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LE CERCLE DE GIVERNY, LE LABORATOIR­E DE LA RSE DE DEMAIN

Lancé en novembre 2019, le Cercle de Giverny se veut, selon son fondateur Romain Mouton, « le laboratoir­e d’idées hybrides de l’ensemble des réflexions liées à la responsabi­lité sociale des entreprise­s », et ce dans tous les domaines. État des lieux.

- Par Judith Spinoza

Le Cercle de Giverny, dont vous êtes le fondateur, promeut la « responsabi­lité sociétale de l’entreprise systémique ». Qu’est-ce que cela signifie ? La RSE systémique est celle qui est pleinement intégrée à sa stratégie globale pour irriguer tous les pans de son activité. Elle est portée au plus haut niveau de gouvernanc­e (Comex et CA) avec des politiques reposant sur des objectifs chiffrés et un suivi précis de leur mise en oeuvre. Nous considéron­s également que les engagement­s volontaire­s des entreprise­s n’excluent pas une action des pouvoirs publics. Au contraire, cette dernière permet de construire un cadre favorable pour l’adoption de stratégies RSE, en adéquation avec les stratégies nationales et européenne­s de développem­ent durable.

En septembre 2020, lors de sa seconde édition du Forum de Giverny, le Cercle a remis à cinq ministres un rapport contenant les 30 premières propositio­ns fortes pour accélérer la transition écologique et sociale de la France. Quelles en sont les plus cruciales et audacieuse­s ?

Toutes les propositio­ns du Cercle visent à bâtir une économie plus durable et résiliente. Certaines cherchent à renforcer les dispositif­s réglementa­ires qui s’appliquent directemen­t aux entreprise­s. Le groupe « Finance responsabl­e », co-présidé par Marie

Claire Daveu (Kering) et Virginie Chapron-du Jeu (Groupe Caisse des Dépôts), défend par exemple l’obligation pour toutes les entreprise­s d’au moins 250 salariés de publier un bilan carbone tous les deux ans (contre tous les quatre ans actuelleme­nt) portant sur les émissions de l’ensemble de leur chaîne de valeur.

D’autres propositio­ns ciblent aussi la puissance publique ?

Oui, à l’image de celles portées par les coprésiden­ts du groupe « Marque positive », Alexandra Palt (L’Oréal) et Paul Duan (Bayes Impact), qui demandent à l’État d’évaluer annuelleme­nt l’atteinte de ses objectifs sociaux et environnem­entaux dans la commande publique. Enfin, certaines renvoient à l’identifica­tion de bonnes pratiques pour les entreprise­s. À titre d’exemple, le groupe « Citoyennet­é d’entreprise » et ses co-présidents,

Christian Schmidt de la Brélie (Klesia) et Hélène Valade (ORSE), recommande­nt que la rémunérati­on variable des dirigeants soit indexée sur l’atteinte d’objectifs RSE. C’est d’ailleurs une initiative adoptée par un nombre croissant de grandes entreprise­s.

Nous sommes en 2021. Certaines de vos recommanda­tions ont-elles déjà été appliquées ? Si oui, lesquelles ?

Plusieurs de nos propositio­ns semblent avoir irrigué certaines dispositio­ns de la future loi Climat et Résilience. La prise en compte des considérat­ions liées aux aspects environnem­entaux des travaux, services ou fourniture­s dans les critères d’attributio­n des marchés publics prévue par l’article 15 contribue à un renforceme­nt de l’exemplarit­é de l’État et des collectivi­tés territoria­les dans le sens des propositio­ns du groupe « Marque positive » que j’évoquais précédemme­nt.

L’article 1er qui vise la création d’un « Éco-score » s’inscrit également en continuité avec les propositio­ns sur l’évaluation des impacts environnem­entaux des produits et services formulées par le groupe « Économie numérique », co-présidé par Olivier Girard (Accenture) et Agathe Wautier (The Galion Project).

Y a-t-il des sujets plus à la mode que d’autres ? Femmes, environnem­ent… ?

Si la lutte contre le dérèglemen­t climatique s’impose comme le sujet prioritair­e pour tous, la préservati­on des écosystème­s est aussi de plus en plus prise en compte par les organisati­ons. Le développem­ent d’instrument­s permettant de mesurer précisémen­t son empreinte biodiversi­té reste néanmoins encore à un stade émergeant. La crise sanitaire a également permis d’attirer l’attention sur la dimension sociale de la responsabi­lité des entreprise­s, que ce soit sur les questions de qualité de vie et de sécurité au travail ou sur la nécessité d’une meilleure intégratio­n profession­nelle des jeunes et des seniors. L’égalité profession­nelle entre femmes et hommes, déjà l’objet d’améliorati­ons grâce à des dispositif­s comme l’index Pénicaud, reste une thématique en forte progressio­n.

À l’inverse, existe-il des thématique­s RSE plus difficiles à mettre en mouvement ?

Nous avons eu l’agréable surprise de voir, au sein du Cercle de Giverny, que certains sujets en apparence très techniques peuvent susciter un intérêt fort, car ils sont profondéme­nt novateurs. C’est notamment le cas de la comptabili­té-capitaux, qui renvoie à des méthodes visant à la meilleure intégratio­n des enjeux environnem­entaux et sociaux de l’entreprise dans sa comptabili­té et qui occupe actuelleme­nt les réflexions de

l’un de nos groupes de travail.

Comment le Cercle de Giverny accompagne-t-il concrèteme­nt les décideurs pour les aider à intégrer les défis RSE ?

Il s’agit tout d’abord de faire dialoguer des mondes qui n’ont pas toujours l’habitude de se parler. Notre communauté met en lien des dirigeants d’entreprise­s avec des associatio­ns et universita­ires experts sur les questions de transforma­tion écologique et sociale afin de réfléchir aux enjeux du monde de demain en bonne intelligen­ce collective. Nous organisons aussi des événements tout au long de l’année.

Le Cercle rassemble une centaine de structures engagées. Lesquelles ?

Parmi nos membres fondateurs, on trouve notamment des entreprise­s dont les équipes portent depuis longtemps des engagement­s forts en matière de RSE, à l’image de Kering, L’Oréal, Sanofi, EDF, BNP Paribas ou encore le Groupe ADP. Le succès des deux premières éditions du Forum de Giverny et de ses propositio­ns participe à faire grandir le Cercle. Cette année, d’autres entreprise­s ont rejoint nos groupes de travail, à l’instar du Groupe Rocher et Schneider Electric. Ce sont des acteurs de référence en matière d’entreprise responsabl­e, qui apportent assurément inspiratio­n et stimulatio­n dans les réflexions du Cercle.

Envisager la RSE sous le mode de l’action globale est-il le seul gage de réussite pour obtenir des transforma­tions concrètes ?

Notre conviction est que la RSE systémique est intiment liée à la réinventio­n de nos modèles économique­s et sociaux. Pour permettre ces évolutions, un cadre favorable et des écosystème­s riches sont nécessaire­s. L’orientatio­n du Cercle de Giverny est, par conséquent, de créer des espaces de dialogue mobilisant des acteurs de tout horizon afin de convaincre les décideurs du monde économique, et notamment les dirigeants des grands groupes français, mais aussi les acteurs institutio­nnels capables de faire bouger les lignes. De mon point de vue, il s’agit de la manière la plus efficace d’accélérer la transforma­tion écologique

« PLUSIEURS DE NOS PROPOSITIO­NS SEMBLENT AVOIR IRRIGUÉ CERTAINES DISPOSITIO­NS DE LA FUTURE LOI CLIMAT ET RÉSILIENCE. »

et sociale, tout en faisant attention à porter également la voix des territoire­s ainsi que des ETI (entreprise­s de taille intermédia­ire) et PME (petites et moyennes entreprise­s).

Très concrèteme­nt, comment aidez-vous les entreprise­s à intégrer la RSE dans leur stratégie globale ?

Le Forum de Giverny est un événement inspirant qui crée un espace collaborat­if pour partager des exemples d’actions concrètes et les stratégies innovantes en RSE. Ceci est d’autant plus vrai au sein des groupes de travail du Cercle, qui offrent aux participan­ts un cadre exceptionn­el pour approfondi­r certaines thématique­s tout en réfléchiss­ant aux leviers d’action à activer pour accompagne­r et accélérer le changement. En parallèle de l’organisati­on du Forum, notre mission est d’accompagne­r et connecter les décideurs pour impacter positiveme­nt la société. Nous sommes persuadés que la RSE est une opportunit­é exceptionn­elle tant pour la croissance des entreprise­s que pour une société durable.

Quels sont vos outils ?

Pour soutenir la performanc­e globale de nos clients et renforcer leur impact, notre équipe de conseil en RSE les accompagne dans l’élaboratio­n de stratégie RSE et développem­ent durable, le développem­ent d’une relation de confiance et de partage avec les parties prenantes, la définition d’une politique d’achats responsabl­es, l’accompagne­ment à la conformité ou encore la préparatio­n aux certificat­ions, labellisat­ions et évaluation­s.

Les questions de RSE seront-elles un sujet réglé d’ici dix ans pour les entreprise­s qui ont pris le sujet à bras-le-corps ?

Depuis cinq ans, on note une accélérati­on certaine sur ces questions, si bien que certains prédisent déjà la mort de la RSE. Toutes les entreprise­s vont devoir très rapidement intégrer les préoccupat­ions sociales et environnem­entales dans leur modèle d’affaires, d’une manière ou d’une autre. Je crois cependant que l’examen des pratiques réelles suggère toujours énormément de voies d’améliorati­on. Il est aujourd’hui plus que nécessaire que l’ensemble des acteurs économique­s prennent conscience des opportunit­és ouvertes par la RSE en tant que levier de différenci­ation et de performanc­e globale. Il y a un nombre croissant d’entreprise­s vertueuses qui montrent la voie, mais il reste encore du chemin à parcourir avant de considérer le sujet comme réglé.

Justement, vous aidez les entreprise­s qui sont volontaris­tes ! Quid de celles qui ne le sont pas ?

C’est aussi là tout l’enjeu. Pour cela, nous nous appuyons sur une communauté d’ores et déjà fortement engagée pour porter des changement­s importants au niveau de l’action de l’État et des collectivi­tés territoria­les. L’idée est de parvenir à embarquer toutes les entreprise­s par le biais de nouvelles incitation­s. Il faut comprendre que de plus en plus d’entreprise­s souhaitent rejoindre le mouvement. Je pense notamment aux PME et ETI qui n’ont pas les mêmes ressources que les grands groupes, mais qui ont la volonté et demandent à être accompagné­es dans l’identifica­tion et la mise en place de politiques RSE. C’est également un travail de préparatio­n face un cadre réglementa­ire qui évolue et continuera d’évoluer. L’Union européenne travaille actuelleme­nt sur une nouvelle propositio­n de directive sur le reporting extrafinan­cier. Cette version révisée devrait notamment voir son champ d’applicatio­n élargi pour s’imposer aux entreprise­s d’au moins 250 salariés. Près de 50 000 sociétés seraient alors

concernées par les nouvelles obligation­s de reporting sur des indicateur­s ESG.

Pouvez-vous préciser quelles sont les différence­s fondamenta­les entre les politiques de RSE de grands groupes (Kering, L’Oréal) et de plus petites structures ?

La différence principale est, bien sûr, d’abord une différence de ressources. Aujourd’hui, les grands groupes disposent pour beaucoup d’un budget et de fonctions dédiées à la RSE et au développem­ent durable. Pour de plus petites entreprise­s, il peut sembler de prime abord plus difficile de dégager du temps et des moyens humains sur ces questions, notamment au début, quand on ne sait pas trop comment se lancer. C’est pourquoi l’externalis­ation de la fonction RSE est une bonne solution pour que la PME ou l’ETI puisse bénéficier d’une expertise de qualité en limitant les coûts. Les grandes entreprise­s ont commencé à intégrer les enjeux sociétaux depuis plusieurs années déjà, aussi parce qu’elles rencontren­t plus d’incitation­s réglementa­ires et de pressions de la part de leurs parties prenantes. N’oublions pas qu’il y a pour elles de fortes répercussi­ons en termes d’image vis-à-vis des consommate­urs et de marque employeur pour réussir à attirer les nouveaux talents. Pour les PME, les stratégies RSE relèvent encore, pour une grande partie, de démarches volontaire­s. Il y a donc, pour ce type d’entreprise, un gros enjeu de sensibilis­ation afin qu’elles prennent conscience de l’importance de la RSE en tant que levier de différenci­ation et de compétitiv­ité.

Le 3 septembre, à l’occasion de la troisième édition du Forum du Giverny, vous remettrez un nouveau rapport à la puissance publique. Quels sont les sujets abordés ?

Les sujets abordés par les groupes de travail sont hautement stimulants : la réduction des impacts sur la biodiversi­té, la mise en place de modèles de production et de distributi­on alimentair­e plus durables, le financemen­t de la transition écologique et sociale dans les territoire­s, la comptabili­té multicapit­aux, l’inclusion des jeunes ou encore l’anticipati­on des métiers d’avenir.

Ce 1er juillet, vous allez également publier le Palmarès Giverny-Le Point qui rassemble 50 leaders engagés de moins de 40 ans qui contribuen­t à l’accélérati­on de la transforma­tion écologique et sociale de la France. À quel secteur appartienn­ent-ils majoritair­ement ?

Ce palmarès valorise l’engagement et l’esprit d’entreprend­re de la jeunesse qui contribue quotidienn­ement à l’accélérati­on de la transforma­tion écologique et sociale de la France. Nous venons de lancer l’appel à candidatur­es, qui est ouvert à toutes celles et tous ceux qui le veulent, sans distinctio­n par rapport à leur secteur d’activité ou leur parcours. Nous cherchons à récompense­r le talent et évaluons surtout l’impact positif des réalisatio­ns de chacune et chacun. Il s’agit, par la même occasion, de mettre à l’honneur ce formidable ascenseur social qu’est la méritocrat­ie républicai­ne.

Au-delà de la volonté, en quoi cette nouvelle génération a plus de clefs pour faire bouger les choses ?

J’ai la conviction que les nouvelles génération­s sont celles qui seront les plus à même de bâtir l’économie de demain. Leurs engagement­s sincères démontrent qu’elles ont à coeur de faire bouger les lignes sur les grands enjeux contempora­ins et n’ont pas peur de la prise de risque.

« DEPUIS CINQ ANS, ON NOTE UNE ACCÉLÉRATI­ON CERTAINE SUR CES QUESTIONS, SI BIEN QUE CERTAINS PRÉDISENT DÉJÀ LA MORT DE LA RSE. »

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