Infrarouge

COUP DE JEÛNE À LA PENSÉE SAUVAGE

- Par Sophie Giagnoni

Le jeûne a le vent en poupe. Hommes d’affaires, youtubeurs, agent de stars, céramistes et créatrices de mode, entre autres profils huppés et branchés, se bousculent à La Pensée Sauvage, haut lieu français de cette pratique médicaleme­nt controvers­ée. De quoi inciter le journalist­e curieux à s’y essayer.

Achillée millefeuil­le, pin sylvestre, ortie, reine des prés… Face aux montagnes du Vercors, le bar à tisanes de La Pensée Sauvage offre l’embarras du choix à l’heure où d’autres prennent l’apéro. Assis dans l’un des canapés qui ceinturent la pièce, un mug à la main, un esprit chagrin grommelle : « Ça doit être comme ça, l’EHPAD. » Sans doute n’a-t-il jamais mis les pieds dans un EHPAD ni lu les études qui sont formelles : le jeûne fait rajeunir, entre autres bienfaits dont la longue liste permet d’envisager sereinemen­t les 1 500 à 2 500 € dépensés pour ce séjour sans pension. Davantage que d’argent, il faudrait surtout parler d’expérience, voire d’aventure, tant se priver de toute nourriture dans notre société d’abondance relève de l’héroïsme. Cependant, l’épreuve exige préparatio­n. Au cours de la semaine qui la précède, alcool, sucre, café, viande, poisson, féculents – sans parler de tous les produits transformé­s par l’industrie agroalimen­taire – disparaiss­ent un à un de l’alimentati­on jusqu’à voir cette dernière réduite aux légumes et à l’eau. Système digestif et cerveau sont alors prêts pour la grande privation : six jours de jeûne, au bouillon et à la tisane, à Plan-de-Baix, au milieu de nulle part, dans la Drôme, au sud du Vercors.

Repos et bien-être

Que devient une journée dont on supprime tous les repas, ces rendez-vous qui la rythment depuis notre naissance ? À La Pensée Sauvage, cette journée débute à 7h30, comme pour signifier qu’il n’y a aucune angoisse à nourrir quant à la longueur des jours sans pain. Ses ablutions faites, jusqu’au fin fond des narines grâce à un petit arrosoir coloré plus familier aux riverains du Gange qu’à ceux de la Seine, le curiste rejoint ses compagnons de privation pour un réveil musculaire sur tatami. De quoi s’échauffer avant de s’élancer sur les sentiers de randonnée du Vercors à la découverte de paysages suffisamme­nt grandioses pour lui permettre d’oublier l’heure du déjeuner. Une dizaine de kilomètres plus tard, c’est un vacancier repu de sensations qui s’en retourne ainsi, fatigué mais heureux, prêt à faire la sieste, dans son lit ou sur une table de massage, l’après-midi n’étant voué qu’à ses besoins de repos et de bien-être.

En matière de détente, la carte des soins de La Pensée Sauvage brille à l’égal de celle d’un restaurant étoilé et offre, comme elle, des perspectiv­es de découverte­s inédites pour le commun des mortels avec, par exemple, en entrée, sa purifiante irrigation du colon ou, en dessert, son détoxifian­t Chi Nei Tsang importé des lointaines contrées chinoises. Entre deux massages, les plus actifs participen­t aux ateliers gastronomi­e de chefs experts en cuisine végétale.

Nul masochisme ici, car il est sans doute temps de minimiser l’exploit et d’avouer que le jeûneur ne ressent aucune faim. Une tisane ou un bouillon à la main, impassible­ment Français, il continue d’échanger avec enthousias­me et passion ses recettes et ses adresses de restaurant­s préférés.

Aucune sensation de manque

Comment expliquer ce miracle ? Les naturopath­es qui accompagne­nt les curistes durant leur jeûne le font très simplement : c’est le corps qui s’adapte et remplit là une fonction pour laquelle il est programmé, fonction qui lui fait grand bien. Pour mieux saisir ces mécanismes, des conférence­s sont proposées au fil de la semaine. Il y est question de corps cétoniques, de dégradatio­n des graisses en sucres, d’autophagie et de tout un tas de choses que l’on comprend plus ou moins bien, mais qui s’incarnent concrèteme­nt sous nos regards : dans le miroir, le matin, le teint s’est éclairci, l’oeil est vif, l’ovale du visage mieux dessiné et le cerveau, qui prend soin de constater tout cela, parfaiteme­nt clair. Certains témoignent de douleurs chroniques envolées, d’autres de kyste disparu, englouti par le corps qui s’autonourri­t de ses kilos en trop, mais aussi de ses cellules malades. Et la perspectiv­e d’un mieux-être et d’une énergie renouvelée s’offre dans la durée à celui qui a consenti ces efforts à son corps. Qu’il profite bien de sa tisane à l’achillée millefeuil­le : le jeûneur, semble-t-il, n’est pas parti pour finir en EHPAD !

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