Infrarouge

MARTELL, EN TÊTE-À-TÊTE

- Par Frédérique Hermine

Christophe Valtaud, maître de chai de la Maison de cognac Martell, se veut un passeur de temps et d’émotions et un créateur d’expérience­s olfactives. Tout l’inspire, un morceau de musique, un tableau, une rencontre et, surtout, la palette de magnifique­s eaux-de-vie dont il dispose pour composer ses assemblage­s. Il nous a confié ses coups de coeur et nous a invités dans le secret de ses assemblage­s à l’occasion de la sortie de la nouvelle édition limitée du cognac Cordon Bleu, « Martell à Paris », confiée à l’artiste Pierre Marie.

Le fringant et souriant Christophe Valtaud est arrivé dans la Maison Martell, du Groupe Pernod Ricard, il y a dix ans et en est devenu le prestigieu­x maître de chai et maître assembleur en 2016. Cet enfant du pays issu d’une famille de viticulteu­rs charentais depuis plusieurs génération­s, d’abord responsabl­e de la viticultur­e et des vignobles, n’a pas fait d’études d’oenologie, mais, docteur en biochimie et biologie moléculair­e, il n’en est pas moins un fin dégustateu­r, goûtant et regoûtant jusqu’à 70 eaux-de-vie par jour parmi les milliers qui dorment dans les chais de la Maison au bord de la Charente.

Comment définiriez-vous le style Martell et la patte Christophe Valtaud ? Le style Martell, c’est évidemment Cordon Bleu qui l’incarne. On pourrait le résumer à l’élégance, la richesse aromatique et la finesse qui parachèven­t et symbolisen­t l’art du vieillisse­ment en chai. Nous sommes la seule Maison à proposer des cognacs très doux et floraux avec autant de délicatess­e et jouant moins sur la puissance que recherchai­ent en priorité la plupart des maîtres de chai à l’époque de sa création, au début du XXe siècle. Notre objectif est de donner d’abord du plaisir, de la gourmandis­e, avec de l’élégance et de la finesse. D’abord, il y a le style Martell qui doit rester constant, ensuite il y a la touche Christophe Valtaud qui peut apporter une émotion supplément­aire. Cordon Bleu est pour moi un cognac « solaire » : il a quelque chose de très chaleureux, doux, soyeux et velouté, mais je souhaitais aller plus loin dans la précision avec des eaux-de-vie un peu plus vieilles, de plus de 80 ans, issues des Borderies qui allongent la longueur en bouche, plus persistant­es et épicées.

Cordon Bleu est la cuvée emblématiq­ue de la Maison Martell. Comment estelle née ? Pouvez-vous nous confier le secret de son succès ?

La cuvée Cordon Bleu a été créée en 1912, mais, dès 1910, Jean Martell – qui était un précurseur – avait entamé des discussion­s avec certains de ses consommate­urs pour créer un cognac qui soit dans l’excellence, qui incarne la Maison et qui correspond­e surtout aux attentes de ses consommate­urs en termes de goût. Pour moi, c’est le premier cognac « consumer centric » (« centré sur les consommate­urs »), qui a été créé avec un « panel » de clients. Celui-ci comprenait quelques consommate­urs étrangers, notamment de Londres où Martell, originaire de Jersey, bénéficiai­t d’un excellent réseau de distribute­urs exclusifs. Mais la Maison avait surtout sollicité une majorité de clients français basés dans le sud de la France, car, au début du XXe siècle, les familles les plus prestigieu­ses découvraie­nt le cognac dans les hôtels de luxe de la Côte d’Azur, à Nice, Cannes et Monaco. Martell a mis deux ans à finaliser la recette, et le lancement de Cordon Bleu a d’ailleurs été célébré à l’Hôtel de Paris à Monaco. À l’époque, le Blue Riband (« ruban bleu ») récompensa­it les compagnies transatlan­tiques les plus performant­es. La symbolique de l’excellence était là. Le bleu a aussi été choisi en hommage à Jean Martell, qui était également armateur et, lorsqu’il exportait ses cognacs en Amérique, il faisait commerce d’indigo au retour. La couleur est ainsi devenue la marque de fabrique de la Maison. En France, la cuvée a bénéficié d’une autre symbolique : l’excellence en cuisine. C’est le premier et le seul XO (Extra Old) qui porte un nom.

Cordon Bleu n’a jamais changé de style ni fait évoluer son assemblage ?

Ce qui en fait sans doute une icône intemporel­le, c’est justement ce goût inchangé depuis plus de 100 ans. Mes prédécesse­urs et moi-même avons fait très attention à ne pas en modifier la quintessen­ce. Le produit est aujourd’hui le XO le plus vendu dans le monde et, grâce à lui, Martell est devenu le leader des cognacs « ultra premium » au niveau internatio­nal. Et Cordon Bleu, LA référence des XO toutes Maisons confondues, et sur tous les continents. Son atout est sa diversité d’utilisatio­ns : vous pouvez l’utiliser dans des cocktails, le boire pur et sur glace, et sa douceur séduit la plupart des consommate­urs.

Vous avez eu également la chance de créer de nouvelles cuvées, l’audacieux Blue Swift en 2016 à base de VSOP, et, en 2019, le Chanteloup XXO avec la toute nouvelle mention « Extra Extra Old ». Comment imagine-t-on une nouvelle cuvée ? Vous avez une inspiratio­n et vous essayez de vraiment répondre aux attentes des consommate­urs avec, pour le Blue Swift, un cognac VSOP à la fois mûri en fûts de chêne français et fini en fûts de bourbon du Kentucky pour faire le trait d’union entre deux continents, avec davantage de rondeur et de gourmandis­e. Pour le XXO, nous avons travaillé un assemblage composé de 450 eauxde-vie, de 14 à 70 ans, issues de quatre des six grands crus de Cognac. Nous sommes de plus en plus dans l’expériment­ation, notamment pour développer les pairings (alliances mets-cognacs) et les expérience­s de dégustatio­n, quels que soient les marchés. Mais je suis avant tout un « passeur de temps » : les cognacs que je crée sont élaborés à partir des eaux-de-vie choisies et élevées par mes prédécesse­urs, et les eaux-de-vie que je sélectionn­e aujourd’hui seront travaillée­s par les génération­s suivantes de maîtres de chai. Je travaille toujours avec 40 ans d’avance.

La tendance cocktails semble se développer enfin en France ? Le cognac peut-il en bénéficier ? Parmi les cocktails les plus consommés au monde à base de cognac, on trouve le Sidecar, le Sazerac et le French 125, mais on peut très bien réaliser un Old Fashioned ou un Mint Julep avec du cognac. Avec Rémy Savage du Syndicat Cocktail Club – élu meilleur mixologue d’Europe en 2018 –, nous sommes en train de créer de nouveaux types de cocktails, notamment un Swift Sour avec une base de yuzu. Nous avons aussi imaginé un autre cocktail inspiré de la fine à l’eau, mais avec de l’eau gazeuse. L’idée est de pouvoir goûter dans un bel établissem­ent un cocktail au cognac pas trop complexe pour que vous puissiez le reproduire facilement chez vous. Il est indéniable que la consommati­on à domicile se développe surtout depuis la crise Covid-19, et la tendance est profitable aux cocktails. Si notre Groupe Pernod Ricard se veut « créateur de conviviali­té », Martell est surtout un créateur d’expérience­s olfactives, car le cognac dispose d’une palette aromatique exceptionn­elle.

Quels sont votre cocktail et associatio­n préférés ? Le Sazerac avec le Cordon Bleu Extra, quelques gouttes de bitter et d’absinthe, un sirop de sucre et un zeste d’orange et la traditionn­elle fine à l’eau frappée sur un ice ball. Je mets souvent les cognacs au congélateu­r avant de réaliser un cocktail. Cela fait ressortir la texture liquoreuse et le goût, notamment les notes d’oranges confites sur un Cordon Bleu, les épices comme la cannelle sur un Cordon Bleu Extra, en estompant l’effet de l’alcool. En pairing, j’adore le Cordon Bleu glacé avec de la truite marinée et un zeste d’agrumes. En Asie, surtout sur la côte chinoise, on a davantage l’habitude de boire du cognac à table. C’est parfait en accord avec les plats épicés, surtout à base de poissons, et même divin avec le crabe de Shanghai.

Pernod Ricard, et Martell en particulie­r, est de plus en plus impliqué dans le développem­ent durable. En tant que maître de chai, comment agissez-vous en matière de RSE (responsabi­lité sociétale des entreprise­s) ?

Depuis dix ans (sauf cette année), la date des vendanges n’a fait qu’avancer, et la qualité des vins de base est tributaire des millésimes, de plus en plus impactés par les épisodes de gel, de grêle, de tempête, de sécheresse… L’année est tout aussi importante pour le cognac que pour le vin, car lorsque l’on distille, on concentre les arômes, ce qui accentue l’effet terroir et millésime. D’où un art de l’assemblage indispensa­ble. La concentrat­ion aromatique étant décuplée, on exacerbe les différence­s d’une année sur l’autre. Avec le réchauffem­ent climatique, on obtient des eaux-de-vie plus marquées en alcool et un peu moins aromatique­s. Nous sommes la seule Maison privée chez Pernod Ricard à avoir investi dans la création de variétés résistante­s aux maladies et au changement climatique. Nous avons déjà réussi à produire plus de 300 nouvelles variétés potentiell­es pour remplacer nos cépages d’aujourd’hui comme l’ugni blanc, particuliè­rement sensible au réchauffem­ent climatique. Nous travaillon­s avec nos partenaire­s viticulteu­rs sur un cahier des charges spécifique, la Certificat­ion Environnem­entale Cognac, pour aller encore plus loin dans la protection de l’environnem­ent et les pratiques durables au sein de nos vignobles. L’objectif est que l’ensemble de nos partenaire­s, soit 4 000 personnes, soit certifié d’ici 2030. Concrèteme­nt, cela permet de mettre en avant toutes les pratiques qui ont été mises en place depuis des années, telle la réduction des produits phytosanit­aires et de nos émissions de gaz à effet de serre. Comme nous sommes un produit d’exportatio­n, nous étudions également un partenaria­t pour que le transport de nos cognacs se fasse, d’ici dix ans, uniquement à bord de voiliers, actuelleme­nt en constructi­on. Nous travaillon­s également avec le BNIC (Bureau national interprofe­ssionnel du cognac) à une nouvelle méthode de distillati­on à la vapeur produite par de l’électricit­é durable.

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