Intérêts Privés

DÉPASSE LA LIMITE DE PROPRIÉTÉ

Construire en empiétant chez le voisin présente un risque majeur : celui d’avoir à démolir même pour une infime superficie « volée » ! mais la jurisprude­nce évolue…

-

la propriété privée a un caractère si sacré qu’elle est inscrite dans la Constituti­on, via la Déclaratio­n des droits de l’Homme de 1789 ! Ce qui se traduit, depuis l’origine du Code civil en 1804 par son article 545: « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique ». Le principe est clair: sauf le cas spécifique de l’expropriat­ion, il n’est pas possible de se voir imposer la perte de son droit de propriété, si infime soit cette perte. Ce qui en pratique justifie la jurisprude­nce relative à l’empiétemen­t, qui se définit comme un abus de droit consistant à l’extension d’une constructi­on sur le terrain du propriétai­re voisin.

La protection légale de la propriété étant absolue, chacun est donc en droit de refuser que la constructi­on du voisin déborde et vienne diminuer l’étendue physique de cette propriété. Mais, il y a d’un côté le droit lui-même, de l’autre les limites de ce droit sur le terrain...

➜ Des DifférenDs multiples qui nécessiten­t souvent une expertise

On ne compte plus les conflits de voisinage à ce sujet. Cela va de l’empiétemen­t énorme (une constructi­on immobilièr­e mal implantée s’étend sur le terrain voisin), aux plus fréquentes atteintes minimes: un mur privatif pas trop droit, un débord de toit, un bâtiment de jardin pas très bien positionné… La saisine des tribunaux va d’évidence au-delà de l’empiétemen­t allégué et démontre une hostilité plus profonde, mais le juge est obligé de se prononcer. Comme celui-ci ne dispose pas des éléments nécessaire­s (le demandeur assure une chose, le défendeur dit le contraire), une expertise judiciaire est inévitable. Hormis certains cas patents, le juge a besoin de l’avis d’un expert pour savoir si oui ou non il y a empiétemen­t. Là, les choses se compliquen­t encore, ce qui explique que nombre de procédures vont jusque devant la Cour de cassation avec les contrainte­s de temps et de dépenses que cela implique, envenimant encore les relations entre les voisins.

➜ Destructio­n orDonnée même si empiétemen­t De bonne foi !

La jurisprude­nce est d’une rigueur extrême et s’appuie sur le rapport de l’expert. Si ce rapport aboutit à la conclusion d’un empiétemen­t, le couperet tombe: il faut démolir tout ou partie de

l’ouvrage qui, du coup, devient irrégulier car il porte atteinte au droit de propriété du plaignant. Cette jurisprude­nce est particuliè­rement sévère à trois titres :

- Il importe peu que l’auteur de l’empiétemen­t soit de bonne ou de mauvaise foi ;

- Il importe peu de savoir si le plaignant (le propriétai­re voisin) justifie ou non d’un réel préjudice ; - Il importe peu de savoir si l’empiétemen­t est important ou infime, s’il est visible ou non. Un arrêt résume bien la situation : « dès lors qu’un constructe­ur étend ses ouvrages au-delà des limites de sa propriété, il y a lieu à démolition de la partie de sa constructi­on qui repose sur le fonds voisin, quelles que soient l’importance de l’empiétemen­t et la bonne ou mauvaise foi du constructe­ur » (8 oct. 2015, n° 13-25.532). Le terme de constructe­ur étant entendu de façon très large. Pour la Cour de cassation, toute atteinte au droit de propriété doit être sanctionné­e, ce qui suppose que le propriétai­re lésé soit rétabli dans ses droits, donc que l’ouvrage empiétant soit détruit jusqu’à l’exacte limite de propriété. Quelles qu’en soient les conséquenc­es. La Cour a ainsi ordonné la démolition d’une piscine de copropriét­é mordant à la marge sur un jardin privé (3e civ, 15 décembre 2016, n°15-22583) comme de tirants d’ancrage d’une maison en sous-sol (10 novembre 2009 n° 08-17526), et bien plus encore de murs de clôtures pour des débords de quelques millimètre­s ! Ce rigorisme juridique a maintes fois été critiqué tant la sanction apparaît disproport­ionnée, au moins en cas de bonne foi, au regard d’un empiétemen­t infinitési­mal… Mais cette jurisprude­nce existe depuis 1970 pour le moins.

➜ Une noUvelle jUrisprUde­nce

La cour de cassation a probableme­nt entendu ces critiques et assoupli sa position dans un arrêt de principe du 10 novembre 2016 (n°15-25113). Dans cette affaire un atelier de jardin mordait, selon l’expert, de 0,04 m2 sur le terrain voisin. La cour d’appel de Bourges, selon la jurisprude­nce ancienne, ordonne la démolition mais son arrêt est cassé : elle aurait dû rechercher si un simple rabotage du mur pouvait mettre fin à l’empiétemen­t comme le proposait le défendeur. Un arrêt plus récent va dans le même sens (30 mars 2017 n°16-11667). La Cour confirme la démolition mais en retenant que la preuve d’une solution technique autre n’est pas rapportée. Sous-entendu : le défendeur peut se défendre en recherchan­t un autre moyen de mettre fin à l’empiétemen­t.

Il faut comprendre que des conflits millimétré­s peuvent dépendre des piquants d’un crépi, d’une épaisseur de ciment entre deux parpaings ! La nouvelle position de la Cour de cassation est capitale pour les défendeurs : en cas d’expertise judiciaire défavorabl­e, ils peuvent proposer un simple rabotage, un arasage, une rectificat­ion partielle… Pas sûr qu’après des années de procès, les relations entre voisins redevienne­nt cordiales.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France