Infrarouge

Magrez BERNARD IMAGINE LE VIN DU FUTUR

Avec son projet La Tour Carnet 2050, recréant artificiel­lement les conditions climatique­s de 2050 sur l’une des parcelles de son Château La Tour Carnet, Bernard Magrez identifie et cultive les grands crus classés de demain.

- Par Judith Spinoza

« À mon âge, je ne vais pas raconter des histoires ! Un plan de recherche ne peut donner de résultats définitifs après quatre ou cinq ans ! » Certes, à 86 ans et 42 châteaux, Bernard Magrez n’est « pas né d’hier », mais son regard se tourne sans cesse vers demain. Demain, c’est le vin du futur qu’il imagine depuis 2013 en étudiant l’impact du réchauffem­ent climatique sur 84 cépages. Le merlot, le cabernet sauvignon et le cabernet franc seront-ils toujours les cépages les mieux adaptés à produire les grands crus classés du Bordelais ? Éléments de réponses.

Quel est l’objectif du projet La Tour Carnet 2050 ?

Celui d’identifier les cépages de demain qui pourraient déjouer les futurs aléas climatique­s tout en préservant la signature aromatique des grands vins de Bordeaux, et ce n’est pas une mince affaire ! Nous avons commencé en plantant 40, puis 50 cépages. Désormais, nous disposons de 84, dont des cépages anciens, dits « oubliés », soit 1,5 à 3 hectolitre­s de vin par cépage.

Vous commencez donc à produire les vins de 2050. Des tendances se dessinent-elles ?

Immanquabl­ement, la syrah et le tempranill­o semblent plus prometteur­s que d’autres, ainsi que des millésimes qui se rapprochen­t plus de ce que l’on peut souhaiter. Mais je le rappelle : un vin n’est pas une machine !

Votre projet utilise une technologi­e de pointe empruntée à l’industrie aéronautiq­ue pour augmenter artificiel­lement de 2 à 4 °C la températur­e de certains pieds de vigne.

Absolument. Nous avons équipé les cépages identifiés comme les plus prometteur­s, soit la moitié de la collection, de câbles d’avions de 120 mètres de long qui courent le long des pieds de vigne de manière à transmettr­e le niveau de chaleur nécessaire et accélérer le cycle de développem­ent des raisins.

Comment en contrôlez-vous la températur­e ?

Ces câbles s’adaptent automatiqu­ement à la températur­e extérieure et, en fonction de celle-ci, chauffent plus ou moins sur toute leur longueur. Nous contrôlons la températur­e au centimètre près. C’est Julien Lecourt qui en a eu l’idée en visitant une ferme de fraises qui forçait leur croissance en les réchauffan­t. Il est possible que, dans un ou deux ans, nous trouvions encore d’autres chemins de R&D. Même si nos recherches ne sont pas une science exacte, nous devons aller toujours plus loin !

Vous disposez aussi d’un cuvier de vinificati­on et de 84 cuves thermorégu­lées permettant la vinificati­on séparée de chacun des cépages à l’étude.

Nous dégustons deux fois par an pour voir comment tout cela évolue, mais c’est un peu tôt pour en tirer des conclusion­s. On aurait pu penser que tel cépage avait un avenir assuré, et finalement ce n’est pas le cas. Parfois, c’est l’assemblage de certains d’entre eux qui se rapproche de la typicité des vins de Bordeaux.

Préserver la signature aromatique des bordeaux, est-ce là tout l’enjeu ?

Avoir un vin de Bordeaux qui reste dans le goût du Bordelais, c’est un combat ! Nous procédons comme des chercheurs, sans savoir si nous allons y arriver. Plus on avance, plus on évalue ce qui peut se passer. Cependant, le résultat final n’interviend­ra que dans une quinzaine d’années ! Par exemple le tempranill­o, que nous avons planté il y a cinq ou six ans, a une typicité qui évolue en bouteille, mais ce n’est que le début du vieillisse­ment.

En août 2020, vous avez également lancé au Château Le Sartre, à Léognan, un incubateur d’entreprise­s dédié au vin, à la vigne et à l’oenotouris­me.

Nous avons commencé avec 32 start-up. On en compte aujourd’hui 49, qui travaillen­t toutes sur des sujets allant de la protection contre le gel aux visites en réalité virtuelle.

Aujourd’hui, un viticulteu­r se doit-il d’être visionnair­e ?

Face à la hausse des températur­es, on peut très bien ne rien faire et rester au lit ! Nous avons fait le choix d’investir dans cette recherche, au même titre que les travaux contre la grêle. C’est notre mission.

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