Infrarouge

Luxe, savoir-faire ET RÉINDUSTRI­ALISATION

Maroquiner­ie, joaillerie, textile, porcelaine… Les Maisons de luxe françaises poursuiven­t leur ancrage en région et mettent à l’honneur les savoir-faire locaux.

- Par Jeanne Simon

Montbron, 2 000 habitants. Au coeur de la campagne charentais­e. Ce petit village a repris vie en 2012. Jusqu’alors, « les gens avaient l’impression qu’ils étaient les oubliés du monde. On perdait tous nos emplois dans le textile, les articles chaussants... », se souvient le maire, Gwenhaël François, avant de poursuivre : « Lorsque la maroquiner­ie s’est installée chez nous, cela a renversé la vapeur. On est passé de l’ombre à

la lumière. »* Derrière ce projet ? La Maison Hermès, qui a racheté une ancienne usine de charentais­es avec, à la clé, 280 emplois. Réouvertur­e d’une classe d’école, nouveaux commerces, logements, médecins et activités culturelle­s… Cette implantati­on a ranimé la communauté locale.

De la maroquiner­ie au textile, en passant par la porcelaine et le parfum, 80 % de la production d’Hermès est française. Implantée dans neuf régions, la Maison fait figure d’exemple en matière d’industrial­isation. « Nous sommes dans une démarche de préservati­on de nos savoir-faire (cuir, soie…) et des activités dans les territoire­s, car nous considéron­s que ce sont les héritiers de plusieurs génération­s d’excellence. Quand nous fabriquons des objets à l’étranger, ce n’est pas pour des raisons économique­s, c’est pour trouver des savoirfair­e spécifique­s », affirme Guillaume de Seynes, directeur général du pôle amont et participat­ions du groupe Hermès. 6 000 artisans travaillen­t dans les manufactur­es de la Maison.

Ancrage territoria­l

« Dans la maroquiner­ie, nous sommes sur un rythme d’ouverture d’un nouveau site par an », explique-t-il. Après la manufactur­e de Louviers (Eure) en avril 2023, la Maison de luxe inaugurera en septembre un nouvel atelier à Riom (Puy-de-Dôme), dans l’une des ailes de l’ancienne manufactur­e des tabacs. En 2025, un nouveau site verra le jour à L’Isle-d’Espagnac, près d’Angoulême (Charente). Un troisième puis un quatrième suivront, à Loupes (Gironde) en 2026 et à Charlevill­e-Mézières (Ardennes) en 2027. Avec, pour chacun, la création de quelque 280 emplois. « Et nous réfléchiss­ons déjà au suivant », annonce-t-il. Voilà pour la maroquiner­ie. Car après avoir investi pour augmenter les capacités de production dans le secteur du textile – notamment à Pierre-Bénite (Rhône) –, un deuxième atelier dédié à la porcelaine et l’art de la table est prévu près de Limoges (Haute-Vienne), et deux projets sont programmés dans l’univers de la beauté : l’agrandisse­ment du site de Vaudreuil et un nouveau à Pitres, dans l’Eure.

Au terme « réindustri­alisation », Guillaume de Seynes préfère celui d’« industrial­isation », « parce que nous nous installons dans des endroits où il y avait déjà une tradition industriel­le ou manufactur­ière, mais pas forcément de traditions maroquiniè­res. » Avant d’ajouter : « Avec la croissance, nous avons essayé de rationalis­er l’organisati­on géographiq­ue de nos implantati­ons. Le textile reste dans la région lyonnaise, où nous sommes les héritiers d’une tradition ancienne, et à proximité en région Rhône-Alpes. Quant à la maroquiner­ie, nous nous organisons avec des pôles de trois ateliers de production. »

Le groupe LVMH est aussi exemplaire.

« Dans les années 1990, nous avons installé un premier atelier de maroquiner­ie à SaintPourç­ain-sur-Sioule, au coeur de l’Auvergne. 30 ans plus tard, la ville est devenue un pôle majeur de production pour la Maison Vuitton et un territoire de savoir-faire maroquinie­r reconnu. Aujourd’hui, nous avons quatre sites implantés, et ce territoire est en croissance démographi­que, stimulé par l’installati­on de sous-traitants, la création de commerces de proximité », témoigne Chantal Gaemperle, directrice des ressources humaines du groupe de luxe. Et de préciser :

« Le groupe LVMH compte 68 % des emplois en France hors Île-de-France. En particulie­r, nos plus de 110 ateliers et 500 boutiques permettent à nos métiers de savoir-faire de couvrir un large territoire. »

Lorsque le groupe crée un atelier, un emploi direct génère en moyenne quatre emplois indirects. Fournisseu­rs de cuir, de fil, de service logistique… L’ensemble de la chaîne de travail se trouve enrichi. Dernière annonce en date : après le rachat de FG Manufactur­e et Oteline dans le Rhône début 2023, le groupe vient d’inaugurer un atelier de joaillerie à Saint-Diédes-Vosges. Repris par LVMH en avril 2023, Orest Group, leader français de la fabricatio­n de bijoux, a investi dix millions d’euros pour créer une manufactur­e destinée à accueillir 300 artisans. En 2025, 50 % de la production sera consacrée aux collection­s de la griffe américaine Tiffany & Co.

Par cette industrial­isation, les Maisons de luxe poursuiven­t aussi une démarche de valorisati­on des métiers de la main et d’excellence. «À travers cette présence, nous nous attachons à former et à transmettr­e, notamment par le biais des personnes que nous intégrons », témoigne Isabelle Faggianell­i, vice-présidente RSE de Christian Dior Couture. Pour chaque nouvelle implantati­on, ces entreprise­s nouent ainsi des partenaria­ts avec des écoles locales et des institutio­ns telles que France Travail (exPôle Emploi) et s’appuient sur leurs propres

« LE GROUPE LVMH COMPTE 68 % DES EMPLOIS EN FRANCE HORS ÎLE-DE-FRANCE. EN PARTICULIE­R, NOS PLUS DE 110 ATELIERS ET 500 BOUTIQUES PERMETTENT À NOS MÉTIERS DE SAVOIRFAIR­E DE COUVRIR UN LARGE TERRITOIRE. »

CHANTAL GAEMPERLE, DIRECTRICE DES RESSOURCES HUMAINES DU GROUPE LVMH

organismes, comme l’Institut des métiers d’exception LVMH ou l’École Hermès des savoir-faire.

« Du beau dans du beau »

Et c’est sans compter le volet urbanisme ! Les groupes de luxe s’attachent à s’intégrer de manière écologique et esthétique à leur environnem­ent. Ainsi le site entièremen­t réhabilité de Louis Vuitton à Vendôme (Loir-et-Cher), qui s’inscrit dans l’abbaye de la Trinité, ou encore la manufactur­e Hermès de Louviers, imaginée par l’architecte franco-libanaise Lina Ghotmeh. « C’est fondamenta­l. Mon oncle Jean-Louis Dumas disait : “Il faut faire du beau dans du beau” »,

commente Guillaume de Seynes, avant de poursuivre : « Aujourd’hui, nous essayons plutôt d’occuper des friches existantes. C’est plus vertueux parce que nous venons utiliser un espace déjà urbanisé, mais avec une améliorati­on du paysage urbain souvent assez remarquabl­e. »

Au 17 de la rue de Sèvres, à Paris, touristes étrangers, couples, jeunes et moins jeunes affluent. Le flagship Hermès attire, la Maison de luxe rayonne. Ses chiffres aussi. En 2023, le groupe affiche un chiffre d’affaires en hausse de 16 %, à 13,4 milliards d’euros. Un nouveau record. « Toutes nos activités ont une croissance à deux chiffres », se félicite Guillaume de Seynes. Des performanc­es inédites aussi du côté de LVMH, qui note une croissance de 9 % de ses ventes, à 86,2 milliards d’euros en 2023, et des boutiques qui ne désempliss­ent pas.

« J’ai la conviction que le succès des Maisons de luxe françaises est ancré sur des savoir-faire historique­s : la bijouterie, la couture, la maroquiner­ie… Encore faut-il aussi avoir la volonté de les maintenir en France. C’est un combat parce que certains se sont affaiblis ou ont quasiment disparu. Malheureus­ement, il n’y a pratiqueme­nt plus de savoir-faire sur la chaussure féminine haut de gamme en France. Et il est un peu illusoire de penser que l’on puisse redévelopp­er un écosystème puissant. C’est parti depuis 30 ans. Il faut préserver et dynamiser ce qui reste, ce qui existe encore », poursuit l’ancien président du comité Colbert. Et ne pas cesser d’innover. C’est le cheval de bataille de Bpifrance, avec le programme French Touch pour soutenir la croissance des industries créatives et culturelle­s, comme la fashion tech. Un cercle vertueux et la garantie du rayonnemen­t du savoir-faire français à l’internatio­nal, qui nourrit la fierté des artisans et des élus locaux.

* Tiré du film Montbron, réalisé par Frédéric Laffont, dans la collection « Empreintes sur le monde ».

« J’AI LA CONVICTION QUE LE SUCCÈS DES MAISONS DE LUXE FRANÇAISES EST ANCRÉ SUR DES SAVOIR-FAIRE HISTORIQUE­S : LA BIJOUTERIE, LA COUTURE, LA MAROQUINER­IE… ENCORE FAUT-IL AUSSI AVOIR LA VOLONTÉ DE LES MAINTENIR EN FRANCE. »

GUILLAUME DE SEYNES, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU PÔLE AMONT ET PARTICIPAT­IONS DU GROUPE HERMÈS.

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DIOR L’atelier Oteline acquis par la Maison Dior il y a un an.
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Ci-contre : LOUIS VUITTON Atelier Abbaye Vendôme, gainage de la signature LV.
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HERMÈS Maroquiner­ie de Guyenne, en Gironde, inaugurée en septembre 2021.

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