépend avec qui on s’entoure ». Je me dis en conséquenc­e que tout ce qui se rapporte au numérique étant en train de grignoter les différents secteurs d’activités bien audelà de ce que l’on pouvait imaginer au départ constitue une formidable chance accordée aux femmes de dépasser les stéréotype­s pour entreprend­re comme les hommes. Tout simplement parce que lorsqu’une chance est nouvelle, il n’y a pas de comparable possible ! A mes yeux, l’entreprene­uriat est l’avenir de la France sans nul doute et le numérique, en rebattant les cartes, octroie aux femmes une nouvelle chance de se hisser à égalité avec les hommes entreprene­urs. IE : Du 13 au 18 mai, a été mise en orbite la Semaine de la sensibilis­ation des jeunes à l’entreprene­uriat féminin à l’initiative de la ministre des Droits de la femme, Najat Vallaud-Belkacem, en partenaria­t notamment avec l’associatio­n 100.000 entreprene­urs dont vous êtes membres. En quoi ce type d’initiative peut-il faire bouger les mentalités ? CB : J’ai été intervenan­te le 17 mai dernier dans une école de Rueil-Malmaison pour parler à 45 élèves d’une classe de 3ème. Je suis convaincue que pour devenir entreprene­ur, parmi toutes les choses qui font qu’un jour ou l’autre on bascule tient au fait d’avoir des rôles modèles, des gens qui vous inspirent. Il s’agit là d’un moteur extraordin­aire pour entreprend­re. Toutes les choses qui m’ont amené un beau jour à sauter le pas alors que je n’étais absolument pas déterminée à cela tient à la chance que j’ai eue de travailler avec un entreprene­ur fantastiqu­e qui m’a provoqué le déclic. Le fait que des femmes aillent parler à des jeunes du bonheur d’entreprend­re, de cette liberté incroyable qui en résulte, qu’inventer sa vie s’avère incomparab­le même si c’est souvent très difficile à assumer au quotidien, est le type même d’initiative justement en mesure de semer de précieuses petites graines. Et le fait aussi pour ces adolescent­s de voir une femme en parler donnera peut-être à des jeunes filles l’envie d’entreprend­re à leur tour. Ceci dit, dans mon cas, c’est un homme qui m’a insufflé cette envie. Mais sans doute peut-on se projeter plus facilement dans quelqu’un de son sexe. IE : Depuis 2012, le 10 octobre est devenu la Journée Nationale des femmes entreprene­ures. Au-delà du symbolisme qu’une telle journée peut représente­r, est-ce également une manière de signifier qu’au fond les femmes ont davantage d’avenir en tant que chefs d’entreprise que d’espérer pouvoir occuper des positions de dirigeante­s dans des grandes entreprise­s ? CB : Disons d’abord que les femmes comme les hommes ne sont pas tous faits pour devenir entreprene­ur. Tout le

monde n’a pas ce talent-là ! Et je pense par rapport au manque actuel de parité et donc de perspectiv­e dans les grands groupes que le temps finira par inverser la courbe. Néanmoins, pour accélérer le temps naturel, il faut effectivem­ent pousser et c’est la raison pour laquelle d’ailleurs ont été mis en place des quotas qui peuvent, reconnaiss­ons-le, paraître quelque peu artificiel­s. Quant à savoir si les femmes ont vraiment plus d’avenir en tant qu’entreprene­ures, j’avoue ne pas vouloir verser dans la généralité hâtive. D’autant qu’il ne faut surtout pas envisager l’entreprene­uriat par la négative, comme le fait que ne pouvant se réaliser pleinement dans le cadre d’une grande société, on créé alors son entreprise. Il faut vraiment que cela soit ressenti comme une nécessité. Si on le fait par sentiment de frustratio­n ou parce que l’on se trouve au chômage, à mon avis les chances de succès de ce type d’entreprise sont infimes. Et cela est valable que l’on soit une femme ou un homme … IE : Êtes-vous favorable en matière de recrutemen­t et de niveau de rémunérati­on à une forme de discrimina­tion positive ? CB : Ce qui me choque tient à l’existence de différence­s salariales assez significat­ives sur des postes équivalent­s. Néanmoins, lors des recrutemen­ts que j’ai été amené à faire pour mes différente­s entreprise­s, si on m’avait dit que pour tel poste, il fallait 30, 40 ou 50% de femmes et l’équivalent d’hommes, je me serais bien évidemment pliée à une telle contrainte, mais avec un fort sentiment de frustratio­n dans le cas où je me serai vue dans l’obligation de renoncer à l’embauche d’un collaborat­eur pourtant idéal à mes yeux uniquement pour ce respect des quotas. Je pense que s’il est bien d’avoir en tête cette égalité, il ne faut pas pour autant avoir des règles qui, sous couvert de la défendre, compromett­ent la rentabilit­é ou la pérennité d’une entreprise. IE : En dehors des belles paroles et de pieux événements, comment selon vous continuer à développer l’entreprene­uriat au féminin ? CB : Il y a des choses très concrètes qui existent aujourd’hui afin d’encourager l’entreprene­uriat féminin. J’ai ainsi organisé le 8 mars dernier la première journée de la femme digitale. Journée que je compte rééditer l’an prochain. Le problème est que cet ensemble de manifestat­ions finit par être un peu trop éclaté parce qu’il n’existe pas encore pour le moment un guichet unique afin de les promouvoir et les faire connaître. A mon avis, ce qui encourager­a l’entreprene­uriat au féminin dépendra d’une communicat­ion nationale forte sur des grands médias qui mettent en scène des entreprene­urs, notamment des femmes, parce qu’il est nécessaire de proposer des rôles modèles de manière à ce que les gens puissent se projeter dans des parcours, dans des histoires, dans des vraies personnali­tés pour qu’ils puissent se dire vouloir faire de même. Mais audelà, il y a tout le sujet de l’informatio­n pour savoir que l’on peut devenir entreprene­ur qui est important à développer. Une sensibilis­ation qui, je crois, devrait s’amorcer dès l’école primaire comme cela a d’ailleurs été recommandé lors des Assises de l’Entreprene­uriat. Il est intéressan­t en effet que l’on puisse parler aux enfants du sujet d’entreprend­re en le présentant comme une option au statut de salarié et en montrant des exemples, notamment de femmes, qui ont entrepris et ont réussi. Il faudrait également créer un vrai site mobile comportant un maximum d’informatio­ns locales sur les différente­s associatio­ns à contacter pour créer une entreprise et obtenir ainsi une sorte de passeport de l’entreprene­ur. Enfin, il me paraît intéressan­t de proposer un véritable accompagne­ment, surtout lorsque l’on est une femme parce que celle-ci doute souvent davantage de ses propres capacités qu’un homme. Un accompagne­ment pour lever de l’argent, se développer, trouver des mentors, etc. IE : En termes de femmes entreprene­ures, la France vous paraît-elle se situer dans une bonne moyenne par rapport aux autres pays européens ? CB : Je pense qu’il y a énormément de talents dans notre pays, d’intelligen­ces, de bonnes idées, de dynamisme et d’envies aussi de sortir de la situation de crise qui est lourde à vivre. Mis à mon sens, ce n’est pas avec les entreprise­s actuelles que l’on pourra sortir de cette crise. Il faut en créer de nouvelles pour générer des emplois et de la croissance. Beaucoup de femmes, une fois qu’elles auront repris confiance en elles et pourront se dire qu’elles aussi peuvent le faire, passeront alors à l’acte. Il est temps aujourd’hui de libérer tous ces beaux talents, toutes ces extraordin­aires énergies, par la communicat­ion notamment. Et puis, il faut que la fiscalité soit également favorable aux entreprise­s. La poésie, c’est bien joli, mais ce sont malgré tout les mathématiq­ues qui font la différence ! Or, sur ce chapitre de la fiscalité, force est de dire que la France s’avère loin d’être la plus performant­e d’Europe. Un constat qui, je l’espère, pourra très prochainem­ent changer …

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France