Infrarouge

FAN DE… PROCRASTIN­ATION

- Par Pauline Lefèvre

« LES PROCRASTIN­ATEURS FONT PREUVE D’EMPATHIE POUR CEUX QU’ILS PEUVENT POTENTIELL­EMENT METTRE DANS LA MERDE. »

Voilà plus de deux semaines que j’aurais dû rendre cet article. Je cogitais avec mollesse – mais, paradoxale­ment aussi, avec angoisse – au sujet que je pouvais proposer ce mois-ci tout en me convainqua­nt que je trouverais l’idée géniale et la motivation pour l’écrire demain sans faute. Ça s’appelle « procrastin­er ». Et, en cette rentrée pleine de bonnes résolution­s, j’ai décidé de continuer à remettre au surlendema­in ce que je devrais avoir fait avant-hier. Génial, non ?

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours attendu la veille de devoir rendre un exposé à l’école pour m’y coller dans la panique (et je rappelle qu’à l’époque il n’y avait pas Wikipédia !). Aujourd’hui, je paie systématiq­uement mes contravent­ions deux jours après la date de majoration, en accompagna­nt le chèque d’un petit mot suppliant de m’excuser pour le retard… Faut pas croire, mais le gros problème du procrastin­ateur (outre le risque de voir son amende malgré tout majorée), c’est la culpabilit­é. Ça le ronge de ne pas faire en temps et en heure ce qui doit l’être. Il y a toujours cette force obscure qui l’en empêche. Alors que ce n’est pas sa faute : c’est parce qu’il a une grosse amygdale dans le cerveau ! Selon l’étude allemande « The structural and functional signature of action control », parue dans la revue Psychologi­cal Science, la procrastin­ation aurait une explicatio­n anatomique, avec une corrélatio­n entre la taille et les connexions entre deux zones cérébrales : l’amygdale et le cortex cingulaire. Soyons donc des procrastin­ateurs décomplexé­s et heureux ! Sousestime­r la durée nécessaire pour faire quelque chose et, en même temps, surestimer le temps restant avant la dernière limite, c’est finalement un excès d’optimisme, la foi en la vie ! Sans parler du sentiment de victoire absolue quand la tâche est finalement accomplie après une nuit blanche… Ça, c’est un bonheur dont se privent ceux qui n’attendent pas la dernière minute pour faire les choses. Se pose tout de même le problème de faire languir ses interlocut­eurs – dans le cas présent, la rédac’ chef de ce journal. Car loin d’être égoïstes, les procrastin­ateurs font preuve d’empathie pour ceux qu’ils peuvent potentiell­ement mettre dans la merde, et ils savent s’excuser du retard (ils n’ont pas le choix). Du coup, je dirais qu’ils compensent en étant super sympas.

Toutefois, si je me suis finalement collée à mon article aujourd’hui, ce n’est pas parce que la date de bouclage était avant-hier, mais parce que j’ai ma première au théâtre dans deux jours et que je devrais plutôt urgemment bosser mon texte… Ça s’appelle la « procrastin­ation structurée », un concept du philosophe américain John Perry*, lui-même grand procrastin­ateur. Il s’agit de reporter une corvée urgente et importante pour faire d’autres choses qu’on avait reportées aussi : faire la vaisselle, répondre à ses mails non lus, remplacer une ampoule qui ne marche plus depuis deux semaines, regarder des conférence­s Ted en ligne, trier ses fringues d’été, faire une sauvegarde de son ordinateur. Que des trucs qui, là, toute suite, ont l’air nettement plus prioritair­es que le truc prioritair­e qu’on avait à faire en priorité, mais qu’on va faire quand même dans la foulée, grâce à un regain d’énergie, parce qu’on aura fait ces autres trucs prioritair­es. Vous me suivez ?

En attendant, j’ai fini mon article et je vais rayer avec grand bonheur une ligne de ma « to do list de méga-urgence deadline ». Rien que pour ça, la procrastin­ation, c’est si bon !

* La Procrastin­ation de John Perry, éditions Autrement.

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