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Le Qatar se paie-t-il vraiment la France ?
Alors que nombre de nos grandes fortunes, pontes des affaires et rois du show-biz, font le choix de s’expatrier de France pour voir si, ailleurs, les pâturages sont plus verts fiscalement, un pays
du golfe persique aussi minuscule que richissime a fait celui d’y investir massivement. Une contrée à peine plus étendue que la Corse, coincée entre la « pétrodollars » Arabie Saoudite et
la dogmatique Iran, demeurée des lustres durant sous domination perse, ottomane et britannique avant d’accéder à l’indépendance le 3 septembre 1971. Le Qatar puisque c’est de ce pays dont il s’agit ! Un lilliputien à l’appétit d’ogre, dont les immenses réserves gazières
lui permettent de tout s’offrir sur la planète. Des pans entiers de l’industrie européenne comme des palaces, des marques de luxe ou des clubs sportifs.
Une boulimie frénétique amenant nombre d’observateurs et de médias à se demander si le Qatar n’aurait pas lancé une véritable OPA sur notre Hexagone. Pourtant, avec la récente abdication de l’émir Hamad bin Khalifa al-Thani au profit de son fils Tamim réputé plus intéressé à devenir le maître des pays
du Golfe que celui du monde, rien ne dit qu’il persistera dans cette voie d’investissements tous azimuts. Enquête.
Depuis des mois, au rythme de la diversification de ses investissements en Europe et, plus particulièrement en France, le Qatar ne cesse d’entretenir les rumeurs les plus folles, de faire les choux-gras de la presse, de provoquer des sueurs froides dans les milieux d’affaires et des poussées d’urticaire dans la classe politique, d’engendrer une flopée d’ouvrages allant du « Qatar, les secrets du coffre-fort * » au « Vilain petit Qatar** » en passant par « Qatar(isme)*** ». Un incroyable torrent où l’on ne sait plus trop établir la part de vérité et la part de fantasme, dont les effluves bling bling finissent par engendrer dans l’esprit du lambda un sentiment aussi étranger que nauséeux de se retrouver happé dans une histoire de secrets et d’argent, de passe-droits et de duperie à grande échelle dont rien ni personne ne parvient à maîtriser le flux. L’an dernier, certains membres de notre classe politique, Marine Le Pen en tête, s’inquiétaient publiquement de la stratégie d’investissement du Qatar en France et d’éventuelles visées communautaristes. Une inquiétude provoquée, rappelons-le, par le financement du projet d’un fonds pour les banlieues par le Qatar et dont la résonance auprès de l’opinion publique, alors que la campagne présidentielle de 2012 battait son plein, avait revêtu de forts relents d’islamophobisation. Pourtant, ainsi que le soulignent Christian Chesnot et Georges Malbrunot, les deux auteurs du livre « Qatar, les secrets du coffre-fort », ce n’est pas ce pays mais l’Association nationale des élus de la diversité (ANELD) qui avait eu l’idée en 2008, au début de la crise financière, de prendre contact avec les autorités qatariennes pour les convaincre de prendre le relais des banques ne voulant d’un seul coup plus
prêter d’argent aux porteurs de projets dans les banlieues. Mais le mal était causé et l’huile bel et bien jetée sur le feu. Et cette affirmation brandie comme un étendard par certains concernant la supposée volonté hégémonique de l’émirat du Qatar sur la France via son feu d’artifices d’investissements a obligé le pouvoir socialiste fraîchement élu et bien obligé de composer avec les encombrants « amis » qatariens des gouvernements précédents à monter au créneau. Ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem a ainsi répondu ne pas comprendre les inquiétudes sur les investissements du Qatar en France, estimant qu’il s’agit de business et qu’il fallait s’en réjouir. Un enthousiasme que les langues acérées qualifieront de forcé tant la réception réservée le 7 juin 2012 par le nouveau Président de la République François Hollande à Hamad ben Jassem al-Thani dit HBJ, Premier ministre du Qatar et homme d’affaires parmi les plus riches du monde, a tenu davantage de la douche froide que des chaleureuses effusions prodiguées par le grand ami de son pays Nicolas Sarkozy. Un précieux allié pour l’émirat à la fois sur la scène internationale en l’associant à plusieurs reprises à la politique étrangère de la France au Moyen-Orient et au niveau de notre balance commerciale. A peine quinze jours après son investiture à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy obtenait de la part de l’émir du Qatar un contrat de seize milliards de dollars portant sur l’achat (promis) de quatre-vingt Airbus. Sans oublier la signature d’un chèque de caution de trois cent cinquante millions d’euros établi par l’émirat à la demande pressante du chef de l’État français au profit de la Libye pour sortir les infirmières bulgares des geôles de Kadhafi. Un sérieux coup de main qui valait bien pour contrepartie l’exonération de l’émirat sur les plus-values de l’ISF. Un privilège que son successeur socialiste n’entend apparemment pas remettre en cause même si entre le « Président normal » et ce « Berlusconi du désert » qu’est Hamad ben Jassem al-Thani le courant passe mal …
>> Entre la France et le Qatar, des liens de longue date
Et pourtant, si sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy cette drôle de romance d’amour et d’argent avait atteint comme une sorte de septième ciel, il faut remonter à plusieurs décennies précédentes pour en trouver les prémisses. « Il y a quarante ans, pour les français, le Qatar se résumait à un tas de sable avec un peu de pétrole. L’émirat, qui venait d’arracher son indépendance aux Britanniques, se cherchait un protecteur. Giscard a sauté sur l’occasion et en a profité pour équiper leur armée de pied en cap » peut-on entendre dans les milieux de la diplomatie française. Une idylle qui s’est consolidée sous la présidence de François Mitterrand dont la dimension de « monarque constitutionnel » a rapidement estompé les craintes du pouvoir qatarien par rapport à
l’arrivée d’une gouvernance de Gauche aux manettes de leur très chère « dulcinée » France. Ne dit-on pas que l’émir d’alors, Khalifa bin Hamad al-Thani, passait prendre le thé chaque été au Palais de l’Élysée avant de rallier Al Rayyan, sa gigantesque propriété située à Mougins, près de Cannes. Une habitude qu’il gardera jusqu’en 1995, année de sa destitution par son propre fils, le prince héritier Hamad ben Khalifa al-Thani que tout le monde surnomme familièrement HBK. Un coup d’état que celui-ci a pu mener avec succès grâce au soutien actif de HBJ, trente-six ans à l’époque et qui officiait près du vieil émir en qualité de Ministre des Affaires Étrangères. Il faut dire que le complot avait été réglé par les conjurés avec la précision d’une partition musicale dans la mesure où les voisins du Qatar, les Émirats arabes unis avaient déjà été mis dans la confidence et même les «ennemis » israéliens approchés par l’intermédiaire d’un libanais très en cour auprès du lobby juif américain. Celui-ci avait réussi à convaincre la maison Blanche d’approuver le putsch à Doha sous la condition expressément posée par Bill Clinton que le nouvel émir reconnaisse Israël. Une condition qui trouvera en effet sa concrétisation quelques mois plus tard avec l’ouverture d’un bureau d’intérêt commercial israélien dans la capitale qatarienne. La France, à l’époque présidée par Jacques Chirac très lié au vieux cheikh, certes dépossédé des on trône mais nanti tout de même d’une très confortable fortune évaluée à 4,5 milliards de dollars (un montant dû au fait qu’en bédouin madré, celui-ci avait mis à son nom l’essentiel des avoirs du Qatar pour les placer dans des paradis fiscaux et des investissements immobiliers), s’est pour sa part davantage fait prier dans la reconnaissance du nouveau souverain. Un comportement récalcitrant qui vaudra à notre pays de se trouver écarté des gros contrats qatariens durant quasiment dix ans.
>> Un business de famille … royale !
Une chose apparaît en tous les cas certaine c’est que le tandem HBJ-HBK a d’emblée nourri de grandes ambitions pour l’émirat « confetti ». D’autant qu’avec son énorme puissance financière due à ses ressources gazières conjuguées au formidable appétit d’acquisitions, sans lien du reste avec une stratégie clairement définie, du duo, le Qatar entend désormais bien peser sur l’échiquier international. Ajoutons y une autre raison tenant de l’ordre psychanalytique dans le sens où sur les deux millions d’habitants que l’émirat recense, moins de 200.000 d’entre eux sont authentiquement des sujets nationaux. Une peur de disparaître qui a amené le pouvoir en place a tout miser sur ce qu’en anglais on appelle le soft power, c’est-àdire user de l’influence économique et médiatique plutôt que militaire, terrain où le Qatar dispose d’une modeste armée de quinze mille hommes. Un pouvoir ultra concentré auquel il serait juste d’y associer une troisième personne, en l’occurrence la Cheikha Moza bin Nasser al-Misnad, la seconde épouse et favorite de l’émir. Dirigeante (de fer) de la toute puissante Qatar Foundation et très écoutée du monarque (les observateurs s’accordent à dire que les investissements das le luxe et l’éducation sont à mettre au crédit de son influence), elle est aussi l’ennemie jurée de celui qui, depuis 2007, occupe les fonctions de Premier ministre, autrement dit l’incontournable HBJ. Chaque année, le trio (que les esprits critiques qualifient d’infernal) s’interroge sur la manière de dépenser quarante à cinquante milliards de dollars. Une somme vertigineuse provenant des excédents budgétaires générés par le gaz exporté. Lesquels, précisons-le, n’alimentent pas les revenus du pétrole nettement plus faibles. La grande partie de ce flot de liquidités est reversée dans le fonds souverain géré par l’Autorité des investissements du Qatar (Qatar Investment Authority, QIA) mis en orbite par l’émir en 2005. Selon l’enquête menée par les auteurs de « Qatar, les secrets du coffre-fort », à la fin de l’année 2012, « la QIA disposerait d’environ 120-130 milliards de dollars de réserves. C’est un montant très inférieur à celui d’Abu Dhabi (627 milliards de dollars) ou de la Norvège (656, 2 milliards de dollars),
mais le fonds souverain du Qatar a une particularité intéressante : il augmente très vite, de quelque 30 milliards chaque année, et il est surtout devenu l’un des plus actifs. Pour la seule année 2010, grâce à la QIA, Doha a investi pas moins de 17 milliards de dollars dans des projets industriels ». Un fonds destiné, selon les déclarations de l’émir, à soutenir le projet Qatar-2030 ayant, entre autres, pour objectifs de « Moderniser tout en préservant les traditions » et « Répondre aux besoins des générations actuelle et future ». Des intentions belles comme « le Jardin d’Allah » mais qui, selon les spécialistes, n’est rien d’autre qu’un habile plan de communication à destination de la population qui se pose de sérieuses questions sur la folie des grandeurs et des investissements de ses dirigeants. Un trio devenu quatuor avec l’irruption dans la danse de Tamim, prince héritier, deuxième fils de l’émir et de Cheikha Moza, jusquelà commandant en chef adjoint des forces armées et désormais Émir en titre après l’abdication de son père en sa faveur le 25 juin dernier, ce qui lui confère le titre de plus jeune souverain d’une monarchie du Golfe. Une abdication, entre nous soit dit, qui rompt avec la tradition des monarchies locales dont les dirigeants restent généralement en place jusqu’à leur mort ou qu’ils soient renversés. Or, force est de constater que dans l’histoire récente du monde arabe, aucun souverain n’a jamais renoncé au pouvoir de son plein gré ! Ce même Tamim qui, pour l’instant encore, préside le conseil d’administration de la QIA tandis que HBJ, le Premier ministre, en assume la direction générale. Tout comme avec «maman », les relations avec le « fiston » sont loin d’être sous le signe de l’entente cordiale et on peut s’interroger sur le futur de cet homme rusé qui sait comme personne faire le dos rond lorsque les circonstances et la préservation de ses intérêts l’exigent. En tout état de cause, ce fonds est scindé en deux entités : Qatar Dyar (QD) et Qatar Holding (QH). La première gère les investissements immobiliers et ceux effectués dans les infrastructures. La seconde détient les participations stratégiques dans les sociétés étrangères, mais là, comme par hasard, ce n’est pas Tamim mais HBJ qui en est le Président du conseil d’administration.
>> Une pluralité de domaines d’investissements
Tandis que Qatar Holding a ce que l’on pourrait qualifier de comportement d’investisseur dormant (dans son portefeuille, on trouve 3% de Total, 2% de Vivendi, 1% de France Télécom, 1% de LVMH), Qatar Dyar multiplie les investissements tous azimuts, tant
dans le football et le spectacle que dans un certain nombre de fleurons industriels. Pour l’heure, sur le plan mondial, le Qatar a investi 25,5 milliards de dollars dans les banques, 27 milliards de dollars dans l’Industrie-Énergie, 2,3 milliards de dollars dans les matières premières, deux milliards de dollars dans les Télécommunications et les médias. Concernant plus précisément la France, l’émirat mise clairement la carte de la diversification dans leurs investissements. Hormis le domaine bancaire pour l’instant encore ignoré - le Qatar a des participations chez Crédit Suisse à hauteur de 6,17%, Barclays pour 6,8%, les banques grecques Euro-Bank et Alpha-Bank à hauteur de 17%, la Banque agricole de Chine pour 2,1% et la Banco Santander pour 5% - toutes les autres sphères de nos activités se voient « courtisées » et «épousées» par les différents fonds qatariens. A commencer par l’industrie et l’énergie où le Qatar pèse de manière conséquente dans les capitaux de trois de nos géants du genre. Celui de Veolia où, via Qatari Diaz, il détient depuis 2010 5% des parts et jouit de droits de vote au conseil d’administration. Celui du groupe Vinci où il possède 5,8% des parts depuis décembre 2011 mais avec pour contrepartie la cession à 100% de sa filiale Cegelec, spécialiste de l’ingénierie technique. Et celui de Total où, depuis début 2012, lui qui détenait jusqu’alors 2% des parts du groupe est passé à 3,8%, le hissant au rang de l’un des principaux actionnaires derrière les salariés et le belge Albert Frère (via sa holding Groupe Bruxelles Lambert). Rappelons que si, à la fin de l’année 2008, le Qatar était entré dans le capital de Suez Environnement à hauteur de 2,98%, un an et demi plus tard il en cédait les deux tiers avant de s’en retirer complètement. L’immobilier occupe également une place de choix dans les investissements du Qatar sur notre territoire, l’un des deux pays européens ciblés avec la Grande Bretagne. Outre-Manche, la QIA a profité de la faiblesse de la livre et d’une perspective de reprise du marché pour pratiquer une politique active d’acquisitions
de biens comme Chelsea Barracks, une caserne édifiée dans les années 1860 dans le quartier de Westminster et acquise en 2007 pour un montant de 959 millions de livres sterling, et le London Olympic Village acheté pour 900 millions de dollars. En France, l’intérêt qatarien s’est d’abord beaucoup porté sur les hôtels de luxe. Il a ainsi racheté à Paris le Royal Monceau pour 330 millions de dollars, l’Hôtel du Louvre, le Peninsula et le Concorde Lafayette (parmi les prochains projets d’acquisition figurerait le mythique Crillon, propriété d’un membre de la famille royale saoudienne, également fortement guigné par le conglomérat hongkongais New World Group) et à Cannes le Carlton pour 715 millions de dollars, le Martinez et a investi dans la société fermière du casino municipal cannois (casinos Barrière Croisette et Les Princes). En juin 2012, le Qatar a racheté à Groupama l’immeuble de 27.000 m2 abritant un magasin Virgin au 52/60 de l’avenue des ChampsElysées pour la somme de 500 millions d’euros. Citons encore l’acquisition sur la très chic île Saint-Louis de l’hôtel Lambert par le frère de l’Emir. Propriété de la famille Rothschild, celui-ci l’a racheté en 2007 pour la coquette somme de 60 millions d’euros. Autres acquisitions : l’hôtel Kinski acheté par le premier ministre HBJ à l’État français en 2006 pour un montant de 28 millions d’euros, soit la moitié du prix estimé et l’hôtel Landolfo-Carcano située sur la très prestigieuse Place de l’Étoile, une des propriétés parmi les plus chères de la capitale et où le Qatar a installé son ambassade. Sous l’irrésistible impulsion de la Cheikha Moza pour le luxe à la française, l’émirat s’est offert des parts à hauteur de 1,03% du groupe LVMH via le fonds Qatar Holding. « Folle » de mode et d’accessoires, la très peopolisée Cheikha (au grand dam des conservateurs de l’émirat offusqués par ses tenues occidentales et sa manière ostentatoire de s’afficher à part égale aux côtés de son royal époux) a même été jusqu’à acquérir 86% du capital du maroquinier Le Tanneur par le biais de sa société Qatar Luxury Group. Il se rapporte à ce sujet une anecdote selon laquelle c’est au cours d’une « tea party » organisée par Carla Bruni-Sarkozy, alors première Dame de France, que la Cheikha aurait remarqué au bras de celle-ci un modèle de sac griffé Le Tanneur. Miss Carla se serait alors empressée de raconter l’histoire centenaire de ce maroquinier, laquelle saga risquait de tourner désormais court en raison de ses difficultés économiques jusqu’à suffisamment la sensibiliser pour inciter son invitée à ouvrir grand son propre sac- à- main afin d’y dégainer son chéquier … Dernièrement, un groupe d’investisseurs qatariens a acquis, par l’entremise de Disa, une société d’investissements luxembourgeois, les emblématiques magasins du Printemps en rachetant les participations à la fois de la Deutsche Bank ( 70%) et de la société italienne Borletti ( 30%). Initialement, il était prévu que cette dernière s’associe aux qatariens pour financer le rachat des parts de la Deutsch Bank tout en demeurant propriétaire du groupe de grands magasins. Au final, l’italien lui- même va se retrouver « absorbé » dans la mesure où ses propres actionnaires ont choisi de céder la totalité de leur participation dans Borletti Group à Disa. Si la plus grande opacité règne quant au montant exact de la transaction, certaines sources non officielles évoquent la somme de 1,6 milliards d’euros ! Quoiqu’il en soit, les craintes du personnel de l’enseigne résident dans le fait que le but des nouveaux propriétaires serait de transformer son navire amiral qu’est le magasin du boulevard Haussmann en loueur d’espaces pour les marques de luxe. Une option qui menacerait alors plus de deux cent emplois.
>> Des acquisitions avantageuses fiscalement.
Ainsi que nous en faisions allusion précédemment, cette présence qatarienne
accrue est pour beaucoup aussi le fait de la convention fiscale avantageuse consentie en 2008 par le gouvernement Fillon exonérant l’émirat sur les plus-values de l’ISF. Un texte ne faisant du reste que reprendre une règle non écrite mais suivie par tous les pays du monde qui veut que l’on ne taxe pas les chefs d’État et de gouvernement. Cette « tradition » fiscale a pour nom la « haute courtoisie internationale ». Le hic tient à ce que dans le cas du Qatar, la famille royale se confond avec l’État. Par là-même, si un membre apparenté de l’émir achète un hôtel particulier en France, on ne lui fera payer ni droits de mutation, ni ISF ! Inutile donc de s’étonner d’une telle fièvre acheteuse, en particulier encore dans le domaine des Télécommunications et des médias où la fin de l’année 2011 a été marquée par l’entrée du Qatar dans le capital de plusieurs gros « poissons » du secteur. A commencer par Vivendi où Qatar Holding a acquis 1,55% de
ses parts sociales. Une participation qui s’est accrue en septembre 2012 avec une augmentation à 2%, ce qui place l’émirat au vingtdeuxième rang des cent seize actionnaires. Devenu le premier actionnaire du groupe Lagardère fin 2011 avec 10,05% des titres, la très riche monarchie qatarienne a encore renforcé sa position dominante en juin 2012 en affichant désormais un pourcentage de 12,83%. Un intérêt qui, à dire vrai, ne remonte pas à la « dernière pluie » puisque des relations très amicales s’étaient nouées dès le milieu de la décennie 1990 entre jean-Luc Lagardère et le Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani. Si le courant était fortement passé entre les deux hommes, le « chevalier d’industrie » avait néanmoins exigé que l’âme damnée de l’émir, l’inévitable Hamad Bin Jassem alias HBJ, ne soit en rien associée à une éventuelle alliance d’affaires. Le décès de Jean-Luc Lagardère survenu au printemps 2003 avant que l’accord ne soit finalisé a jeté aux oubliettes une telle condition en raison de l’impérieux besoin d’un apport en fonds propres de son héritier Arnaud brusquement propulsé aux manettes du groupe paternel. La nouvelle cible de l’émirat : EADS, le fleuron aéronautique de Lagardère qui en détient 7,4% du capital. Davantage porté sur le sport et le people que sur l’industrie lourde, le frétillant Lagardère junior a finalement décidé de céder ses parts (évaluées à près de 1,18 milliards d’euros) d’ici à la fin du mois de juillet. Si on sait qu’EADS ne consacrera pas plus d’un tiers de trésorerie à cette opération, difficile d’affirmer avec certitude que le « loup des sables » en profitera pour investir plus fortement dans la « bergerie » aéronautique d’autant que, contrairement à ce que prévoyait l’accord sur la nouvelle gouvernance conclue à la fin décembre 2012, il n’y aura finalement pas de tranche réservée au groupe Lagardère, ni à aucun autre actionnaire de l’ancien pacte. Autre mastodonte de la sphère, France Télécom où l’émirat a pris en juin 2012 une participation de 1%. Ce qui le place parmi les quinze premiers actionnaires du groupe. Un investissement motivé, selon certaines sources, par la baisse du titre de France Télécom passé sous la barre des dix euros juste avant l’acquisition.
>> Banlieues, sport, paillettes et volée de critiques
Outre la création, en remplacement du projet initial de 50 millions d’euros destiné à aider les banlieues suspecté de prosélytisme religieux, d’un fonds commun franco-qatarien d’investissement de trois cent millions d’euros au profit des PME géré par la Caisse des Dépôts et Consignations et dont les investissements iront où la France décidera de les affecter, le nouveau terrain de jeu de l’émirat passe par le sport. En mars 2012, il possédait ainsi 100% des parts du PSG via Qatar Sports Investments (QSI), une émanation de son fonds souverain. Et en juin de la même année 2012, il a également pris le contrôle à 100% du Club de Paris Handball. Sur le feu : le prochain lancement d’une chaîne de télévision en français Al-Jazira Sport, émanation de la chaîne d’informations continues créée en 1996, en prolongement de la mise en orbite l’an dernier de France Beln Sport et Beln Sport 2 qui diffusent toutes deux au total seize sports différents sur leurs grilles. Autant d’investissements comme en forme de préludes au chantier le plus colossal engagé par l’émir Hamad bin Khalifa al-Thani, en l’occurrence l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022. Un événement évalué entre quinze et vingt milliards de dollars par an chaque année jusqu’en 2022 que le « patron» de l’émirat espère rentabiliser au centuple sur le plan de son retentissement à dimension planétaire. Les al-Thani se prendraient-ils pour les rois du monde en raison de leur fabuleuse force de frappe financière ? Et le Qatar ne serait-il qu’un ogre avide de dévorer des pans entiers non seulement de notre tissu industriel mais aussi de notre patrimoine artistique (n’ontils pas acheté un Cézanne «Les joueurs de cartes » pour le montant « historique » de 191 millions d’euros!) si l’on en croit le véritable « Qatar bashing » - traduisez par campagne de dénigrement – dont l’émirat est actuellement l’objet tant au Moyen-orient et dans le Golfe que sous nos latitudes hexagonales ? En clair, le Qatar se paierait-il la France comme le prétendent ses plus virulents détracteurs ? A dire vrai, une fois gratté le vernis du bling bling qui entoure cette minuscule contrée à laquelle les experts du monde arabe ne contestent nullement la totale fascination que ses dirigeants éprouvent à l’égard de la France et de son art de vivre, ce qui explique cette tentation à vouloir, à l’instar de la grenouille de la fable, « vouloir se faire plus grosse que le boeuf », force est de constater que la réalité des chiffres dévoile tout autre chose. Les investissements aujourd’hui réalisés par le Qatar dans notre pays s’élèvent à un total de près de douze milliards d’euros (dix milliards supplémentaires son attendus dans les prochaines années). Autrement dit, une broutille par rapport à la hauteur de ses autres investissements dans le monde ramenant ce genre de polémique à sa juste dimension de tempête dans un verre d’eau. Habitués à la tradition orale bédouine, les qatariens ne voient pas la nécessité de se justifier en communiquant. D’où l’incompréhension qui se fait grandissante par rapport à un pays, le nôtre, auquel l’émir et son clan estiment apporter du bien en rachetant au prix fort des pans de notre industrie parfois sérieusement en perdition et dont ils ne reçoivent en guise de remerciement que défiance et méchantes critiques. Or, ainsi que le dit un ancestral dicton, « à trop tirer sur la corde, elle finit toujours par se casser ». Et comme le pense le milieu des affaires, à trop tirer à boulets rouges sur le Qatar, à trop l’asticoter sur le pourquoi et le comment de ses investissements, il pourrait bien finir par se lasser et partir voir ailleurs si l’accueil est plus favorable qu’en terre française. D’autant qu’avec l’avènement de Tamim, certes parfaitement francophone mais bien plus traditionaliste que son père et dont les dernières déclarations laissent entendre qu’il est davantage intéressé par devenir le maître des pays du Golfe plutôt que celui du monde, rien n’assure qu’il poursuivra le même rêve d’expansion d’un pays certes nain par la superficie mais profondément géant par l’importance de ses investissements …