LVMH Watch Prize, NOUVELLE HEURE, NOUVELLE ÈRE
Le 6 février dernier, LVMH organisait en grande pompe le Watch Prize for Independent Creatives, récompensant l’innovation, l’audace et le savoir-faire de l’horlogerie indépendante. Gagnant parmi quatre autres finalistes, le Suisse Raúl Pagès détaille les secrets de la RP1, son modèle qui a remporté cette première édition initiée par Jean Arnault, PDG de la division Montres LVMH et directeur horlogerie de la Maison Vuitton.
À «la Fabrique du temps, il y a deux ans, je me souviens d’avoir participé à des débats sur l’orientation à donner à l’industrie horlogère dans les prochaines années. Un commentaire m’a marqué et a été décisif dans ma volonté d’instituer ce prix : ”Louis Vuitton devrait soutenir la création indépendante.” » C’est par ce souvenir, et dans une salle comble de la Fondation Louis Vuitton réunissant toute l’élite de l’horlogerie – spécialistes et collectionneurs –, que Jean Arnault a ouvert la première cérémonie du Watch Prize for Independent Creatives.
Watch family
Son objectif ? Mettre en lumière les horlogers indépendants, vivier incroyable de savoir-faire. Soutenue par La Fabrique du Temps Louis Vuitton, cette initiative rassemble un comité de 45 experts internationaux composé de distributeurs, de collectionneurs, de journalistes spécialisés, d’artistes, d’artisans et de designers, entre autres passionnés. Tous les deux ans, ce jury évaluera le travail des lauréats selon cinq critères : Design et Esthétique, Créativité et Audace, Innovation technique, Détails et Finitions, Complexité. Gratifié d’une dotation financière, le gagnant bénéficiera aussi d’une année de mentorat sur mesure par une équipe d’experts au sein de La Fabrique du Temps Louis Vuitton. « Pour cette première édition, je pensais que nous allions rassembler une centaine de candidatures. Quelle n’a pas été
ma surprise de voir que nous en avons reçu mille ! », s’est réjoui Frédéric Arnault, frère de Jean. Beaucoup donc qui, à l’image du gagnant Raúl Pagès, établi dans un petit village près de Neuchâtel, sont des artisans acharnés. Depuis 2012, ce dernier, spécialisé en horlogerie ancienne, signe environ quatre garde-temps par an, réalisés entièrement à la main dans son atelier Pagès Automates, dont le modèle RP1 – Régulateur à détente, une composition architecturale et chromatique unique, inspirée du noir et bleu céruléum 59 de Le Corbusier. « Convaincre le jury du Louis Vuitton Watch Prize for Independent Creatives représente pour moi la plus belle des reconnaissances en tant qu’horloger indépendant », a déclaré le quadragénaire qui, comme une confirmation de la récente montée en puissance de l’horlogerie indépendante, s’est vu remettre un trophée en argent inspiré d’un spiral de balancier – la pièce la plus importante au sein d’un mouvement mécanique d’horlogerie. Les débuts d’une nouvelle ère ? Jean Arnault n’en doute pas. Pour le jeune PDG, le Watch Prize for Independent Creatives est « un nouveau chapitre dans le monde horloger ».
Votre modèle RP1 – Régulateur à détente se distingue par un calibre doté d’un échappement à détente. En langage grand public, qu’est-ce que ça signifie ?
L’échappement est le dispositif central le plus important d’une montre mécanique, comparable à la puce électronique d’un ordinateur, car il régule le rythme de la montre. Environ 99,999 % de toutes les montres mécaniques utilisent l’échappement à ancre suisse, réputé pour sa robustesse mais pas pour son efficacité ou sa précision. Considéré comme le meilleur jusqu’à présent, l’échappement à détente est malheureusement fragile dans une montrebracelet et difficile à produire et à régler. L’adaptation et la miniaturisation afin de le rendre adapté aux montres-bracelets étaient un challenge.
Pourquoi avez-vous choisi précisément de présenter cette pièce ?
Parce qu’elle est la quintessence de toutes mes créations précédentes, combinant un mécanisme très exigeant d’un point de vue technique, des finitions soignées et une recherche esthétique aboutie.
Sur quoi avez-vous fait la différence par rapport aux autres lauréats ?
Je l’ai entièrement conçue et réalisée, ce qui lui confère une authenticité particulière. Ma force réside dans le fait que je possède plusieurs compétences : je suis horloger, mais aussi constructeur en horlogerie compliquée, maîtrisant des logiciels de 3D et de mise en plan. De plus, mon expérience dans la restauration d’horlogerie ancienne m’a permis de développer une éthique et une capacité à fabriquer des composants manuellement, sans l’aide de machines à commande numérique. Mes créations sont pensées comme des oeuvres d’art, chacune renfermant un fragment de mon âme créatrice.
Combien d’heures de travail cela représente-t-il ?
Je n’ai jamais compté mon temps. J’ai commencé la conception de RP1 en 2019. À l’époque, je restaurais des chefs-d’oeuvre horlogers pour des musées et des collections privées pendant la journée, tandis que mes nuits étaient consacrées à la construction et au développement de RP1. La fabrication des premiers composants a débuté en mai 2020 pour effectuer le lancement officiel en janvier 2022. Les premières pièces ont été livrées fin 2023. Aujourd’hui, le processus complet pour terminer un exemplaire de RP1 prend deux à trois mois.
Un horloger a-t-il des moments de doute ?
En ce qui me concerne, oui. Mon parcours n’a pas été sans difficulté ! J’ai toujours été guidé par mes idées et mes rêves de création au détriment parfois de l’aspect commercial. Cependant, je pense qu’il est important de rester fidèle à ses valeurs – la qualité de finition et le travail autour du design en ce qui me concerne. Je suis également entouré de personnes bienveillantes, des connaisseurs en horlogerie avec qui j’ai pu échanger, confronter mes idées et mes doutes, techniques ou artistiques.
Comment est née votre passion pour les montres, et a fortiori pour le métier ?
Elle a pris naissance dès mes premiers coups de tournevis, à l’âge de 15 ans, à l’école d’horlogerie du Locle, en Suisse. Cependant, c’est vraiment lorsque j’ai eu la chance de travailler dans l’atelier de restauration de Parmigiani, notamment sur des pièces de la collection Maurice Sandoz ou du Patek Philippe Museum, que ma passion s’est développée.
Chaque horloger a une « signature ». Quelle est la vôtre ?
J’apprécie particulièrement les esthétiques épurées qui comportent néanmoins de nombreux détails. En haute horlogerie, cela se traduit par des finitions haut de gamme et un souci du détail, aussi bien dans la technique que dans le design. Je suis une approche artistique et architecturale pour chaque mouvement que je dessine.
Selon vous, quel est le plus grand défi pour les horlogers indépendants et en quoi un prix comme le LVMH Watch Prize y répond-il ?
Le défi des horlogers indépendants est de maintenir leur visibilité et leur attractivité auprès des collectionneurs et des passionnés de montres. Un prix comme le LVMH Watch Prize permet de mettre en lumière ces talents en leur offrant une plateforme prestigieuse pour présenter leurs créations. Il contribue aussi à renforcer l’intérêt à long terme des collectionneurs pour les créateurs indépendants, à consolider leur réputation et leur crédibilité sur le marché, ce qui peut favoriser leur croissance et leurs succès futurs.
Y aura-t-il un avant et un après LVMH Watch Prize ?
C’est indéniable, et ce sera le cas pour de nombreux horlogers indépendants. Ce prix nous a apporté une couverture médiatique fantastique et a conforté les collectionneurs dans leur décision de nous faire confiance en acquérant nos créations. Pour ma part, il m’a aussi permis de consolider mon nom et ma marque à l’échelle internationale. Je suis extrêmement reconnaissant envers la Maison Louis Vuitton, et en particulier Jean Arnault. Cela m’ouvre de nouvelles opportunités.
Quel tournant prend la haute horlogerie ?
Je pense que la nouvelle génération de collectionneurs est très raisonnable et prudente. Les jeunes collectionneurs ont accès à la connaissance et veulent être éduqués. Les horlogers indépendants ont leur rôle à jouer : leur pouvoir de créativité peut à tout moment révolutionner le marché. C’est la culture et la soif de stimulation intellectuelle ou émotionnelle dont l’homme a besoin. Je suis persuadé qu’il y aura toujours une reconnaissance pour une industrie qui se concentre sur le patrimoine, l’artisanat et la culture.
À quel projet allez-vous dédier votre année de mentorat ?
Impossible de vous répondre pour l’instant. Je suis encore en pleine réflexion !