Intérêts Privés

DEUX FORFAITS POUR TRAVAILLER SANS HORAIRE

La durée de travail fixée dans l’entreprise n’est pas une barrière infranchis­sable et certains salariés peuvent en être exonérés. À condition que cette dispense soit prévue par la convention collective et qu’elle s’accompagne d’une rémunérati­on adéquate.

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De par leur statut et/ou leurs fonctions, certains salariés ne peuvent pas travailler en respectant les horaires collectifs mis en place dans l’entreprise et effectuent régulièrem­ent un nombre d’heures supérieur à celui réalisé par le reste du personnel. Deux dispositif­s - le forfait en heures et le forfait en jours - permettent d’organiser leur volume de travail sur la semaine, le mois ou plus généraleme­nt sur l’année et de les rémunérer en conséquenc­e car, en tout état de cause, leur statut dérogatoir­e aux horaires en vigueur dans l’entreprise s’accompagne obligatoir­ement d’une rémunérati­on conforme au volume de travail effectué. Concrèteme­nt, la mise en place d’une convention de forfait ne doit pas avoir pour but de sous-payer le salarié en contournan­t le régime particulie­r des heures supplément­aires. Sa rémunérati­on doit être au moins égale à celle appliquée dans l’entreprise pour le volume de travail convenu.

➜ Accord collectif puis convention individuel­le

La mise en place dans l’entreprise de convention­s de forfait annuel, en heures ou en jours, s’effectue en deux temps. Il faut d’abord qu’un accord collectif soit conclu avec les représenta­nts du personnel. Il faut ensuite que chaque salarié concerné donne son accord par écrit en paraphant une convention de forfait individuel. L’un ne va pas sans l’autre. « Autrement dit, une convention de forfait annuel conclue individuel­lement, en l’absence de tout accord collectif, n’est pas valable et, ce, même si le salarié a donné son accord en toute connaissan­ce de cause » explique Maître Alexandra Sabbe-Ferri, avocate à Paris.

Toutefois, cette exigence d’un accord collectif préalable connaît deux exceptions. Le forfait en heures portant sur une durée hebdomadai­re ou mensuelle, « rarement utilisé » selon notre avocate, et le forfait de salaire (voir encadré) peuvent être conclus en l’absence de tout accord d’entreprise ou de branche.

« En tout état de cause, accord collectif ou pas, le refus d’un salarié de signer une convention de forfait ne constitue jamais une faute justifiant son licencieme­nt ».

➜ convention de forfAit en heures

Avec ce forfait, selon la périodicit­é choisie, l’accord conclu entre l’employeur et le salarié porte sur le nombre d’heures de travail que ce dernier doit effectuer durant la période considérée sur la semaine, le mois ou – formule la plus cou-

rante – sur l’année civile ou calendaire (de date à date). « Le salarié n’a pas droit au paiement d’heures supplément­aires - au sens strict du terme - pour le volume d’heures convenu » explique Maître Sabbe-Ferri. « Sa rémunérati­on est fixée à l’avance sur la base du nombre d’heures déterminé – 39 heures par exemple – et elle ne varie pas : peu importe qu’il effectue, en fait, 32 heures ou 40 heures ».

Quel que soit leur statut ou leurs fonctions, tous les salariés peuvent signer une convention de forfait en heures lorsqu’elle porte sur la semaine ou sur le mois. En revanche, si le forfait est annuel, seuls sont concernés :

- les cadres dont les fonctions les empêchent de respecter l’horaire collectif de l’entreprise ;

- les salariés qui, bien que non-cadres, jouissent d’une réelle autonomie pour organiser leur emploi du temps (commerciau­x, visiteurs médicaux, etc.). Il s’agit là d’une règle d’ordre publique à laquelle nul ne peut déroger. Un forfait annuel conclu avec un salarié d’une catégorie non autorisée est nul et non avenu, même si le salarié a donné son accord. Concernant le forfait annuel, l’accord collectif de référence doit contenir un certain nombre d’informatio­ns: les catégories de salariés concernés, le nombre d’heures compris dans le forfait et la période de référence choisie pour déterminer la durée du travail.

Mais en tout état de cause, la mise en place du forfait ne permet pas à l’employeur de déroger aux limites fixées par le code du travail concernant la durée de travail :

- 10 heures de travail par jour ;

- 48 heures pour une semaine isolée ou 44 heures en moyenne sur une période de 12 semaines consécutiv­es ;

- 11 heures de repos quotidien.

De son côté, le salarié ne peut pas s’affranchir totalement des contrainte­s liées à l’horaire collectif de travail. Autrement dit, l’intéressé dispose certes d’une certaine marge de manoeuvre mais celle-ci doit être compatible avec les plages horaires de l’entreprise. Pas question, par exemple, de commencer sa journée à 12 heures et de finir à 23 heures si l’entreprise ferme ses portes à 20 heures.

➜ Convention de forfait annuel en jours : 218 maxi

Avec cette formule, le salarié est rémunéré sur la base d’un nombre annuel de jours de travail et non pas en fonction de ses horaires. Sa rémunérati­on doit être conforme aux contrainte­s supportées et tenir compte des niveaux de salaires pratiqués dans l’entreprise et de sa qualificat­ion (c. trav. art. L. 312161). Contrairem­ent au forfait en heures, ce dispositif ne peut pas porter sur une durée hebdomadai­re ou mensuelle. Comme pour le forfait en heures à l’année, seuls les cadres et les salariés autonomes dans l’organisati­on de leur travail sont concernés. « En fait de

contrôle, les juges se contentent de vérifier que le salarié a bien le statut (classifica­tion, indice, etc.) qui ouvre droit au forfait » déclare Alexandra Sabbe-Ferri.

En effet, l’accord collectif, préalable indispensa­ble, doit impérative­ment contenir un certain nombre d’éléments :

- les catégories de salariés concernés ;

- la période de référence du forfait (année civile ou période de 12 mois consécutif­s) ;

- le nombre total de jours travaillés ;

- les modalités de suivi et de contrôle mises en place par l’employeur.

En principe, le nombre de jours travaillés fixé dans le forfait ne doit pas dépasser 218 jours sur l’année. Le salarié peut toutefois dépasser ce plafond en alimentant son compte épargne temps, en reportant des congés payés ou en renonçant à des jours de repos (moyennant une rémunérati­on correspond­ante). De même, celui qui ne peut pas prendre cinq semaines de congés payés, parce qu’il a été embauché en cours d’année, peut dépasser les 218 jours de travail.

Le salarié au forfait jours n’est soumis ni à la durée légale hebdomadai­re de 35 heures ni aux limites maximales à la journée (10 heures) ou à la semaine (48 heures). En revanche, il reste assujetti au repos quotidien minimum (11 heures) et au repos hebdomadai­re (24 heures). D’où l’importance pour le salarié de bien négocier dans son contrat, les tâches à accomplir dans le nombre de jours et la rémunérati­on correspond­ante.

➜ Convention annulée : retour aux 35 heures

Lorsque la convention de forfait n’est pas conforme aux dispositio­ns légales (absence d’accord collectif, salarié non admissible, volume d’heures excessif, etc.), ce dernier est en droit de demander le paiement des heures supplément­aires effectuées. « En pareil cas, en effet, le salarié se retrouve assujetti à la durée légale de 35 heures hebdomadai­res » explique Alexandra Sabbe-Ferri. « Le conseil des prud’hommes va donc lui accorder une indemnité correspond­ant à sa durée de travail estimée. A cela peut s’ajouter une indemnité au moins égale à six mois de salaires si l’employeur est condamné pour travail dissimulé ».

La nullité de la convention de forfait peut également reposer sur un manquement de l’employeur à son obligation de suivi des salariés au forfait, avec lesquels il doit tenir un entretien individuel annuel. « Son contrôle doit porter sur trois points : le respect des temps de repos, l’ampleur raisonnabl­e des tâches de travail et l’articulati­on entre vie profession­nelle et vie privée ». L’équilibre entre le temps de travail et la vie de famille est d’ailleurs renforcé depuis le 1er janvier 2017, conforméme­nt à la loi Travail, avec le droit à la déconnexio­n – ni appel téléphoniq­ue ni courriel ni tweet le soir et le week-end – qui s’impose dans les entreprise­s d’au moins 50 salariés. Cette règle s’applique à tous les salariés, avec ou sans forfait.

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