Managementl
Les entreprises jouent les « maîtres ès d’école » !
+ Cabinet IDRH, la Clé des Chances, ADV’ANCY, Anne d’Humières, Elancité, FARVAHAR CONSULTING, VL Consulting, Spiraliss Consultants, FCDESIRH & Co, SONELO, Iwips, Methobox,
CSOFT International.
Académies, centres de formation, écoles
internes … Bref, quelle que soit leur appellation, les structures éducatives ne cessent d’essaimer au sein des entreprises hexagonales. Certes, l’idée est loin d’être nouvelle puisque les premières initiatives du genre sont nées dans le premier quart du XXe siècle. Sauf que désormais ce qui n’était qu’initiative clairsemée a sacrément foisonné, conduisant de plus en plus d’entreprises dans quasiment tous les secteurs d’activités à mettre en place leur propre école au motif de mieux répondre ainsi à leurs besoins en ressources humaines tant d’ailleurs au niveau des recrutements à l’externe qu’à celui des réadaptations de postes à l’interne. Si ce type d’enseignement New Look provoque quelques sérieux grincements de dents dans les rangs des structures
d’enseignement traditionnelles, il n’en attire pas moins un nombre croissant de postulants en raison de son équation formation + diplôme = CDI.
Selon les résultats du 27ème Observatoire Banque Palatine des PME-ETI recueillis auprès de 305 dirigeants par Opinion Way en partenariat avec nos confrères Challenge et i>TELE, 77% d'entre eux jugent qu'il est urgent de réformer la formation initiale en France. Et seuls 38% estiment que le système éducatif tel qu'il est actuellement initié leur permet de recruter des personnes qualifiées. Au vu des 3.224.600 personnes recensées dernièrement comme demandeurs d'emplois (un record historique !), un aussi faible taux de satisfaction par rapport à nos structures d'enseignement ne peut manquer d'interpeller. Alors que d'un côté, nous ne manquons pas de pousser de vigoureux cocoricos sur le fait que trois des dix meilleures écoles internationales formant les élites de demain sont françaises, de l'autre il apparaît comme une profonde inadéquation entre les formations aujourd'hui dispensées au sein du système éducatif hexagonal et la réalité du terrain. Alors, totalement en déphasage notre Éducation
Nationale et les différents relais d'enseignement tels qu'ils sont conçus et proposés ? Jean-Philippe Bosnet, fondateur et PDG de Global Concept, un groupe expert depuis deux décennies sur le marché des télécoms et qui, après avoir mis en place il y a douze ans son propre centre de formation axé sur les fonctions commerciales, l'a fait évoluer depuis quelques mois en véritable Académie afin de prendre en compte l'émergence de nouveaux métiers dans le cadre de ses activités, se montre davantage mesuré. « Je ne pense pas du tout qu'ils soient inadaptés dans la mesure où ils ont été pensés et conçus pour accompagner une transmission de connaissances soit généralistes, soit spécifiques. En cela, le système me paraît très bien remplir sa mission. Il y a toutefois une différence naturelle entre l'école et l'entreprise dans le sens où cette dernière intervient à un moment donné dans la vie d'un individu afin de l'accompagner et lui permettre de s'épanouir au mieux par rapport à la fois au projet collectif de l'entreprise et à la réalité et aux exigences du marché ». Et celui-ci de conjuguer au pragmatisme économique une dimension philosophique pour justifier la démarche des entreprises à investir le terrain de la formation. « Avant d'être chef d'entreprise, on est d'abord un individu. Or, depuis des millénaires, ce qui anime l'individu, ce qui le différencie de l'animal, c'est le verbe. Et le verbe n'est rien d'autre que la transmission. En conséquence, transmettre fait partie intégrante, à mon sens, des devoirs que l'on a. Je pense que cette actuelle éclosion d'écoles au sein des entreprises et au regard de la crise que nous traversons correspond à ce devoir qu'ont les dirigeants d'être cette courroie de transmission, ce trait d'union entre l'entreprise d'un côté avec sa stratégie, ses impératifs et le projet personnel de chaque collaborateur. Symboliquement, le fait pour notre groupe d'avoir opter pour le terme Académie se veut une référence à Platon qui a été le premier à instituer quatre siècles avant notre ère cette forme de cadre éducatif ».
>>Un phénomène qui ne date pas de la « dernière pluie » !
Est-ce cette philosophie doublée, penseront les esprits les plus acérés, d'une bonne dose de paternalisme, qui avaient conduit Michelin a créé en 1924 un institut de formation spécifiquement adapté à ses besoins ? En tous les cas, l'École d'Enseignement Technique Michelin (EETM) constitue la pionnière du genre. Sa vocation : accueillir une centaine d'élèves issus de classes de troisième et souhaitant préparer, en alternance sur vingt quatre mois, un CAP de conducteurs de systèmes industriels ou bien, en trois ans, un baccalauréat professionnel de maintenance des
équipements industriels. Les jeunes salariés du groupe viennent également à l'EETM pour se former à la maintenance. En outre, l'établissement sert de structure d'accompagnement pour les diplômés de BTS ou de DUT poursuivant leurs études en alternance chez Michelin. Autre initiative historique, ce qui se nommait en 1949, année de sa mise en orbite, l'E.P.I.A et rebaptisé en 2005 Lycée Airbus. Le but de ce centre de formation fondé en symbiose étroite avec les usines de Sud Aviation devenus par la suite Airbus : former les futurs salariés du constructeur d'avion afin de pallier à la quasi impossibilité de dénicher en extérieur des profils aussi pointus en aéronautique. Des exemples demeurés longtemps exceptionnels mais qui, depuis la décennie 2000 marquée par les mutations en profondeur de nos structures économiques, ont abouti à cette situation à priori absurde d'avoir des patrons n'arrêtant pas de pester contre la difficulté à embaucher alors que la France recense des millions de chômeurs. Une inadaptation de l'offre et de la demande telle qu'une étude menée par RH Info en 2010 a montré que près d'un embauché sur cinq n'arrivait pas au terme de sa période d'essai, majoritairement pour cause d'inadéquation de son profil avec les compétences nécessaires à la fonction occupée. Une raison du reste totalement reconnue par le Ministère du Travail qui l'évalue à 70% des causes de rupture anticipée. Ce qui explique la démarche d'un nombre croissant de sociétés à investir dans cet amont qu'est l'éducation afin d'éviter justement les déconvenues tout en leur permettant de détecter avant la concurrence les « perles rares » et de pouvoir former leurs employés à des besoins spécifiques.
>> Une réponse à des formations jugées inadéquates
Sans d'ailleurs aller jusqu'à monter leur propre école, certaines entreprises financent une chaire de recherche. Tel est ainsi le cas du Crédit Agricole Nord-est avec Reims Management School. Mais d'autres, confrontées à la spécificité de leur activité, ont préféré opter pour la mise en oeuvre de leurs propres filières de formation. Veolia Environnement a ainsi inauguré son premier campus en 1994, à Jouy-Le-Moutier, dans le Val d'Oise. Et en mars de cette année, le groupe a ouvert celui de Tarbes, son sixième en France et vingt-et-unième dans le monde. Si, à l'origine, celui-ci entendait suppléer
ce qu'il estimait des carences de l'Éducation Nationale dans ce secteur alors balbutiant que représentait l'Environnement, c'est la complexification des techniques nécessaires à ces métiers qui a amené Veolia à développer ces campus. Lesquels accueillent des salariés en formation continue ainsi que des jeunes en apprentissage et débouchent sur vingt cinq types de diplômes ou de titres, du CAP au Master. C'est la crainte de voir disparaître des compétences avec le départ en retraite de nombreux collaborateurs qui a motivé ce leader mondial du naval de défense qu'est DCNS à créer, en 2009, l'Institut des Métiers. Les connaissances liées aux différents métiers du groupe ont été recensées et mises à jour pour former un « référentiel technique très complexe » selon Pierre Monfort, le directeur de cet IDM. Dans ce même esprit de transmission évoqué par Jean-Philippe Bosnet pour expliquer le lancement de l'Académie Paritel, chaque nouvel embauché chez DCNS subit une immersion de cinq semaines à l'Institut où des experts et des collaborateurs du groupe, notamment des seniors, les forment à leur futur métier. Chaîne de restauration à implantation internationale, le groupe Flo figure dans les pionniers du genre en se dotant, dès 1992, d'un centre de formation dédié qui délivre chaque année des diplômes reconnus par l'État. Il faut dire que tutorat, évolution interne, employabilité et formation représentant les quatre piliers majeurs de sa philosophie managériale, on comprend aisément pourquoi 80% de ses collaborateurs occupant aujourd'hui un poste d'encadrement sont issus de la promotion interne. Une orientation qui n'empêche cependant pas ce Centre de Formation a accueillir en plus, chaque année, des jeunes en CAP ou baccalauréat professionnel qui viennent y suivre des formations techniques très ciblées en complément de la formation qu'ils reçoivent par le biais des structures de l'Éducation Nationale. Quant à GIFI, leader français de la grande distribution de produits pour la maison, il n'a pas hésité à mettre en place son propre BTS Management des Unités Commerciales GIFI non dans ses murs, mais au sein du centre de formation des apprentis de Marmande. Une formation en alternance de deux ans y est dispensée qui, à son issue, propose à tous les jeunes diplômés un poste de responsable adjoint de magasin de l'enseigne sur la base d'un CDI.
>> L'explosion des écoles de vente à l'interne
Parce que la France, refrain connu, souffre d'un déficit chronique de (bons) commerciaux, de la grande distribution à l'Informatique en passant par les voyagistes, les assureurs ou les constructeurs automobiles, on ne compte plus les enseignes qui se résolvent à fonder leur propre école de vente toujours dans ce but de combler des besoins, des attentes, des postes, en clair de former de vrais professionnels taillés sur mesure. Xerox France, filiale du groupe américain « inventeur » du photocopieur a ainsi créé cinq écoles en ce sens. Il en va de même chez Bouygues Telecom avec la mise en place en 2008 de l'école de vente du Réseau Clubs Bouygues Telecom en partenariat avec le Centre Inter Entreprise de Formation en Alternance (CIEFA) du groupe IGS. Cette structure prépare à un BTS Management des Unités Commerciales en alternance, les étudiants partageant leur temps entre les bancs de l'école et un poste dans un point de vente Bouygues Telecom. Avec, à la clé, un CDI. Depuis mai dernier, Internity, l'enseigne de distribution directe du groupe Avenir Telecom, est devenue centre de formation technique de vente. Précisons que le groupe a obtenu de l'État en août 2012 son numéro d'activité en tant qu'organisme de formation. Depuis cette date, Internity embauche des jeunes et/ou des demandeurs d'emploi de plus de 26 ans en contrat de professionnalisation sur une base de CDI. Les contrats proposés garantissant cent cinquante heures de formation, les nouveaux recrutés passent obligatoirement leur première semaine dans un magasin formateur et poursuivent leur cursus dans le magasin dans lequel ils seront affectés. Afin de leur assurer un suivi optimal, ils sont accompagnés par un tuteur. Cerise sur le gâteau, ils bénéficient des mêmes avantages que tout autre vendeur, notamment en termes de salaire.
>> PME et économie numérique ne sont pas en reste
Contrairement à ce que l'on pourrait à priori penser, le phénomène n'est plus le seul apanage des grandes entreprises. Aujourd'hui, de
plus en plus de PME créent leurs propres centres de formation. Une majorité le fait en partenariat avec Pôle Emploi et des acteurs régionaux. Dans le cas des entreprises disposant d'un savoir-faire, elles peuvent ainsi le transmettre tout en régulant leurs effectifs. L'an dernier, le célèbre fabricant de chaussons de danse Repetto a ouvert un centre de formation installé au sein du lycée professionnel Chardeuil à Coulaures (Dordogne). Ce centre y enseigne notamment la technique du « cousu-retourné » qui a tissé les lettres de noblesse de la marque. Le but avoué, selon son PDG JeanMarc Gaucher, étant de former sur cinq ans les cent cinquante ouvriers dont les ateliers ont besoin. Une initiative qui est soutenue par le Conseil régional d'Aquitaine et par le Centre technique du cuir qui dispense les formations. Parmi les toutes dernières initiatives, citons Comeca, entreprise spécialisée dans les équipements basse tension basée dans l'Hérault. Celle-ci a créé son propre centre de formation au métier de câbleur en atelier dans le but d'attirer dezs jeunes vers un métier qui peine sérieusement à recruter. Rare secteur à croissance exponentielle, celui des nouvelles technologies a beau attirer énormément de monde, il n'en connaît pas moins une incroyable pénurie de compétences. Un constat qui a amené le trio d'entrepreneurs du web « vey bankable » Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon et Marc Simoncini à prendre le taureau par les cornes en fondant l'École européenne des métiers de l'Internet. Ouverte en septembre 2011 sous les lambris du mythique Palais Brongniart, édifice de style corinthien qui abritait autrefois les clameurs de la Bourse de Paris, cette école d'accès payant (7.500 euros l'année) n'a officiellement pas pour objet de servir de vivier de main d'oeuvre dûment formatée aux desiderata des trois Goliath de la net économie made in France. Une première initiative suivie d'une seconde à compter de novembre prochain. C'est en effet à cette date que s'ouvriront les portes de « 42 », la nouvelle école 2.0 édifiée dans un bâtiment de 4.200 m2 du XVIIe arrondissement par le trio et baptisée ainsi en référence au roman de science-fiction de Douglas Adams « Le guide du voyageur galactique ». A la différence de son aînée, cette école y proposera une scolarité gratuite avec octroi de diplômes non reconnus par l'État. Sa cible : prioritairement les deux cent mille jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualification et parmi lesquels le triumvirat confesse son espoir d'y trouver un millier de « génies » ! Autre initiative de l'économie numérique, celle de l'éditeur SAS dont le programme Spring Campus lancé début avril vise à former gratuitement des étudiants en fin de cycle pour devenir des spécialistes prisés de l'analyse des données, ceux-là même que dans le jargon autorisé on appelle les data scientists. Évoquons également la toute récente apparition de la social Moov Academy. Mise en place par Social Moov, l'un des acteurs majeurs de la publicité sur Facebook, cette structure propose des formations plus spécifiquement à destination des professionnels (annonceurs et agences) qui souhaitent comprendre l'étendue des enjeux de la publicité sur Facebook. Des formations dispensées soit sur une journée dans le cadre d'un loft parisien, soit sur des thématiques personnalisées à la demande des entreprises. Jusqu'au Club Med qui, depuis déjà cinq ans, s'est mis de la partie dans cet élan des entreprises à vouloir se piquer de formation avec la mise en oeuvre d'une formation en alternance. A ce titre, le leader mondial des « vacances tout compris » a conclu une dizaine de partenariats avec des écoles et autres organismes de formation dans les différents corps de métiers auxquels il recourt, à savoir le sport, la cuisine, la petite enfance, l'événementiel. Des contrats conclus pour une période de huit à douze mois se répartissant de 30 à 40% du temps en centre de formation et 60 à 70% au sein d'un village Club Med. A l'issue de cette période de formation rémunérée et prise en charge par l'entreprise pendant toute la durée du contrat selon les normes officielles en vigueur, cette alternance « sur-mesure » présente l'insigne avantage pour le Club d'avoir des GO/GE occupant un poste sur les saisons complètes. Elle est pas belle la vie ?