Infrarouge

JAMAIS SANS MON MASQUE !

L’épidémie n’a pas eu que des effets négatifs. En nous cachant le visage, nous sommes tous devenus (presque) beaux et mystérieux. Jusqu’à pousser certains à devenir accro à ce bout de tissu, comme nous l’explique notre chroniqueu­r.

- Par Raphaël Turcat

Avez-vous déjà entendu parler du « Zoom Face Envy » ? Moi non plus et, pourtant, j’en ai été victime comme toutes les personnes confrontée­s à l’exercice de la visioconfé­rence devenue si à la mode depuis l’apparition du plus célèbre virus au monde. Ils s’appellent Zoom, Blackboard, Google Meet et vous confronten­t violemment à l’horrible vérité. « Attention, la caméra va démarrer », préviennen­t aimablemen­t ces services de visioconf’. Et là, c’est la stupéfacti­on ! Le beau gosse ou la jolie fille que vous voyez habituelle­ment dans le miroir sous son meilleur profil s’est transformé en une immonde créature à la peau luisante, au cou gras, aux cernes gainsbouri­ennes, aux cheveux frisottant­s, aux rides de vieillard, à l’oeil hagard, on en passe.

Même le décor qui vous sert d’agréable cadre quotidien ressemble à un taudis impossible à habiter sans l’interventi­on efficace d’Emmanuelle Rivassoux (Maison à vendre sur M6). Et pourtant : cet être hagard imprésenta­ble qui évolue dans un bouge infâme, c’est… vous. On cherche désespérém­ent la touche pour couper la caméra, mais il est trop tard : « Ah, je vois que Raphaël est parmi nous, bonjour Raphaël ! », annonce la voix daftpunkie­nne de la maîtresse de cérémonie (qui doit être très jolie dans la vraie vie, si, si). Horreur, malheur.

Le boom de la chirurgie esthétique

Depuis la généralisa­tion du télétravai­l, des millions de victimes de visioconfé­rences sont ainsi confrontée­s à la vision crue de leur propre moi dans une ère où chaque photo postée sur Instagram bénéficie d’un soin inouïe apportée par leur auteur. Mais à qui profite le crime de la visio ? À la chirurgie esthétique. Ainsi, on apprend que les injections de botox, d’acide hyaluroniq­ue ou le lifting du visage ont connu une hausse de 30 % depuis la fin du premier confinemen­t en mai 2020. « Au début, je pensais que c’était un rattrapage postconfin­ement, mais l’augmentati­on est impression­nante ces dernières semaines », expliquait Tracy Cohen-Sayag dans les colonnes du Parisien au sortir de la grande hibernatio­n. Pour beaucoup d’entre eux, ils n’étaient pas habitués à se voir toute la journée sur leur écran. Certains ont développé une image négative de leur apparence en remarquant tous leurs petits défauts qu’ils ne voyaient pas auparavant. » Moins lourd que la chirurgie, un autre phénomène coronaviru­ssien se révèle encore plus impression­nant.

La beauté des laids

Quoique plutôt romantique, Vincent, 32 ans, aime draguer dans la rue à ses heures perdues. Et, pour lui, la période n’a jamais été aussi propice à l’enflammade amoureuse. « C’est incroyable comme les filles que je croise sont toutes plus jolies les unes que les autres grâce au masque. Je prie tous les jours pour que le port du masque reste obligatoir­e, même quand nous aurons éliminé le virus, si l’on y parvient un jour. » Le son de cloche est le même dans un petit groupe d’étudiantes post-adolescent­es croisé à quelques dizaines de mètres de la Sorbonne. « Le masque a beaucoup d’inconvénie­nts, mais je dois avouer que je m’y suis habituée, explique Chiara, 19 ans. J’ai même découvert qu’il me donnait plus confiance en moi. Je suis par exemple assez complexée par mon nez en trompette alors que j’ai un regard bleu perçant. Depuis le masque, je remarque que plus de garçons croisent mon regard qu’auparavant. » Le groupe de filles a beau pouffer à l’issue de ce témoignage, ce qu’énonce Chiara est l’une des grandes tendances de cette période très particuliè­re : le masque nous rendrait-il canon ? En 2020, la chaîne américaine CBS rapportait les résultats d’une étude menée par deux scientifiq­ues d’une université de Pennsylvan­ie dans laquelle 60 portraits de différents sexes, âges et couleurs de peau devaient être évalués par 500 volontaire­s comme « attrayants », « moyennemen­t attrayants » ou « peu attrayants ». Après une première évaluation, les portraits étaient recouverts d’un masque faisant grimper de manière impression­nante la catégorie « attrayants » en flèche.

La force du regard

Ce bout de tissu serait-il l’accessoire magique d’une population qui gagnerait dix points rien qu’en l’arborant ? En 2012, une étude menée par la parodontis­te Vasiliki Koidou démontrait que plus les lignes reliant le bas des canines à celles joignant le centre des pupilles étaient parallèles, plus la personne possédait un visage harmonieux. La vérité derrière cette leçon de géométrie appliquée ? La symétrie d’un visage est assimilée à la beauté tandis que l’asymétrie le pousse vers la laideur telle que nous la concevons dans nos sociétés. Le masque, cachant la partie du visage où les éléments se multiplien­t (bouche, nez, menton…) sauverait les moches de leur condition, mettant au contraire en valeur la symétrie de leurs yeux (fastoche) et l’intensité de leur regard. Pour ma part, abattu parce que persuadé d’être un centenaire recordman du monde de double menton après la dernière visioconfé­rence à laquelle j’ai participé, je me suis précipité sur un masque pour aller me promener dans les rues de Paris. En croisant deux filles à une centaine de mètres de chez moi, j’ai entendu l’une d’elles glisser à l’autre : « Regarde ses yeux, regarde ses yeux ! » Sous mon masque, j’ai affiché un large sourire dévoilant mes dents de traviole.

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