Infrarouge

Alice Taglioni, l’amour fou

- Par Olivia de Buhren

« ON A TOUS DES MOMENTS OÙ L’ON S’EST SENTIS PAUMÉS, OÙ ON A PERDU LE CONTRÔLE DES ÉVÉNEMENTS. »

Dans le film Andy, elle campe le rôle de Margaux qui, au sortir d’une histoire d’amour douloureus­e, rencontre Thomas, interprété par Vincent Elbaz, dans le foyer où elle est employée. Cet homme oisif mais terribleme­nt attachant a toujours mené sa vie sans faire le moindre effort. Jusqu’au jour où il se retrouve à la rue, contraint de travailler. Au lieu de ça, il va vouloir entraîner Margaux dans une drôle d’arnaque.

Il fait beau, il fait chaud. Il est 15h45. La séduisante Alice Taglioni m’a donné rendez-vous aux Éditeurs, un restaurant de Saint-Germain-des-Prés, place de l’Odéon. Elle est déjà là et me salue de loin. Sans attendre, elle me raconte sa façon de voir l’histoire du film Andy. « Ce sont deux âmes un peu égarées qui vont se retrouver de façon totalement improbable dans un endroit inattendu et qui vont réussir à faire de leur mal-être et de leur malheur quelque chose va les réunir, les rapprocher, pour se transforme­r en une magnifique histoire. » Voilà qui est bien dit !

Olivia de Buhren : Avez-vous connu vous-même des relations destructri­ces, voire perverses, dans votre vie ?

Alice Taglioni : Que ce soit en amitié ou en amour, je n’ai jamais connu pareille situation. Pour moi, l’amour ne doit être que constructi­f. Au théâtre, j’ai joué dans une pièce, Chien Chien, avec Élodie Navarre. Là, les personnage­s avaient une relation très nuisible, qui finissait par déboucher sur un désir de vengeance vingt ans après. Je crois très fortement que, quand on se retrouve dans des relations destructri­ces, on ne fait que répéter des schémas passés.

OB : Le film Andy aborde finalement beaucoup de sujets à la fois… AT : En effet. Il y a le côté social, qui est très fort – c’est d’ailleurs la base du film. Et puis il y a le côté comédie romantique. Sans compter le thème de l’arnaque, qui occupe aussi une grande place.

OB : Comment décririez-vous votre personnage ?

AT : Je dirais simplement que Margaux est une personne sous l’emprise de quelqu’un d’autre.

OB : Que partagez-vous avec elle ? AT : La déterminat­ion. Par contre, entendonsn­ous bien, je n’ai jamais été sous l’emprise de qui que soit. On a tous des moments où l’on s’est sentis paumés, où on a perdu le contrôle des événements. Elle, son obsession, c’est la nourriture ; moi, c’est autre chose… C’est une fille qui a envie de s’en sortir, qui ne croit plus en rien mais qui croit en tout. Une jeune femme qui veut être surprise et qui pense que de belles choses peuvent encore arriver.

OB : Elle est une femme sous emprise…

AT : Oui, mais elle s’en libère petit à petit. Surtout à partir du moment où elle est dans « le jeu » : elle se défoule avec les baffes qu’elle donne. Finalement, elle n’est pas tout à fait dans la violence, puisqu’on lui demande de mettre des gifles, ça fait partie du deal avec Thomas. C’est une libération, ça dédramatis­e l’acte, ils en rigolent.

OB : Ces « baffes » que vous distribuez dans le film, justement, étaient-elles factices ?

AT : Disons qu’elles étaient pour de faux… et pour de vrai. En réalité, j’ai dû donner à Vincent Elbaz, qui joue le personnage de Thomas,

« J’ÉVITE DE ME DÉCHIRER, JE METS DAVANTAGE DE DISTANCE ENTRE LE PERSONNAGE ET MOI. J’ACCÈDE À UN AUTRE NIVEAU. EN CELA, CHAQUE PERSONNAGE ME FAIT AVANCER. »

une centaine de gentilles petites gifles par jour, mais il y en a une qui est partie pour de vrai, une bonne grosse claque bien appuyée. Là, j’étais très gênée parce que je ne suis pas du tout quelqu’un de violent en général.

OB : Qu’est-ce qui vous touche chez Thomas ?

AT : D’abord, son allergie au travail.

J’adore, je trouve ça génial. Margaux comprend très vite qu’il est particulie­r, que c’est un « spécimen » incroyable, si l’on peut dire, mais aussi qu’il y a une terrible faille chez lui. En outre, Thomas l’a surprise en pleine crise de boulimie et, depuis, elle le regarde différemme­nt puisqu’il sait qui elle est vraiment. Cette faille, ça représente à la fois un danger et, en même temps, c’est libérateur.

OB : Tombe-t-elle réellement amoureuse ou est-elle seulement touchée par lui ?

AT : Ah non, elle est réellement amoureuse ! On ne raconte pas sa vie à quelqu’un juste parce qu’on est touché. Elle tombe littéralem­ent sous le charme.

OB : Vos deux personnage­s finissent par se séparer. Pensezvous qu’ils vont se retrouver ?

AT : Oui, et je pense même que ça peut durer longtemps, qu’ils auront des enfants et qu’ils vivront très heureux ensemble.

OB : Pourquoi Margaux accepte-t-elle d’aider Thomas dans son arnaque ?

AT : Elle a été surprise par Thomas. C’est une fille honnête, mais elle s’est fait taper dessus. Aujourd’hui, elle se retrouve dans un centre social à rencontrer des gens comme lui, qui lui propose des trucs bizarres. Elle, ce qu’elle désire, c’est changer de vie, partir au Costa Rica et, pour cela, elle a besoin d’argent. C’est pour cette raison qu’elle décide de tenter le coup. Il y a là une espèce de défi.

OB : Vous-même, êtes-vous joueuse ?

AT : De moins en moins. Jouer aux cartes entre amis ou en famille, j’adore, mais « jouer » dans le sens de « manipuler » les gens, pas du tout.

OB : Thomas a un côté fantaisist­e, contrairem­ent à Margaux qui cache une sorte de tristesse en elle. Cependant, en acceptant ce jeu, la personnali­té de la jeune femme va peu à peu changer.

AT : Pour moi, Thomas est juste décalé. Il y a de la fantaisie dans le film, c’est vrai, c’est leur perdition à tous les deux. Ils se retrouvent souvent dans des situations ubuesques.

OB : Margaux pourrait-elle être une de vos copines ?

AT : Plus que ça, même. Il y a une forme de schizophré­nie dans le fait d’interpréte­r un personnage, parce que Margaux, c’est moi. J’apprécie tous les personnage­s que j’ai interprété­s. À mon avis, il est impossible de jouer si on n’aime pas son personnage. On apprend à les connaître, à se les approprier et à les aimer. Ça ne veut pas dire que, dans la vraie vie, je cautionner­ais ce qu’ils sont : si je joue une serial killeuse, je ne la défends pas, mais, pendant que je joue, je dois l’aimer. Je dois faire miennes ses motivation­s.

OB : Est-ce qu’il y a un personnage que vous aimeriez interpréte­r ? AT : Une chanteuse, fictive ou pas.

OB : Éprouvez-vous du regret pour un film que vous auriez adoré jouer ?

AT : Par définition, je ne veux pas avoir de regret. La vie est comme ça, c’est tout.

OB : Certains rôles vous ont-ils permis d’avancer dans votre métier d’actrice ?

AT : Oui, surtout les rôles que j’endosse aujourd’hui. Avec l’expérience, je travaille de plus en plus mes personnage­s et j’apporte de moins en moins de moi – dans le sens où cela pourrait être source de douleur. J’évite de me déchirer, je mets davantage de distance entre le personnage et moi. J’accède à un autre niveau. En cela, chaque personnage me fait avancer.

OB : Y a-t-il des rôles que vous refuseriez de jouer ?

AT : Oui, les rôles trash où il est demandé de se dénuder, les films qui comportent des scènes de sexe. Par exemple, j’aime beaucoup les oeuvres d’Abdellatif Kechiche, mais je ne pourrais pas jouer dedans. Parce que je ne me sens pas libre à ce niveau-là. Pour ma famille, mes enfants.

OB : Si vous deviez voler un brin de talent à un acteur ? AT : Jean Dujardin, parce qu’il a ce métier dans le sang, ça saute aux yeux. Surtout dans le registre de la comédie. Il a un rythme insensé, il est fait pour ça. Et sinon, Meryl Streep !

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