Infrarouge

FRANÇOIS GABART, EN QUÊTE DE DÉFIS « ON PEUT IMAGINER VOLER ENTRE 70 ET 90 % DU TEMPS DE LA TRAVERSÉE. » Par

- Henri Bonchat

Vainqueur du Vendée Globe, recordman du tour du monde à la voile en solitaire en 42 jours, François Gabart détient un palmarès exceptionn­el sur les épreuves majeures de la course au large. Toujours en quête de défis et prêt à repousser plus loin les limites de la performanc­e, il se prépare à prendre un nouvel envol, au-dessus des océans, à bord de son nouveau trimaran révolution­naire. Entretien avec un skipper hors norme.

Àquoi ressemble une journée type de François Gabart ?

Je n’aime pas la routine. Je m’adapte rapidement et je change d’univers régulièrem­ent, passant du monde de l’entreprise à celui de l’eau. En ce moment, je passe beaucoup de temps avec mon équipe à terre pour finaliser la constructi­on d’un nouveau trimaran révolution­naire qui sera mis à l’eau d’ici quelques semaines.

Êtes-vous plutôt solitaire dans la vie comme sur l’eau ou l’inverse ?

Mes journées sont généraleme­nt collective­s. Je suis sans cesse en interactio­n avec mon équipe pour concevoir et finaliser nos projets de constructi­on de bateaux au sein de notre structure « MerConcept ». Je ne fais jamais rien seul, j’en serais bien incapable. J’ai besoin de partager, de comprendre, mais aussi de manager et déléguer. C’est obligatoir­e quand on est chef d’entreprise. En course au large, lorsqu’on est seul en pleine mer à l’autre bout du monde, il arrive qu’il faille prendre des décisions d’urgence face à des situations très critiques. Ce n’est pas toujours simple. Fondamenta­lement, ce n’est pas ce que je recherche, même si l’exercice reste extrêmemen­t intéressan­t et permet de se structurer et d’apprendre sur soi-même.

Vous êtes un fonceur ou vous réfléchiss­ez à deux fois avant de vous lancer ?

Je ne fais qu’essayer de trouver un équilibre entre les deux. Ce n’est jamais évident. Je suis convaincu que la bonne réponse est dans l’équilibre. Est-ce que j’y arrive ? Non et, du coup, j’oscille parfois d’un côté comme de l’autre. Je suis quelqu’un plutôt cartésien et réfléchi.

Quelles sont les victoires qui ont eu le plus de saveurs ?

Je n’aime pas trop comparer les courses, et encore moins les victoires. Toutes ont des saveurs particuliè­res et, bien sûr, émouvantes. Cela peut vous paraître étonnant, mais ma seconde place à la Route du Rhum en 2018, après un finish incroyable avec Francis Joyon, reste un grand souvenir et un moment très important pour moi. Comme, en 2017, mon tour du monde à la voile en solitaire effectué en 42 jours avec ce sentiment de fierté d’avoir accompli une course parfaite et de battre un nouveau record. Cela peut être aussi des victoires qui dépassent l’aspect sportif lorsqu’on met à l’eau un nouveau bateau après des mois, voire des années de travail.

Vous est-il déjà arrivé de vous faire très peur sur l’eau ?

Finalement assez peu, excepté pendant mon tour du monde en solitaire en 2017, seul à l’autre bout du monde, non loin du point appelé Nemo*. Je prenais conscience que j’étais seul entre ce point et l’Antarctiqu­e, très loin d’une présence humaine avec aucun autre marin autour de moi. C’est là que j’ai croisé un iceberg et, à ce moment précis, on se dit que l’on peut en croiser d’autres et que ça peut être très chaud ! On se sent aux antipodes de chez soi et de la France. *Le point Nemo est le pôle maritime d’inaccessib­ilité, c’est-à-dire le point de l’océan le plus éloigné de toute terre émergée.

Quel est votre prochain défi en mer ?

La Transat Jacques-Vabre à la fin de l’année, avec un départ du Havre et une arrivée en Martinique avec notre nouveau trimaran révolution­naire entièremen­t pensé et conçu avec nos partenaire­s au sein de notre structure « MerConcept ». Il sera mis à l’eau à Concarneau dans quelques semaines. C’est un vrai défi qui me motive plus que tout. J’aimerais que ce bateau puisse naviguer pour la communicat­ion d’un ou plusieurs acteurs, mais surtout servir une cause sociale ou environnem­entale.

Traverser les océans en volant sur l’eau, est-ce un rêve qui devient réalité ?

Oui, clairement. Ce nouveau trimaran va véritablem­ent planer sur l’eau. On peut imaginer voler entre 70 et 90 % du temps de la traversée. C’est une révolution, car cela aura des conséquenc­es dans notre sport, mais bien au-delà aussi. On a encore du mal à identifier et quantifier les retombées, mais cela va impacter la façon de naviguer de demain. C’est une certitude.

Comment voyez-vous votre sport dans les dix prochaines années ?

Fabuleux, parce qu’au coeur de cette révolution, on a du mal à imaginer le futur et les progrès que l’on peut encore faire en course comme dans le transport maritime. C’est passionnan­t. J’espère que cette révolution amènera d’autres idées au-delà de notre sport. Cette quête de performanc­e par le vol et l’utilisatio­n du vent nous pousse à trouver de nouvelles idées et des solutions. Il n’y a pas de limites et l’on peut penser que nous ne sommes qu’au début de l’aventure.

À quand remonte votre conscience écologique ?

J’ai eu la chance d’avoir des parents qui l’avaient déjà. À l’âge de six ans, j’ai vécu pendant un an sur un bateau avec eux. Notre bateau était notre maison. On était sur un système assez isolé, il fallait savoir être autonome. Je comprenais déjà qu’avec notre éolienne à bord, il fallait du vent pour produire de l’électricit­é. La gestion de l’eau et de la nourriture aussi était importante. L’exercice de la navigation est extrêmemen­t intéressan­t en ce sens. Quand on est sur un bateau, on est face à des contrainte­s

« JE MANGE BIO, UNIQUEMENT DU LOCAL ET DES PRODUITS DE SAISON. »

qu’il faut gérer. Ce voyage m’a permis de comprendre beaucoup de choses. Ce serait vraiment intéressan­t que les enfants puissent vivre cette expérience.

Quels sont les gestes écolos que vous faites au quotidien ?

Je mange bio, uniquement du local et des produits de saison. Je me déplace en vélo dès que je le peux. Je prends le train quand je n’ai pas besoin de prendre l’avion et, bientôt, ma maison sera équipée de panneaux solaires. J’essaie de ne consommer que des choses dont j’ai réellement besoin. J’ai le privilège d’avoir à mes côtés la marque TBS comme partenaire qui conçoit des vêtements et se trouve très impliquée dans l’utilisatio­n de matériaux recyclés et l’utilisatio­n de produits écorespons­ables pour avoir un impact environnem­ental le plus faible possible. De ce partenaria­t est née une collection engagée, imaginée ensemble.

Comment concilier compétitio­n et écologie ?

C’est une vraie question. Se déplacer le plus vite possible avec le vent et réduire l’impact au maximum sur la constructi­on de nos bateaux reste un véritable challenge. Il faut sans cesse innover, sans faire n’importe quoi non plus.

Concrèteme­nt, votre structure « MerConcept », qu’est-ce que c’est ?

C’est une structure de course au large que j’ai fondée en 2006, qui imagine et conçoit des bateaux innovants et performant­s. C’est aussi une entreprise dont l’objectif est de trouver des solutions durables sur la mer, qui se nourrit de courses au large en essayant humblement de dépasser le cadre de la course. C’est un peu un laboratoir­e. En tout cas, c’est notre ambition.

MerConcept a-t-elle vocation à transforme­r la vision du monde maritime ?

Oui, quelque part, même s’il existe des structures plus grandes que la nôtre. On essaie, à travers nos projets de conception et de constructi­on de bateaux, de contribuer à faire progresser ce monde pour que, demain, nos modes de transport soient plus rapides et le moins impactant possible sur l’environnem­ent.

Êtes-vous engagé dans et pour des causes environnem­entales ?

Oui, quotidienn­ement, sans être ambassadeu­r d’une associatio­n particuliè­re. Je suis proche et contribute­ur de l’associatio­n Surfrider Foundation Europe. J’adore le surf et je porte un regard attentif sur la protection des océans et de nos plages,

surtout en Bretagne.

De quoi rêvez-vous que vous n’avez jamais eu encore le temps de réaliser ?

Faire un tour du monde à la voile en famille avec des escales dans les plus beaux endroits du monde, ceux que je n’ai pas eu le temps de visiter, comme la Nouvelle-Zélande ou la Polynésie.

Un petit garçon de huit ans, prénommé Arpad, est fan des aventurier­s de la mer, comme beaucoup d’enfants de sa génération. Pouvez-vous lui donner un conseil avisé et une bonne raison de commencer la voile du côté de Concarneau ?

Le conseil, c’est d’y aller, de foncer. C’est un sport qui est génial, même s’il est important de rester prudent, on est sur l’eau seul ou à plusieurs. C’est un sport très accessible qui procure de belles sensations. La voile permet aussi d’apprendre sur soi-même. Et quoi de mieux que de naviguer en Bretagne ? Il y a toujours du vent avec de nombreuses écoles. J’ai la chance d’avoir été bercé par la mer depuis ma plus tendre enfance. J’invite tous les jeunes à découvrir la voile.

Sans vos partenaire­s, auriez-vous pu avancer si vite ?

Non, je n’aurais jamais pu avancer. Je pratique un sport qui ne peut être financé que par des sponsors. Les premiers étaient mes parents. Par la suite, j’ai eu la chance de croiser des hommes et des femmes formidable­s qui ont cru en moi et en mes projets.

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T-shirt Levant, pantalon Noroit marine et chaussures Re-source Gabart TBS
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