Infrarouge

Le sens de la fête

On l’a ou on ne l’a pas. Le sens de la fête est une alchimie hasardeuse. Pour autant, alors qu’on s’apprête à célébrer ce satané Nouvel An, on cherche sa recette... et l’endroit où il sévit.

- Par Judith Spinoza

Petit déjeuner : 1 oeuf dur, 1 verre de vin (sec, de préférence chablis), café noir. Déjeuner : 2 oeufs (durs de préférence, pochés si nécessaire), 2 verres de vin, café noir. Dîner : 150 grammes de steak grillé avec du poivre noir et du jus de citron. Reste de vin blanc (1 bouteille par jour autorisée), café noir. En 1970, entre deux pages de mode, Vogue version US propose un petit menu diététique – très « Sue Ellen » – à base de vin blanc, qui n’est pas pour soigner une cuite. Une bouteille en plein régime ! On est en droit de se demander ce que ça donnerait le jour du réveillon dans le clan Ewing ?

Car nous y voilà : pour la sacro-sainte transition de décembre à janvier, le Nouvel An et son corollaire, le fameux « sens de la fête », comptent bien sur votre enthousias­me immodéré, sans pour autant appuyer sur la bouteille. Malgré les dispendieu­x litres de whisky qui coulent à flots à Southfork Ranch, on sait bien que ce sens-là (joyeux et naturel) y restera lettre morte. Bobby et Pamela coincés face à J.R., Sue Ellen et d’autres cowboys texans, le pétrole, l’alcoolisme, la manipulati­on, l’infidélité et les jolies coiffures wavy peroxydées des années Reagan, le jour pâlira sans que la nuit s’anime. Seule Sue Ellen, joyeusemen­t installée, noiera le Nouvel An dans beaucoup de vin blanc. Pardon mais, un jour de fête, sourire ultra-bright ou pas, ça fait beaucoup. Devrions-nous nous raccrocher aux mythiques et extravagan­tes soirées pour être certains de trouver la secrète formule du sens de la fête ? Façon La Grande Bellezza, le film de Paolo Sorrentino ? Célébrer la mort de 2018 dans un grand Barnum décadent – quelque part entre Fellini et Lynch –, les yeux surplomban­t Rome, a quelque chose de séduisant. Plumes, danse, mondanités, réminiscen­ces de La Dolce Vita, ce serait presque parfait. Sauf que là non plus, le casting n’est pas au rendez-vous : bourgeoisi­e vieillissa­nte, sublime décadence, lassitude des convives qui ne sont que leur propre personnage, nostalgie amère… la fête est ailleurs. Non pas dans l’art d’être désabusé, mais dans le sens profond de la célébratio­n, tapie entre les excentrici­tés poétiques et les tenues flamboyant­es, entre la désinvoltu­re et la joie vraie. Quelque chose qui serait un mélange de la « Roller Disco & Pajama Party » de Playboy – cette fête organisée par Hugh Hefner en 1979 et restée dans les annales – et la soirée de lancement du Palace, ouverte avec Grace Jones chantant La Vie en rose. Une fête inédite, où bunnies sexy, mâles arrogants, mannequins, aristos, punks et travestis côtoieraie­nt des anonymes sur le son puissant de la disco, portés par l’effet, mais sans la prise des drogues de rigueur. Cette mixité signerait le charme excitant d’un passage réussi vers la nouvelle année. Une soirée de « début de la fin », sens dessus dessous, pour s’accompagne­r tout au long de 2019.

“Devrions-nous nous raccrocher aux mythiques et extravagan­tes soirées pour être certains de trouver la secrète formule du sens de la fête ?

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