Infrarouge - Infrarouge Hors-Série
Yann Arthus-Bertrand, « Une terre de contraste »
L’homme qui photographie le monde depuis le ciel a survolé AlUla en hélicoptère et en a rapporté des photos inédites. Il nous livre ses impressions tandis que le public peut découvrir ses clichés à l’Institut du monde arabe à l’occasion de l’exposition «
Connaissiez-vous AlUla avant de la photographier ?
Oui, bien sûr, mais simplement en photos. J’avais essayé d’y aller pour mon film Woman (la « suite » de Human, où il parcourait le monde en recueillant des témoignages, NDLR), mais, comme l’Arabie saoudite est un pays très fermé, je n’avais pas eu les autorisations. Accéder à un lieu fermé est toujours attirant.
Comment en vient-on à photographier un site comme AlUla ?
Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, que je connaissais peu, m’a appelé un jour et m’a proposé d’aller faire des photos là-bas. Il a cette ténacité qui fait que vous finissez toujours par accepter. Il m’a appelé, appelé à nouveau, il a insisté, organisé un déjeuner avec des dignitaires saoudiens. Alors, dès que mon agenda m’a permis de me rendre à AlUla, j’ai foncé !
Quel a été votre mode opératoire ?
Survoler l’Arabie saoudite n’est pas une mince affaire. On a fait venir un petit hélicoptère d’Égypte, car je voulais un avion maniable et pas un gros machin qui pollue trop. Pour la petite histoire, je viens de finir un sujet sur l’Égypte pour un prime time sur France 2, et je n’ai pas eu le droit d’utiliser l’hélico… C’est dire la volonté des Saoudiens de monter cette exposition sur AlUla.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
Toutes ces montagnes, ces décors étonnants, l’absence de présence humaine – contrairement à Pétra, que j’avais adoré filmer et photographier pour Home (son documentaire sorti en 2009, NDLR). Là, c’était quelque chose de très différent, surprenant dans tous les sens du terme. Ce qui m’a gêné, c’est l’absence d’échelle humaine pour mieux appréhender les lieux, comme les tombes nabatéennes d’Hégra. Quelle taille peut faire un homme par rapport à ces tombeaux creusés dans la roche ? Ce qui est le plus saisissant, c’est toute la région autour parce que, bien qu’on soit dans le désert, il y a partout de grandes étendues vertes : la région est très irriguée – les Saoudiens tirent l’eau en la forant. Le résultat, ce sont des contrastes de couleurs très forts entre le grès rouge et ces grandes taches vertes.
Vous qui vous intéressez aux lions, saviez-vous qu’il y en a eu ici, ainsi que beaucoup d’autres animaux ?
Oui, toutes ces régions désertiques étaient occupées par les animaux il y a des milliers d’années. Comme quoi, le changement climatique peut tout bouleverser en quelques années. Les choses et les êtres qui disparaissent, c’est l’histoire du monde. Par exemple, j’aurais aimé photographier la ligne de chemin de fer du Hedjaz avec ses trains verts remplis de pèlerins se rendant à Médine pour se recueillir sur le tombeau de Mahomet…
En regardant vos photos de la vieille ville d’AlUla, on a l’impression de déceler une certaine forme de vie, alors qu’elle est abandonnée depuis des années…
Moi, je ne l’ai pas ressenti comme ça, mais c’est peut-être parce que, juste avant, j’avais vu d’autres villes avec beaucoup de monde, des supermarchés partout. Je me suis posé la question de savoir pourquoi cette vieille ville avait été abandonnée. C’est simple, comme la ville avait été construite en hauteur pour résister aux attaques, la population a fini par manquer d’eau. Ils ses sont déplacés vers l’eau.
Quel est l’état écologique du site ?
Ce que je vais dire est une banalité, mais c’est frappant à AlUla : dès qu’il y a peu d’humains, la nature est préservée. La région est très peu peuplée, et sans tourisme de masse. Résultat, l’environnement est magnifique et très sain. Avec un soleil qui tape de la sorte, ils pourraient installer un maximum de panneaux solaires.
L’archéologie est-elle l’écologie de l’âme ?
Ce qui m’intéresse profondément, c’est l’histoire du monde, je suis d’ailleurs en train de lire Sapiens, une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari, c’est passionnant. Un des meilleurs moments que j’ai vécus, c’est celui où j’étais dans le désert du Ténéré et qu’on ramassait des pierres carrées qui n’avaient pas été touchées depuis des milliers d’années. Quand on sait que les dinosaures ont existé sur Terre pendant 180 millions d’années et que l’Homo sapiens n’est là que depuis 200 000 ans, ça remet beaucoup de choses en perspective.
« AlUla, merveille d’Arabie » , jusqu’au 19 janvier 2020 à l’Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris. Tél. : 01 40 51 38 38. imarabe.org