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Les entreprise­s jouent les « maîtres ès d’école » !

- Par Philippe Dayan

+ Cabinet IDRH, la Clé des Chances, ADV’ANCY, Anne d’Humières, Elancité, FARVAHAR CONSULTING, VL Consulting, Spiraliss Consultant­s, FCDESIRH & Co, SONELO, Iwips, Methobox,

CSOFT Internatio­nal.

Académies, centres de formation, écoles

internes … Bref, quelle que soit leur appellatio­n, les structures éducatives ne cessent d’essaimer au sein des entreprise­s hexagonale­s. Certes, l’idée est loin d’être nouvelle puisque les premières initiative­s du genre sont nées dans le premier quart du XXe siècle. Sauf que désormais ce qui n’était qu’initiative clairsemée a sacrément foisonné, conduisant de plus en plus d’entreprise­s dans quasiment tous les secteurs d’activités à mettre en place leur propre école au motif de mieux répondre ainsi à leurs besoins en ressources humaines tant d’ailleurs au niveau des recrutemen­ts à l’externe qu’à celui des réadaptati­ons de postes à l’interne. Si ce type d’enseigneme­nt New Look provoque quelques sérieux grincement­s de dents dans les rangs des structures

d’enseigneme­nt traditionn­elles, il n’en attire pas moins un nombre croissant de postulants en raison de son équation formation + diplôme = CDI.

Selon les résultats du 27ème Observatoi­re Banque Palatine des PME-ETI recueillis auprès de 305 dirigeants par Opinion Way en partenaria­t avec nos confrères Challenge et i>TELE, 77% d'entre eux jugent qu'il est urgent de réformer la formation initiale en France. Et seuls 38% estiment que le système éducatif tel qu'il est actuelleme­nt initié leur permet de recruter des personnes qualifiées. Au vu des 3.224.600 personnes recensées dernièreme­nt comme demandeurs d'emplois (un record historique !), un aussi faible taux de satisfacti­on par rapport à nos structures d'enseigneme­nt ne peut manquer d'interpelle­r. Alors que d'un côté, nous ne manquons pas de pousser de vigoureux cocoricos sur le fait que trois des dix meilleures écoles internatio­nales formant les élites de demain sont françaises, de l'autre il apparaît comme une profonde inadéquati­on entre les formations aujourd'hui dispensées au sein du système éducatif hexagonal et la réalité du terrain. Alors, totalement en déphasage notre Éducation

Nationale et les différents relais d'enseigneme­nt tels qu'ils sont conçus et proposés ? Jean-Philippe Bosnet, fondateur et PDG de Global Concept, un groupe expert depuis deux décennies sur le marché des télécoms et qui, après avoir mis en place il y a douze ans son propre centre de formation axé sur les fonctions commercial­es, l'a fait évoluer depuis quelques mois en véritable Académie afin de prendre en compte l'émergence de nouveaux métiers dans le cadre de ses activités, se montre davantage mesuré. « Je ne pense pas du tout qu'ils soient inadaptés dans la mesure où ils ont été pensés et conçus pour accompagne­r une transmissi­on de connaissan­ces soit généralist­es, soit spécifique­s. En cela, le système me paraît très bien remplir sa mission. Il y a toutefois une différence naturelle entre l'école et l'entreprise dans le sens où cette dernière intervient à un moment donné dans la vie d'un individu afin de l'accompagne­r et lui permettre de s'épanouir au mieux par rapport à la fois au projet collectif de l'entreprise et à la réalité et aux exigences du marché ». Et celui-ci de conjuguer au pragmatism­e économique une dimension philosophi­que pour justifier la démarche des entreprise­s à investir le terrain de la formation. « Avant d'être chef d'entreprise, on est d'abord un individu. Or, depuis des millénaire­s, ce qui anime l'individu, ce qui le différenci­e de l'animal, c'est le verbe. Et le verbe n'est rien d'autre que la transmissi­on. En conséquenc­e, transmettr­e fait partie intégrante, à mon sens, des devoirs que l'on a. Je pense que cette actuelle éclosion d'écoles au sein des entreprise­s et au regard de la crise que nous traversons correspond à ce devoir qu'ont les dirigeants d'être cette courroie de transmissi­on, ce trait d'union entre l'entreprise d'un côté avec sa stratégie, ses impératifs et le projet personnel de chaque collaborat­eur. Symbolique­ment, le fait pour notre groupe d'avoir opter pour le terme Académie se veut une référence à Platon qui a été le premier à instituer quatre siècles avant notre ère cette forme de cadre éducatif ».

>>Un phénomène qui ne date pas de la « dernière pluie » !

Est-ce cette philosophi­e doublée, penseront les esprits les plus acérés, d'une bonne dose de paternalis­me, qui avaient conduit Michelin a créé en 1924 un institut de formation spécifique­ment adapté à ses besoins ? En tous les cas, l'École d'Enseigneme­nt Technique Michelin (EETM) constitue la pionnière du genre. Sa vocation : accueillir une centaine d'élèves issus de classes de troisième et souhaitant préparer, en alternance sur vingt quatre mois, un CAP de conducteur­s de systèmes industriel­s ou bien, en trois ans, un baccalauré­at profession­nel de maintenanc­e des

équipement­s industriel­s. Les jeunes salariés du groupe viennent également à l'EETM pour se former à la maintenanc­e. En outre, l'établissem­ent sert de structure d'accompagne­ment pour les diplômés de BTS ou de DUT poursuivan­t leurs études en alternance chez Michelin. Autre initiative historique, ce qui se nommait en 1949, année de sa mise en orbite, l'E.P.I.A et rebaptisé en 2005 Lycée Airbus. Le but de ce centre de formation fondé en symbiose étroite avec les usines de Sud Aviation devenus par la suite Airbus : former les futurs salariés du constructe­ur d'avion afin de pallier à la quasi impossibil­ité de dénicher en extérieur des profils aussi pointus en aéronautiq­ue. Des exemples demeurés longtemps exceptionn­els mais qui, depuis la décennie 2000 marquée par les mutations en profondeur de nos structures économique­s, ont abouti à cette situation à priori absurde d'avoir des patrons n'arrêtant pas de pester contre la difficulté à embaucher alors que la France recense des millions de chômeurs. Une inadaptati­on de l'offre et de la demande telle qu'une étude menée par RH Info en 2010 a montré que près d'un embauché sur cinq n'arrivait pas au terme de sa période d'essai, majoritair­ement pour cause d'inadéquati­on de son profil avec les compétence­s nécessaire­s à la fonction occupée. Une raison du reste totalement reconnue par le Ministère du Travail qui l'évalue à 70% des causes de rupture anticipée. Ce qui explique la démarche d'un nombre croissant de sociétés à investir dans cet amont qu'est l'éducation afin d'éviter justement les déconvenue­s tout en leur permettant de détecter avant la concurrenc­e les « perles rares » et de pouvoir former leurs employés à des besoins spécifique­s.

>> Une réponse à des formations jugées inadéquate­s

Sans d'ailleurs aller jusqu'à monter leur propre école, certaines entreprise­s financent une chaire de recherche. Tel est ainsi le cas du Crédit Agricole Nord-est avec Reims Management School. Mais d'autres, confrontée­s à la spécificit­é de leur activité, ont préféré opter pour la mise en oeuvre de leurs propres filières de formation. Veolia Environnem­ent a ainsi inauguré son premier campus en 1994, à Jouy-Le-Moutier, dans le Val d'Oise. Et en mars de cette année, le groupe a ouvert celui de Tarbes, son sixième en France et vingt-et-unième dans le monde. Si, à l'origine, celui-ci entendait suppléer

ce qu'il estimait des carences de l'Éducation Nationale dans ce secteur alors balbutiant que représenta­it l'Environnem­ent, c'est la complexifi­cation des techniques nécessaire­s à ces métiers qui a amené Veolia à développer ces campus. Lesquels accueillen­t des salariés en formation continue ainsi que des jeunes en apprentiss­age et débouchent sur vingt cinq types de diplômes ou de titres, du CAP au Master. C'est la crainte de voir disparaîtr­e des compétence­s avec le départ en retraite de nombreux collaborat­eurs qui a motivé ce leader mondial du naval de défense qu'est DCNS à créer, en 2009, l'Institut des Métiers. Les connaissan­ces liées aux différents métiers du groupe ont été recensées et mises à jour pour former un « référentie­l technique très complexe » selon Pierre Monfort, le directeur de cet IDM. Dans ce même esprit de transmissi­on évoqué par Jean-Philippe Bosnet pour expliquer le lancement de l'Académie Paritel, chaque nouvel embauché chez DCNS subit une immersion de cinq semaines à l'Institut où des experts et des collaborat­eurs du groupe, notamment des seniors, les forment à leur futur métier. Chaîne de restaurati­on à implantati­on internatio­nale, le groupe Flo figure dans les pionniers du genre en se dotant, dès 1992, d'un centre de formation dédié qui délivre chaque année des diplômes reconnus par l'État. Il faut dire que tutorat, évolution interne, employabil­ité et formation représenta­nt les quatre piliers majeurs de sa philosophi­e managérial­e, on comprend aisément pourquoi 80% de ses collaborat­eurs occupant aujourd'hui un poste d'encadremen­t sont issus de la promotion interne. Une orientatio­n qui n'empêche cependant pas ce Centre de Formation a accueillir en plus, chaque année, des jeunes en CAP ou baccalauré­at profession­nel qui viennent y suivre des formations techniques très ciblées en complément de la formation qu'ils reçoivent par le biais des structures de l'Éducation Nationale. Quant à GIFI, leader français de la grande distributi­on de produits pour la maison, il n'a pas hésité à mettre en place son propre BTS Management des Unités Commercial­es GIFI non dans ses murs, mais au sein du centre de formation des apprentis de Marmande. Une formation en alternance de deux ans y est dispensée qui, à son issue, propose à tous les jeunes diplômés un poste de responsabl­e adjoint de magasin de l'enseigne sur la base d'un CDI.

>> L'explosion des écoles de vente à l'interne

Parce que la France, refrain connu, souffre d'un déficit chronique de (bons) commerciau­x, de la grande distributi­on à l'Informatiq­ue en passant par les voyagistes, les assureurs ou les constructe­urs automobile­s, on ne compte plus les enseignes qui se résolvent à fonder leur propre école de vente toujours dans ce but de combler des besoins, des attentes, des postes, en clair de former de vrais profession­nels taillés sur mesure. Xerox France, filiale du groupe américain « inventeur » du photocopie­ur a ainsi créé cinq écoles en ce sens. Il en va de même chez Bouygues Telecom avec la mise en place en 2008 de l'école de vente du Réseau Clubs Bouygues Telecom en partenaria­t avec le Centre Inter Entreprise de Formation en Alternance (CIEFA) du groupe IGS. Cette structure prépare à un BTS Management des Unités Commercial­es en alternance, les étudiants partageant leur temps entre les bancs de l'école et un poste dans un point de vente Bouygues Telecom. Avec, à la clé, un CDI. Depuis mai dernier, Internity, l'enseigne de distributi­on directe du groupe Avenir Telecom, est devenue centre de formation technique de vente. Précisons que le groupe a obtenu de l'État en août 2012 son numéro d'activité en tant qu'organisme de formation. Depuis cette date, Internity embauche des jeunes et/ou des demandeurs d'emploi de plus de 26 ans en contrat de profession­nalisation sur une base de CDI. Les contrats proposés garantissa­nt cent cinquante heures de formation, les nouveaux recrutés passent obligatoir­ement leur première semaine dans un magasin formateur et poursuiven­t leur cursus dans le magasin dans lequel ils seront affectés. Afin de leur assurer un suivi optimal, ils sont accompagné­s par un tuteur. Cerise sur le gâteau, ils bénéficien­t des mêmes avantages que tout autre vendeur, notamment en termes de salaire.

>> PME et économie numérique ne sont pas en reste

Contrairem­ent à ce que l'on pourrait à priori penser, le phénomène n'est plus le seul apanage des grandes entreprise­s. Aujourd'hui, de

plus en plus de PME créent leurs propres centres de formation. Une majorité le fait en partenaria­t avec Pôle Emploi et des acteurs régionaux. Dans le cas des entreprise­s disposant d'un savoir-faire, elles peuvent ainsi le transmettr­e tout en régulant leurs effectifs. L'an dernier, le célèbre fabricant de chaussons de danse Repetto a ouvert un centre de formation installé au sein du lycée profession­nel Chardeuil à Coulaures (Dordogne). Ce centre y enseigne notamment la technique du « cousu-retourné » qui a tissé les lettres de noblesse de la marque. Le but avoué, selon son PDG JeanMarc Gaucher, étant de former sur cinq ans les cent cinquante ouvriers dont les ateliers ont besoin. Une initiative qui est soutenue par le Conseil régional d'Aquitaine et par le Centre technique du cuir qui dispense les formations. Parmi les toutes dernières initiative­s, citons Comeca, entreprise spécialisé­e dans les équipement­s basse tension basée dans l'Hérault. Celle-ci a créé son propre centre de formation au métier de câbleur en atelier dans le but d'attirer dezs jeunes vers un métier qui peine sérieuseme­nt à recruter. Rare secteur à croissance exponentie­lle, celui des nouvelles technologi­es a beau attirer énormément de monde, il n'en connaît pas moins une incroyable pénurie de compétence­s. Un constat qui a amené le trio d'entreprene­urs du web « vey bankable » Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon et Marc Simoncini à prendre le taureau par les cornes en fondant l'École européenne des métiers de l'Internet. Ouverte en septembre 2011 sous les lambris du mythique Palais Brongniart, édifice de style corinthien qui abritait autrefois les clameurs de la Bourse de Paris, cette école d'accès payant (7.500 euros l'année) n'a officielle­ment pas pour objet de servir de vivier de main d'oeuvre dûment formatée aux desiderata des trois Goliath de la net économie made in France. Une première initiative suivie d'une seconde à compter de novembre prochain. C'est en effet à cette date que s'ouvriront les portes de « 42 », la nouvelle école 2.0 édifiée dans un bâtiment de 4.200 m2 du XVIIe arrondisse­ment par le trio et baptisée ainsi en référence au roman de science-fiction de Douglas Adams « Le guide du voyageur galactique ». A la différence de son aînée, cette école y proposera une scolarité gratuite avec octroi de diplômes non reconnus par l'État. Sa cible : prioritair­ement les deux cent mille jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualificat­ion et parmi lesquels le triumvirat confesse son espoir d'y trouver un millier de « génies » ! Autre initiative de l'économie numérique, celle de l'éditeur SAS dont le programme Spring Campus lancé début avril vise à former gratuiteme­nt des étudiants en fin de cycle pour devenir des spécialist­es prisés de l'analyse des données, ceux-là même que dans le jargon autorisé on appelle les data scientists. Évoquons également la toute récente apparition de la social Moov Academy. Mise en place par Social Moov, l'un des acteurs majeurs de la publicité sur Facebook, cette structure propose des formations plus spécifique­ment à destinatio­n des profession­nels (annonceurs et agences) qui souhaitent comprendre l'étendue des enjeux de la publicité sur Facebook. Des formations dispensées soit sur une journée dans le cadre d'un loft parisien, soit sur des thématique­s personnali­sées à la demande des entreprise­s. Jusqu'au Club Med qui, depuis déjà cinq ans, s'est mis de la partie dans cet élan des entreprise­s à vouloir se piquer de formation avec la mise en oeuvre d'une formation en alternance. A ce titre, le leader mondial des « vacances tout compris » a conclu une dizaine de partenaria­ts avec des écoles et autres organismes de formation dans les différents corps de métiers auxquels il recourt, à savoir le sport, la cuisine, la petite enfance, l'événementi­el. Des contrats conclus pour une période de huit à douze mois se répartissa­nt de 30 à 40% du temps en centre de formation et 60 à 70% au sein d'un village Club Med. A l'issue de cette période de formation rémunérée et prise en charge par l'entreprise pendant toute la durée du contrat selon les normes officielle­s en vigueur, cette alternance « sur-mesure » présente l'insigne avantage pour le Club d'avoir des GO/GE occupant un poste sur les saisons complètes. Elle est pas belle la vie ?

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