LA FORCE DE L’ÉTIQUETTE
Les étiquettes de whisky, ce n’est pas une mince affaire : elles disent tout – et un peu plus – de ce que vous allez boire. Après la lecture de cet article, vous deviendrez incollable sur ce qu’elles énoncent, la signification de leur graphisme et les codes couleurs qu’elles utilisent.
Consommer avec modération un alcool fort, c’est d’abord comprendre ce que l’on ingurgite. Et pour y parvenir, il faut s’intéresser à sa conception. Le whisky est une eau-de-vie fabriquée à base de céréales maltées ou non maltées (orge, blé, seigle, maïs, avoine), qui fermente, subit une, deux, parfois trois distillations puis vieillit dans un fût afin de réduire son degré alcoolique et d’acquérir son arôme. Pour saisir toute sa personnalité, il est impératif de savoir déchiffrer son étiquette où, comme le port-salut, tout est écrit dessus : l’âge du whisky (de 3 à 50 ans passé dans un fût), sa provenance (le pays et la région où il a été produit : Islay, Speyside, Highlands, Bretagne, Tasmanie, Kentucky…), son degré d’alcoolémie et sa catégorie.
« Le plus répandu, c’est le blended, un assemblage de whiskies de malt et de grain provenant de plusieurs distilleries et pouvant contenir des whiskies de différentes années, de différentes origines mélangés à du whisky de grain », explique Michel Firino Martell d’Elite Selection. Moins commun, le blended malt est un assemblage de whiskies 100% orge maltée provenant de plusieurs distilleries. Plus rare et plus noble, le single malt est distillé exclusivement à partir d’orge maltée et provient d’une seule et même distillerie. Reste à se plonger sur la contre-étiquette, au dos de la bouteille, qui donnera des indications facultatives et plus subjectives sur l’histoire, la date de mise en bouteille, le type de fût, les arômes ou les conseils d’accords avec les mets. Mais le graphisme dit, lui aussi, beaucoup de choses sur ce que vous allez déguster.
DES CODES VARIABLES
« La bonne étiquette, c’est celle qui est en adéquation avec le positionnement du produit », affirme Eric Estève, un graphiste qui a oeuvré pour bon nombre de maisons de vins et de spiritueux. « Par exemple, des whiskies d’entrée de gamme comme Paddy, Clan Campbell ou J&B vont mélanger énormément de codes pour atteindre un public jeune et festif. Les étiquettes tirant sur le crème, avec moins de couleurs et des équilibrages classiques, une typographie élégante qui rappelle la cosmétique, dénotent une montée en gamme. Une fois que l’adéquation avec la cible est trouvée, les choses ne bougent plus, ou alors très peu. Les marques destinées à un public jeune s’autoriseront par exemple un coffret spécial pour les fêtes ou une étiquette qui réagira à la lumière blanche des clubs, mais guère plus. »
Pourtant, certaines marques tentent le grand looping graphique, comme les whiskies Benriach, spécialiste de Speyside tourbés. Dans un souci de modernité plus en phase avec son époque, la maison écossaise a laissé tomber son ancien logo – typographie à empattements et lettre capitale à Riach – pour une signalétique plus sobre – une stricte typo bâton façon musée d’art contemporain – soulignant la haute qualité de son whisky. « Plus épurés, les étiquettes et les étuis établissent une hiérarchie qui facilite la navigation au sein de la gamme, nous explique-t-on depuis le nord-est de l’Ecosse. Les expressions non-tourbées se déclinent autour du bleu pâle, les tourbées adoptent une palette plus chaude. Et de la même façon que la couleur du whisky devient plus ambrée avec l’âge, le bleu des coffrets de Benriach est de plus en plus foncé à mesure que l’expression augmente en âge. »
LE TOUR DU MONDE DE L’ÉTIQUETTE
Que l’on distille dans la vieille Europe ou les jeunes États-Unis, l’approche de l’étiquette n’est pas la même car l’histoire, celle sur laquelle reposent les ventes, et la culture diffère. « Au premier coup d’oeil, on peut tout de suite différencier une étiquette de whisky britanniques d’un bourbon américain, note Eric Estève. Les étiquettes de whiskies écossais et irlandais piochent dans un imaginaire traditionnel, patrimonial : les couleurs sont plutôt sombres, l’iconographie fait appel à la nature, aux vieux châteaux, aux cerfs, la typo est posée, on s’imagine très vite au milieu des landes avec une vieille bâtisse entourée de chais dont sortirait un homme tanné poussant une barrique. Des whiskies comme Glenfiddich, Glenmorangie ou Glenlivet jouent beaucoup sur cette imagerie. » Chez les Américains, rien de tout cela : « L’imagerie des étiquettes est plus brut, plus “trumpiste”. L’approche est plus red neck, la typo est plus grosse, on est tout de suite dans un ranch du Kentucky. L’étiquette Jack Daniel’s en est l’un des meilleurs exemples », même si certaines exceptions haut de gamme comme les bourbons Woodford, à la superbe bouteille arrondi et au graphisme de l’étiquette sobre et équilibré, viennent modérer ces propos.
Emporté par son élan, Eric Estève continue son tour du monde : « Les Canadiens ont, eux, une approche à cheval entre l’Amérique et l’Europe. Leur design est plus raffiné que sur les bouteilles américaines. Ils peuvent se le permettre car ils ont deux symboles très forts – la feuille d’érable et la fleur de lys – qui permettent immédiatement de “signer” le pays, c’est le cas notamment des whiskies Sortilège. » Les Japonais, eux, optent pour un graphisme très élaboré. « Ils jouent à fond la sobriété et ils peuvent se le permettre car la couleur ambrée du whisky autorise un graphisme noir et blanc très pur, surtout quand il est rehaussé d’une calligraphie réalisée au pinceau. C’est aéré, beau, impactant. Faites l’expérience en posant par exemple une bouteille de Yoichi : tout le monde la regardera avec étonnement. »
LE CHIC FRANÇAIS
Pour les Français, récemment convertis au whisky, l’histoire est un peu différente. C’est le cas de la maison Alfred Giraud, qui se fait fort de vieillir son whisky dans des fûts de très vieux cognac. « Dans notre cas, nous n’avions pas de codes graphiques à respecter, explique Philippe Giraud, fondateur et propriétaire de la marque. Nous sommes partis d’une page vierge et avons conçu nos étiquettes en omettant volontairement de tenir compte des normes et du passé. L’opportunité pour la France, c’est d’écrire une nouvelle page de l’histoire du whisky en s’affranchissant des normes ou des contraintes historiques. » Le résultat, sobre, équilibré, minimaliste, est une réussite et pourrait presque faire penser à une étiquette de parfum. Un sobre French malt whisky vient souligner le nom de la maison qui surplombe l’appellation de l’eau-de-vie. « Dans notre cas, le briefing fut simple : nous voulions transcrire le côté élégant et intemporel de la maison et, d’une manière générale, du luxe à la française », détaille Philippe Giraud.
Ici, pas d’agences spécialisées dans le packaging ni d’études quantitatives sur un large panel de consommateurs. « Notre packaging a été développé en équipe par le designer Joachim Bailiff et Daniela Flores, directrice artistique de la maison Giraud, qui est également ma compagne, continue Philippe Giraud. Quant à la réflexion marketing, notre expérience indique que les recherches quantitatives sont un frein à l’innovation car la plupart des consommateurs ont du mal à faire abstraction de leurs référents. Nous préférons prendre le risque d’imposer des codes qui, nous l’espérons, s’imposeront. En ce sens, nous sommes adeptes d’une des devises de Steve Jobs : Ayez le courage de suivre votre coeur et votre intuition. »
QUE LE BREUVAGE VIENNE D’ÉCOSSE (BENRIACH), DU KENTUCKY (WOODFORD), DU TENNESSEE ( JACK DANIEL’S), DU JAPON (HIBIKI) OU DE FRANCE (ALFRED GIRAUD), L’ÉTIQUETTE DIT TOUT DU PREMIER COUP D’OEIL : LA GAMME, LA PROVENANCE, LE DEGRÉ D’ALCOOLÉMIE, LA CATÉGORIE ET BIEN PLUS ENCORE.