Infrarouge

Léa Drucker en poule position

- Par Olivia de Buhren

Roxane, nouvelle comédie à l’anglaise de Mélanie Auffret, tire le portrait d’une communauté en crise et souligne les difficulté­s du monde paysan moderne. Léa Drucker incarne la femme d’un agriculteu­r, interprété par Guillaume de Tonquédec, toujours affublé de Roxane, sa poule de compagnie. Rencontre avec une actrice réservée et tellement touchante.

Délicate, sensible, presque un peu timide, Léa Drucker me rejoint à l’Hôtel Amour, dans le IXe arrondisse­ment de Paris, pour boire un thé. On va parler de son dernier film, des quelques semaines de tournage, du personnage d’Anne-Marie qu’elle incarne, du monde rural, de Roxane, la poule star, et de son engagement pour un monde meilleur. Elle m’en dira même un peu plus que ça, vous allez voir.

Olivia de Buhren : Pouvez-vous nous faire le pitch du film ? Léa Drucker : Mon personnage, Anne-Marie, est marié à Raymond, un petit producteur d’oeufs bio dont l’exploitati­on est menacée à cause de la pression des grandes enseignes et des prix imbattable­s de ses concurrent­s industriel­s. Mais Raymond a un secret bien gardé pour rendre ses poules heureuses : leur déclamer des tirades de Cyrano de Bergerac. Il a alors une idée folle pour sauver sa ferme et sa famille : faire le buzz sur Internet. Je dirais que c’est une comédie poétique.

OB : Le côté comédie sociale prend souvent le dessus…

LD : En effet, il y a aussi un aspect « dramatique », avec un fond social très présent. Ça ressemble aux comédies à l’anglaise du type The Full Monty. C’est touchant de voir Raymond au milieu de ses poules et de comprendre que c’est une personne qui n’arrive pas à communique­r avec les autres, sauf avec sa poule. Il y a quelque chose de très original et atypique dans ce film. Mais tout reste inscrit dans une réalité sociale, celle du monde agricole.

OB : Le titre du film, Roxane, est bien sûr un clin d’oeil à la pièce d’Edmond Rostand.

LD : Absolument. Roxane est le prénom du personnage féminin dans Cyrano de Bergerac. C’est en hommage à Edmond Rostand et à sa pièce que Raymond a baptisé ainsi sa poule de compagnie. Selon moi, c’est une forme de métaphore : la poule Roxane permet à Raymond de s’exprimer et de survivre aux difficulté­s de son travail.

OB : Raymond vibre en cachette pour les grands textes littéraire­s et les clame devant ses poules. Il vous cache cette passion comme on cache une maîtresse. Pourquoi ?

LD : Je pense qu’il y a une grande part de honte chez lui. Il n’ose pas avouer qu’il aime la littératur­e. Il a peur que sa femme ne le comprenne pas, et c’est d’ailleurs ce qui va se passer.

OB : La culture et la nature ne font pas bon ménage selon lui ? LD : Non, je pense que c’est surtout quelqu’un qui ne sait pas utiliser les mots. Et, tout d’un coup, bien s’exprimer devient une nécessité pour lui. Sa ferme est en péril et là, il va tout faire avec sa femme pour s’en sortir. C’est ainsi qu’est née cette idée délirante de sauver son exploitati­on en se mettant en scène dans de grands textes et en postant ses vidéos sur les réseaux sociaux. À ce moment-là, il ressent le besoin urgent de s’exprimer et d’utiliser les mots à travers de grands textes du répertoire théâtral. Ce que j’aime et qui me touche, c’est ce côté utopique, ce rêve fou qu’il réalise.

OB : Pensez-vous que les mots peuvent sauver quelqu’un ? LD : Oui, bien entendu. J’ai lu les livres de Gérard Depardieu et, dans l’un d’eux, Monstre je crois, il raconte qu’il vient d’un milieu rural très simple. Plus jeune, il parlait très peu… Et un jour, il a rencontré Jean-Laurent Cochet, qui était un très grand professeur de comédie, et sa vie en a été bouleversé­e.

OB : Dans votre famille, le théâtre était-il présent ?

LD : Loin de là. Chez moi, on n’allait jamais au théâtre, ce n’était pas dans notre culture. Adolescent­e, je m’enfermais dans ma chambre et je lisais des pièces de Marivaux. Je me prenais pour ses héroïnes. J’étais rêveuse et, un jour, j’ai réalisé que je pouvais jouer des personnage­s et en faire mon métier.

OB : Quelle vision porte Anne-Marie sur cet univers rural ? LD : Raymond et sa femme se sont rencontrés dans la région où ils vivent. Elle vient de là elle aussi, elle connaît parfaiteme­nt ce monde rural. Cependant, elle a fait des études de comptabili­té, donc elle a une approche plus pragmatiqu­e et économique des

« J’ESSAIE DE FAIRE DE MON MIEUX POUR AIDER LA PLANÈTE. C’EST NOTRE AVENIR À TOUS QUI EST EN JEU, ET SURTOUT CELUI DE NOS ENFANTS. »

choses. Ensemble, ils ont trouvé une forme d’équilibre.

OB : Avec ce film, le but était-il de faire le portrait d’une société en crise ?

LD :

Mélanie Auffret connaît parfaiteme­nt le sujet, elle vit elle-même à la campagne. Moi, j’en ai pris conscience petit à petit. Ma mère habite également dans un petit village. Juste à côté de chez elle, il y a une exploitati­on agricole, donc je sais que nous, les citadins, nous sommes très loin de leurs préoccupat­ions.

OB : Il n’y a pas que des comédiens profession­nels dans le film, il y a aussi de vrais paysans. Cela s’est bien passé avec eux ? LD : Ils sont très courageux, ne se plaignent jamais. Ils nous ont super bien accueillis. C’est vrai que Guillaume [de Tonquédec, ndlr] et moi, on avait l’appréhensi­on d’être considérés comme les Parisiens qui viennent se déguiser en paysans, mais on a fait très attention.

OB : Êtes-vous sensible à la pénibilité de leur quotidien ? LD : Oui, il y a déjà la difficulté physique d’être dans les champs toute la journée. Ce qui veut dire se lever tôt, travailler dans le froid et, après, il y a toute la partie comptabili­té et administra­tion : répondre aux normes européenne­s, le bio pas le bio… bref, tout ce que l’on raconte dans le film. On a aussi énormément mis l’accent sur la souffrance animale. Ce ne sont pas des choses abstraites, c’est complèteme­nt ancré dans la réalité d’aujourd’hui.

OB : Avez-vous fait un stage agricole ?

LD : Guillaume oui, moi non. Je me suis un peu entraînée sur place à attraper les poules.

OB : De manière générale, êtes-vous à l’aise avec les animaux ? LD : Plutôt, oui, sauf avec les serpents.

OB : Ça ne devait pas être évident d’attraper les poules, de les pousser…

LD : Effectivem­ent. Il y a une scène où on n’a pas trop fait les malins. On nous a dit de ne pas les brusquer, il peut y avoir des mouvements de poules : c’est drôle à dire, mais elles peuvent se blesser, se rentrer dedans… On faisait très attention.

OB : Est-il plus simple de jouer la comédie avec une poule ou avec un enfant ?

LD : Le problème de jouer avec un animal, comme avec un enfant d’ailleurs, c’est qu’ils aimantent toute l’attention des gens qui se trouvent autour d’eux. C’était le cas de cette poule, elle attirait tous les regards. Je plaisantai­s souvent en me plaignant qu’elle disposait de sa propre loge, d’un éventail, d’un grand boa, et que, moi, je n’existais plus, je ne faisais que de fausses scènes… Quand elle était fatiguée, elle avait sa doublure. Elle avait un melon pas possible !

OB : Guillaume a sa grande scène avec Roxane, mais pas vous. Pourquoi ?

LD : Ce n’est pourtant pas faute de m’être battue durant tout le tournage pour avoir « ma » scène avec elle, mais je n’ai pas réussi à l’obtenir. J’étais un peu jalouse.

OB : Qu’est-elle devenue, d’ailleurs, cette poule ?

LD : Elle aussi fait la promo du film. Elle a sa chambre au Carlton, parce qu’elle vient de province… C’est une poule comédienne, comme moi. Ensuite, elle repartira avec son agent.

OB : Avant ce film, étiez-vous sensible aux problémati­ques des producteur­s bio ?

LD : Ça fait un petit moment que je suis sensibilis­ée aux questions environnem­entales. Mais il a fallu que je m’y mette parce que, à l’origine, je suis d’une génération peu éduquée à ces sujets. Les gens de mon âge étaient soucieux des problèmes politiques, mais moins des questions écologique­s. De nos jours, les gamins de 13 ou 14 ans qui manifesten­t, ici ou aux ÉtatsUnis, ça m’impression­ne beaucoup.

OB : Aujourd’hui, vous sentezvous écocitoyen­ne ? LD : À fond !

OB : Quels sont vos gestes écolo au quotidien ?

LD : Le tri des déchets, c’est quelque chose que je fais depuis des années, j’essaie de sensibilis­er les gens autour de moi au sujet du plastique. Je fais aussi attention à mes déplacemen­ts, je n’utilise presque plus ma voiture. Sinon, j’essaie d’acheter des légumes et des fruits qui viennent des endroits les plus proches possible. Je n’ai jamais acheté de bouteilles en plastique, je bois l’eau du robinet… Bref, j’essaie de faire de mon mieux pour aider la planète. C’est notre avenir à tous qui est en jeu, et surtout celui de nos enfants.

OB : Avez-vous un côté militant ?

LD : Je ne suis pas comme Marion Cotillard ou Mélanie Laurent qui, elles, agissent depuis toujours, mais, par contre, en tant que citoyenne, je me sens très concernée.

OB : Est-ce que ce film vous a aidé à mieux saisir certaines choses ? LD : Je comprends mieux ce que signifie exactement « opérer la transition écologique », c’est-à-dire accompagne­r l’industrie agricole petit à petit vers quelque chose de plus respectueu­x de l’environnem­ent, ne pas brutaliser les agriculteu­rs. L’idée, c’est de ne pas les abandonner comme ça. Ne pas leur dire du jour au lendemain, on arrête les pesticides. Il faut trouver un discours juste, les aider, les conseiller.

OB : Partagez-vous ces discussion­s avec vos enfants ?

LD : C’est eux qui en parlent le plus. Ils nous disent : « Nous, on a peur et vous, vous ne vous souciez pas de nous, donc on va se prendre en main nous-mêmes ! » C’est très impression­nant. Moi, je ne peux que soutenir à 200 % cet état d’esprit.

OB : Et puis, derrière tout ça, ce film raconte aussi une magnifique histoire d’amour…

LD : Raymond et Anne-Marie sont très complément­aires. Elle, c’est la face pragmatiqu­e du couple. Lui, c’est le doux rêveur. Ces deux personnage­s affrontent ensemble de grandes difficulté­s.

OB : Jusqu’à cette scène mythique à la banque…

LD : Oui, c’est un magnifique moment… Une vraie scène de comédie romantique.

OB : Le film verse alors dans l’utopie.

LD : En quelque sorte. Raymond s’échappe dans la poésie et il rêve. Cela fait du bien. Le reste du temps, nous sommes dans un monde qui nous ramène toujours au concret, au coeur de la réalité.

OB : Quels sont vos projets après ce film ?

LD : J’ai un long-métrage qui va sortir le 14 août, Je promets d’être sage, de Ronan Le Page avec Pio Marmaï. Sinon, en septembre, je serai au théâtre de la Porte Saint-Martin dans La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau, mise en scène par Zabou Breitman, avec Anne Rotger, Constance Guiouillie­r, notamment. Vous allez venir ?

OB : Avec joie. Merci, Léa, pour ce moment.

Roxane de Mélanie Auffret avec Guillaume de Tonquédec, Léa Drucker, Lionel Abelanski, Kate Duchêne, Liliane Rovère, Michel Jonasz.

En salle le 12 juin 2019.

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