Moët Hennessy SE MOBILISE POUR LES SOLS vivants
Philippe Schaus, PDG de Moët Hennessy, la division Vins & Spiritueux de LVMH, nous explique pourquoi il a organisé à Arles le premier World Living Soils Forum et détaille sa stratégie pour renforcer les actions du Groupe en faveur d’une planète plus verte
Pourquoi ce World Living Soils Forum (forum mondial des sols vivants) à Arles ?
Le sujet des « sols vivants » a été identifié il y a quelques années par Moët Hennessy comme un axe principal de notre action pour le développement durable et pour assurer la pérennité de nos affaires de viticulture ancestrale, parfois tricentenaire. Nos Maisons ont un besoin croissant d’échanger en dehors du Groupe avec d’autres acteurs engagés dans le développement durable, que ce soient des ONG, des centres de recherche, des startups… Mais, très vite, la question s’est posée de savoir si on n’ouvrirait pas ce forum à la concurrence et à d’autres acteurs. Il s’agit d’un sujet où tous ensemble nous avons besoin d’échanger et de trouver de nouvelles solutions. Une autre raison est que le Groupe LVMH, dont fait partie Moët Hennessy, a un rôle institutionnel à jouer dans le domaine du développement durable. Ce rôle nous incombe en tant que leader mondial des vins et spiritueux de luxe.
Ce forum peut-il devenir une sorte de Davos de la protection des sols ?
Le terme « Davos » est inapproprié, car c’est un événement très politique alors que, justement, nous ne nous inscrivons pas dans une telle approche. Mais oui, l’idée est bien de créer un grand sommet mondial et récurrent
« TOUTES CES ACTIONS S’INSCRIVENT DANS NOTRE RECHERCHE PERPÉTUELLE DE L’EXCELLENCE, CELLE-CI ÉTANT IN FINE LA CLÉ DE LA DÉSIRABILITÉ DE NOS MARQUES. » PHILIPPE SCHAUS
sur le thème des sols vivants et d’y associer la profession et nos concurrents. Je l’ai d’ailleurs déjà proposé à certains d’entre eux, dans une logique d’accroissement de visibilité et de rayonnement.
Au-delà de votre profession, la planète n’a-t-elle pas aussi besoin de cette mobilisation ?
Bien sûr. Plus on se penche sur le sujet des sols, plus on se rend compte que c’est un écosystème complexe, et il est très important que l’on commence à le cerner de mieux en mieux. Les sols, quand ils sont en bonne condition, au-delà de leur rôle dans la croissance des végétaux grâce à leurs différents microorganismes, absorbent des quantités considérables de carbone. Par ailleurs, la perte et la dégénération d’une part importante des sols à l’échelle planétaire engendreraient des problèmes certainement plus graves que celui du réchauffement climatique. Nous pourrions ne plus avoir assez de terres fertiles pour nous nourrir.
Dans quelles directions devez-vous faire mieux, ou plus ?
Nous prenons beaucoup d’initiatives pour l’environnement et la planète : la création de corridors de biodiversité, l’agroforesterie, l’arrêt de certaines substances chimiques nocives en viticulture, l’utilisation de biomasse à la place de gaz, la construction de bâtiments respectant les normes de haute valeur environnementale, l’introduction de ruches dans les vignes, sans parler du transport international de nos produits qui est presque uniquement maritime. Et aussi nos emballages que l’on réduit très fortement. Nous savons que nos actions sont pertinentes, mais nous ignorons si, sur l’ensemble des mesures prises et des coûts induits, nous avons placé le curseur au bon endroit. Il faut optimiser les investissements pour maximiser l’impact environnemental. Aujourd’hui, nous sommes parfois encore trop dans l’expérimentation et l’intuitif, alors que nous avons des arbitrages budgétaires à faire entre toutes les actions possibles et leur dimensionnement, que ce soit sur la consommation d’eau et d’énergie, l’augmentation de la biodiversité ou les différentes manières – directes ou indirectes – d’améliorer notre bilan carbone.
Le forum vous a-t-il apporté des idées sur ces sujets ?
Absolument. Par exemple, d’après certaines études, le fait d’avoir des ruches d’abeilles dans un vignoble, au-delà de leur impact sur la biodiversité, peut augmenter de plus de 10 % le rendement, même si elles n’interviennent pas directement dans la pollinisation des vignes. Ces informations sont très importantes et peuvent nous conduire à réaliser des tests à grande échelle pour vérifier leur application dans nos cultures.
Cela veut-il dire moins de petites actions au profit de plus grandes, plus efficaces ?
Ou bien les dimensionner différemment. Il faut optimiser les choix afin d’obtenir un maximum d’effets, tout ceci dans le cadre d’un investissement maîtrisé et une gestion optimale des ressource. Lorsqu’on achète une voiture, il est très compliqué de choisir entre un moteur thermique, électrique ou hybride si l’on ne considère que son impact environnemental global. En apparence, l’électrique serait le bon choix, mais cela dépend aussi de l’origine de votre source d’énergie pour la recharger : charbon, nucléaire ou éolien ? Un choix d’une grande complexité, finalement.
Devrez-vous investir beaucoup plus dans le développement durable ?
On investit déjà beaucoup, et nous allons continuer dans ce sens. Mais mon intuition est aussi qu’on peut aller beaucoup plus loin en optimisant l’allocation de nos investissements sur la base d’analyses poussées et pertinentes et en testant, cherchant de nouvelles méthodes. Bref, nous devons aller plus loin dans la mesure et dans le bon dimensionnement d’actions de plus en plus innovatrices.
Dans le passage au bio, vous reste-t-il du chemin à accomplir ?
Le bio implique de n’utiliser que des substances naturelles pour traiter la vigne. Nous avons adopté des solutions telles que les cover crops ou encore les systèmes de traitement mécanique des sols par tracteurs électriques. Nous nous passons d’insecticides grâce à des systèmes de confusion sexuelle des insectes et nous évitons le recours aux fertilisants de synthèse. Le vrai problème reste celui des champignons, en particulier du mildiou que l’agriculture bio accepte de combattre avec des dérivés du cuivre, lesquels hélas s’accumulent dans les sols et sont nocifs pour certains organismes indispensables à des sols en bonne santé. C’est pourquoi nos experts préfèrent le concept des « sols vivants », qui est plus large que celui du bio. Il y a beaucoup d’enseignements très positifs à tirer de l’agriculture bio et aussi de certaines méthodes issues de la biodynamie. D’ailleurs, là où il existe peu de problèmes de mildiou, comme sur notre domaine du Château Galoupet, nous avons saisi l’opportunité de faire une conversion de ce rosé de Provence en bio.
Faut-il accepter d’avoir des rendements moindres ?
À notre niveau, la productivité plus faible du bio peut être compensée par la valeur commerciale de nos produits, grâce à leur excellence et à la désirabilité de nos marques. En revanche, à l’échelle planétaire, si nous devions accepter ce chiffre « référence » compris entre 20 et 30 % de rentabilité, nous aurions besoin de 20 à 30 % de terres arables en plus pour produire la même quantité de nourriture en bio. Ce n’est évidemment pas réaliste, dans l’état actuel de nos connaissances.
Faites-vous un arbitrage entre l’exigence de bons résultats économiques et ces efforts pour le développement durable ?
Ici, comme sur d’autres sujets, nous sommes sur des temps longs. Ainsi, à Cognac, nous mettons en cave des eaux-de-vie qui seront commercialisées dans 50 ou 100 ans. S’il fallait uniquement optimiser nos résultats immédiats, ce serait forcément au détriment des résultats dans un demi-siècle. De même, quand nous investissons dans des immeubles à très haute valeur environnementale, dans l’amélioration de nos méthodes en viticulture, voire dans la biodiversité, nous n’avons pas non plus de payback immédiat. C’est sur la durée que l’on gagne ! Et puis, toutes ces actions s’inscrivent dans notre recherche perpétuelle de l’excellence, celle-ci étant in fine la clé de la désirabilité de nos marques.
L’actionnaire pourrait-il vous demander de limiter vos efforts pour respecter des objectifs de résultat financier ?
Avec mon équipe, je gère l’entreprise de manière à générer suffisamment de résultats pour satisfaire nos actionnaires tout en ayant consenti à des efforts financiers importants en développement durable, R&D et autres activités à moyens et longs termes.
Organiserez-vous un deuxième forum mondial des sols vivants ?
Je pense que oui, probablement d’ici à deux ans. Tout d’abord, il s’agit de bien digérer, de synthétiser les commentaires de nos participants et de partager les résultats de ce premier forum. Ensuite, conjointement avec le Global Living Soils Forum Board, constitué de nos collaborateurs et d’experts externes, nous allons réfléchir à son format, son focus et comment le mettre en oeuvre. Ce deuxième forum ne pourra pas être une répétition du premier, mais plutôt une prochaine étape dans notre aventure collective vers une viticulture et une agriculture de plus en plus respectueuses de nos sols.