ORENZ BÄUMER, L’ALCHIMISTE DE LA PLACE VENDÔME
« La Vie en Rose », nouvelle collection de haute diamanterie que le créateur franco-allemand Lorenz Baümer a imaginée en partenariat avec le Groupe Burgundy, résume en peu de mots – mais beaucoup de carats colorés – la maxime du seul créateur indépendant de la place Vendôme : Sua quisque fortunae faber est. Chacun est l’architecte de son bonheur, de son art et de son excellence, à commencer par ces précieuses pierres dont il nous parle en avant-première.
Lorenz Bäumer est à la joaillerie ce que Lagerfeld était à la mode : un créateur prolifique qui a su s’affranchir de cette loi si peu universelle, mais si française, voulant qu’on ne puisse exceller que dans un seul domaine. Un génie transformant tout ce qu’il touche en or… voire en diamant de couleur, pierre angulaire de « La Vie en Rose », spectaculaire collection de haute joaillerie qu’il dévoile en septembre. Après avoir créé les codes de la joaillerie Chanel, imaginé la ligne de joaillerie Vuitton, dessiné les étuis des rouges à lèvres Guerlain, Lorenz Bäumer détaille sa nouvelle collaboration. Et les autres.
« La Vie en Rose », est-ce à cause d’Édith Piaf ?
J’adore cette chanson, mais j’ai surtout choisi ce nom parce que les bijoux sont des compagnons du bonheur. Une façon de se dire qu’on s’aime soi-même ou qu’on aime l’autre.
Vous avez été précurseur dans l’utilisation des diamants de couleur, longtemps mal-aimés.
Je les utilise depuis toujours. Aujourd’hui, nombre d’entre eux, comme les diamants roses, bleus, rouges, verts ou noirs, sont très appréciés, alors que le diamant marron reste moins coté, mais plus accessible ! J’aime ces nuances de teintes qui ajoutent de la complexité à la perception d’un diamant.
Fin juin, vous avez choisi de présenter les diamants bruts avant de les présenter montés. Pourquoi ?
Parce qu’il est extrêmement rare de voir autant de diamants de couleur de manière brute, avant la création d’un bijou !
Combien de carats une pierre perd-elle après sa finition ?
Il y a une perte d’environ 45 % entre la pierre brute et la pierre finie.
« La Vie en Rose », ce sont une trentaine de pièces spectaculaires, dont un sublime pendentif avec un diamant rose hors du commun.
En effet. Ce diamant rose incroyable de trois carats, surnommé le « Stella Diamond », a été rebaptisé le « Grace Diamond » en hommage à Grace Kelly, princesse de Monaco. C’est l’une des dernières pierres à être sortie de la mine australienne d’Argyle, fermée en 2020. On y extrayait 90 % de la production mondiale de diamants roses et rouges.
Pourquoi avoir choisi de collaborer avec le Groupe Burgundy Diamond Mines, spécialisé dans la vente de diamants polis de couleur fantaisie, qui vient de lancer la marque de haute diamanterie Maison Mazarea ?
C’est un partenariat très intéressant. Maison Mazarea, dont le nom est inspiré du cardinal de Mazarin, souhaite redonner une âme à la taille ronde standard de 57 facettes. Nous voulons proposer des tailles particulières, un peu comme autrefois. Au milieu du XXe siècle, on cherchait à optimiser le poids, si bien que les pierres pouvaient prendre des formes patatoïdes, ou autres.
Est-ce également pour une raison de traçabilité ?
Effectivement, ce partenariat nous permet de sourcer très exactement les pierres d’un bout à l’autre de la chaîne et de travailler avec des tailleurs de diamants australiens absolument extraordinaires. Je suis toujours partisan de mettre en avant les artisans, à l’inverse des usages de la place Vendôme.
Un bijou, dites-vous, c’est à peu près six ou sept corps de métiers, sans compter les sous-spécialisations. Combien de personnes ont travaillé pour « La Vie en Rose » ?
Une trentaine. C’est à moi, en tant que chef d’orchestre, de trouver les meilleurs et de faire fonctionner tout le monde ensemble. Cette collection aura mis plus de huit mois à naître.
Ce diamant rose est le dernier d’une mine qui ferme, et il n’y a pas de grandes mines en préparation. Quel avenir pour cette pierre ?
Face à une demande qui augmente et des ressources qui baissent, les prix vont s’ajuster. L’upcycling – le fait de réutiliser des gemmes – que nous pratiquons depuis 30 ans va s’accélérer, et, enfin, il sera plus aspirationnel d’avoir un diamant naturel que de laboratoire.
Quelle est votre position sur ces diamants de synthèse ?
Je ne suis pas contre, du moment que la communication sur ce diamant pas très RSE (responsabilité sociétale des entreprises) se montre honnête.
Vous êtes celui qui, il y a 20 ans, a légitimé les Maisons de mode dans le secteur de la haute joaillerie, d’abord chez Chanel puis chez Vuitton. Quel regard jetez-vous sur l’évolution de ce secteur ?
Nous vivons l’âge d’or de la joaillerie. Jamais elle n’a été aussi créative et débridée. Avant, les pierres très chères étaient montées à la queue leu leu. Aujourd’hui, chaque marque rivalise d’imagination et de savoir-faire.
Comment expliquez-vous ce boom joaillier ?
D’abord, par le fait qu’il y a plus de clients fortunés, notamment asiatiques. Ensuite, par la présence des grands groupes de luxe sur ce secteur, qui utilisent leur réseau déjà existant. J’ajoute que c’est Paris la place mondiale pour les présentations de haute joaillerie.
Est-ce votre position de marque indépendante, la seule de la place Vendôme, qui vous permet d’être novateur ?
Oui, certainement. L’avantage, c’est qu’à mon contact un partenaire se retrouve directement en face du vendeur et du décisionnaire final. Cette souplesse et cette efficacité ont permis de donner corps à une foule de projets innovants, par exemple la technique du diamant tatoué, en 2015, qui permet de traiter chaque pierre comme une oeuvre exceptionnelle. Je citerai aussi les montres daguerréotypes, il y a dix ans, et les bijoux en titane, il y a quatre ans.
En novembre sort « The Black Bee Prestige Edition - Lorenz Bäumer & Baccarat », une édition limitée de 22 pièces d’exception imaginée autour de l’abeille de Guerlain en cristal noir. À l’occasion des 75 ans de la NBA, vous avez aussi imaginé le flacon très en rondeur Hennessy x NBA. Une édition limitée à 75 exemplaires en cristal Baccarat.
J’aime multiplier les projets et toucher à des secteurs variés ! Et puis, il y a une vraie résonance entre le cognac, le parfum et la joaillerie, qui sont le fruit du savoir-faire de l’homme et du temps.
En juin, vous avez également sorti une collection arts de la table autour de l’humour avec un service orné de 12 qualificatifs allant de l’Emmerdeuse au Bâtard. Cette aisance créative vient-elle de votre formation de centralien ou de votre vie d’enfant de diplomate ?
C’est lié à ma vie familiale ! Tous les trois ans, on partait dans un nouveau pays, une nouvelle école. Cela m’a appris à me débrouiller, à développer ma curiosité…
Vous êtes un touche-à-tout de talent. En cela, on pourrait vous comparer au génial Karl Lagerfeld.
Cela me touche beaucoup. J’aimais énormément Karl. En plus, je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec lui quand j’étais chez Chanel. C’est un homme que j’admirais. On se croisait toujours chez Galignani… J’aime l’idée d’être créatif de plein de manières différentes. Quand j’ai démarré dans les métiers de la création, on disait : « Ah non, non ! Si tu fais de la joaillerie, tu ne peux pas faire de rouge à lèvres ni de flacon de parfum de décoration. » Aujourd’hui, c’est plus accepté de s’exprimer de multiples façons.
Quels autres secteurs aimeriez-vous explorer ?
J’ai dessiné des décorations de planches de surf, j’ai créé un parfum avec le nez Aurélien Guichard. Aujourd’hui, je travaille avec un éditeur de whisky.
Qu’est-ce qui vous plaît tant dans les collaborations ?
On apprend beaucoup, on s’enrichit. Un plus un, ça ne fait pas toujours deux, ça peut faire trois ou quatre…
Quelle est votre devise ?
Elle est latine : Sua quisque fortunae faber est (« Tout le monde est maître de son propre destin »).