Intérêts Privés

ACCEPTER LA SUCCESSION MAIS PAS COMPLÈTEME­NT

L’acceptatio­n « à concurrenc­e de l’actif net », c’est le principe de précaution appliqué aux succession­s, quand on a des doutes sur l’étendue des dettes. La voie du milieu, entre accepter ou refuser purement et simplement l’héritage. Mais justement, ce n’

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On n’est jamais obligé d’accepter une succession, et si le parent dont on hérite est criblé de dettes, il vaut mieux y renoncer. Pourquoi ? Parce que les héritiers sont tenus de payer toutes les dettes du défunt, en proportion de leurs droits dans la succession. Par exemple, si le défunt laisse deux enfants héritant chacun de la moitié de ses biens, chaque enfant devra payer la moitié des dettes, quel que soit leur montant et y compris sur ses biens personnels. Autrement dit, si le solde est négatif, l’héritier risque de se retrouver débiteur. Un héritage empoisonné ! « Par précaution, il faudrait toujours accepter à concurrenc­e de l’actif net » reconnaît Murielle Gamet, notaire à Paris. Mais ce n’est guère praticable, en raison des formalités et des délais.

NI OUI, NI NON

L’option entre acceptatio­n, renonciati­on (les deux extrêmes), ou acceptatio­n à concurrenc­e de l’actif net (autrefois, on disait, de manière plus imagée : « sous bénéfice d’inventaire »), doit être bien réfléchie. « On dispose d’un délai minimum de 4 mois après le décès pour se décider, ce qui est court », rappelle Murielle Gamet. Pendant cette période, personne ne peut obliger un héritier à prendre parti. Mais passés les quatre mois, l’héritier qui ne l’a pas encore fait peut être mis en demeure (par acte d’huissier) de se prononcer, soit par un créancier de la succession, soit par un autre héritier. Il a alors deux mois pour se décider et faute de le faire, il est considéré avoir accepté purement et simplement la succession.

• À noter Lorsque la succession a été acceptée purement et simplement par un ou plusieurs héritiers et par d’autres à concurrenc­e de l’actif net, ce sont les règles applicable­s à cette dernière qui s’imposent à tous les héritiers.

Qu’est-ce qui peut inciter un héritier à n’accepter qu’à concurrenc­e de l’actif net ? « Un sentiment de méfiance, qui en principe n’a pas lieu d’être si le défunt est un parent proche, dont on connaissai­t a priori le mode de vie », précise Murielle Gamet. Et encore, des surprises sont parfois à craindre… Exemple avec l’un des dossiers que gère Élodie Lauwerier, notaire à Lille. L’officier ministérie­l se trouve en présence de trois enfants qui ont longuement hésité avant d’opter pour l’acceptatio­n à concurrenc­e de l’actif net. Et pour cause…« Ils n’avaient pas vu leur père depuis plus de vingt ans, et ils savaient qu’il avait connu des difficulté­s judiciaire­s… », raconte Élodie Lauwerier. « Mais comme il y avait quand même une certaine somme sur un compte bancaire, ils ont finalement accepté à concurrenc­e de l’actif net, plutôt que de refuser purement et simplement ».

DES FORMALITÉS DISSUASIVE­S…

Pour accepter une succession à concurrenc­e de l’actif net, il y a plusieurs formalités à accomplir. Tout commence par une déclaratio­n au greffe du tribunal de grande instance du dernier domicile du défunt (lieu d’ouverture de la succession). À partir de novembre 2017, cette déclaratio­n pourra être effectuée devant le notaire (loi J21 du 18 novembre 2016). Pour l’instant, il faut se déplacer en personne au tribunal. « Le greffe inscrit la déclaratio­n dans un registre tenu à cet effet et en donne récépissé au déclarant » (article 1334 du code de procédure civile). Ensuite, il faut procéder à la publicité de cette déclaratio­n, en vue d’informer les éventuels créanciers pour qu’ils se manifesten­t. Cette publicité légale prend la forme, au niveau national, d’une annonce au Bulletin officiel des annonces civiles et commercial­es (BODACC), assurée, par voie électroniq­ue, par le greffe aux frais de la succession. Cette publicité nationale doit être doublée d’une publicité locale : l’héritier devant lui-même, dans les 15 jours de sa déclaratio­n, faire procéder à l’insertion d’un avis dans un journal d’annonces légales diffusé dans le ressort du tribunal de grande instance.

… ET LA CONTRAINTE DE L’INVENTAIRE

On l’aura compris, « l’un des principaux freins à l’acceptatio­n à concurrenc­e de l’actif net est son formalisme », souligne Murielle Gamet. « Car, à la publicité, s’ajoute l’obligation d’établir un inventaire qui est contraigna­nte ». Cet acte peut être établi par un notaire, un commissair­e-priseur ou un huissier. Il expose la consistanc­e active et passive de la succession, c’est-à-dire les biens mobiliers et immobilier­s du défunt (descriptio­n et évaluation), mais aussi ses dettes. « Le fait de devoir se déplacer, par exemple parce qu’il y a une résidence secondaire et qu’il faut tout inventorie­r du patrimoine du défunt, n’est pas toujours bien accepté par les héritiers », observe Murielle Gamet. Cette dimension psychologi­que ne peut pas être négligée… En principe, l’héritier dispose de 2 mois à compter de sa déclaratio­n d’acceptatio­n pour déposer l’inventaire au tribunal de grande instance. Mais, concrèteme­nt, compte tenu du délai minimal de 4 mois pour prendre une décision, cela représente au total 6 mois à partir du décès. Et l’héritier peut solliciter du juge un délai supplément­aire s’il justifie de motifs sérieux et légitimes qui retardent le dépôt de l’inventaire. Quel que soit le délai total, il doit impérative­ment être respecté. Sinon, l’héritier est considéré comme ayant accepté purement et simplement la succession. Quant au coût de l’inventaire, il s’élève à environ 750 €.

DETTES : 15 MOIS D’INCERTITUD­E

« Le délai pendant lequel les créanciers peuvent se déclarer (pour être payés) est impérative­ment de 15 mois », rappelle Élodie Lauwerier. Instaurant une situation d’attente qui est un peu inconforta­ble, ce délai de plus d’un an court à partir de la publicité de l’acceptatio­n à concurrenc­e de l’actif net au BODACC (voir ci-dessus). Pendant cette période, il ne peut pas y avoir de poursuites (une saisie, par exemple) contre l’héritier. Celui-ci a le choix entre conserver ou vendre les biens de la succession, ou certains

d’entre eux. Dans le premier cas, il doit faire une déclaratio­n de conservati­on au greffe du tribunal, et payer aux créanciers à concurrenc­e des sommes qui leur sont dues, dans les 2 mois, la valeur des biens conservés telle qu’elle a été fixée dans l’inventaire. S’il vend certains biens, il doit aussi le déclarer, puis reverser le prix de vente, à hauteur des dettes, dans le même délai, aux créanciers. Ceux-ci doivent être très vigilants, car s’ils ne se manifesten­t pas pendant les 15 mois, leurs créances sont tout simplement éteintes (sauf s’ils avaient pris une hypothèque sur les biens) !

EN CONCLUSION, QUEL AVANTAGE ?

Le principal avantage pour l’héritier qui accepte la succession à concurrenc­e de l’actif net est de mettre à l’abri ses biens personnels et ses revenus. Quel que soit le montant final des dettes, il n’aura pas à s’appauvrir lui-même pour les régler. Bien sûr, il n’y a aucune assurance d’avoir un solde positif, et, au bout du compte, il se peut qu’il ne reste absolument rien dans la succession! Un héritage de papier… Aussi Murielle Gamet ajoute un conseil de prudence en pareil cas. « Il ne faut pas se comporter comme un héritier à part entière, et ne rien dire qui donne la qualité d’héritier, sous peine d’être considéré comme acceptant pur et simple ! » Jusqu’en 2015, par exemple, le simple fait de payer le salaire et les indemnités dus à l’employé de maison du défunt posait problème (le contrat de travail prenant fin). « Le code civil a été modifié pour que ces actes de gestion courante ne soient plus considérés comme valant acceptatio­n tacite de la succession », précise Murielle Gamet. L’héritier peut toujours révoquer son acceptatio­n à concurrenc­e de l’actif net pour accepter purement et simplement la succession. En revanche, il ne peut plus y renoncer. Autant de décisions lourdes à prendre, dont beaucoup se passeraien­t d’hériter…

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