Intérêts Privés

CE N’EST PAS UNE FATALITÉ !

Les nuisances sonores peuvent donner lieu à des recours de la part de ceux qui les subissent, que ce soit sur le plan pénal ou civil (trouble anormal de voisinage). Mais il vaut mieux tenter d’abord une démarche amiable auprès du ou des « fauteurs ».

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Le bruit est souvent vécu comme un fléau, et qu’il soit diurne ou nocturne, dans l’espace privé ou public, il est l’une des nuisances les plus redoutées. Volume sonore de la télévision poussé au maximum chez un voisin âgé, aboiements intenses et répétitifs d’un chien laissé régulièrem­ent seul, bruits en provenance d’un bar situé au rez-de-chaussée de l’immeuble… Que dit le droit, et que peut-on faire dans de telles circonstan­ces ? Dans certains cas, il s’agit d’une infraction pénale qui peut entraîner la condamnati­on à une amende. Sur le plan civil, les victimes peuvent agir sur le terrain du « trouble anormal de voisinage » pour demander réparation. Le caractère « normal » ou « anormal » des bruits n’est pas déterminé a priori : c’est une question de fait, laissée à l’appréciati­on des tribunaux.

➜ Des bruits répréhensi­bles

On distingue en général les bruits de com- portement ou de voisinage, qui correspond­ent principale­ment aux bruits de la vie quotidienn­e, et les bruits d’activité. « Aucun bruit particulie­r ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquilli­té du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédia­ire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabi­lité ». L’article R. 1334-31 du code de la santé publique pose le cadre dans lequel les bruits de comporteme­nt peuvent être sanctionné­s. La liste de ces bruits est des plus ouverte! Bruits d’une personne (chants, cris, éclats de rire, bruits de pas…), bruits d’une chose dont on a la garde (télévision, chaîne hi-fi, outils de bricolage ou de jardinage, instrument­s de musique…), bruits des animaux (le plus fréquemmen­t, les aboiements de chiens). « Il y a aussi des bruits ‘absurdes’, mais pas si rares, comme des coups de marteau frappés sur un radiateur ou la tuyauterie en pleine nuit », ajoute Brigitte Quetglas, du Centre d’informatio­n et de documentat­ion sur le bruit (CIDB), à Paris. Attention, le bruit n’est répréhensi­ble pénalement hormis le cas de tapage nocturne (voir p.17), que s’il a porté atteinte à la tranquilli­té ou à la santé du fait de sa durée, de sa répétition ou de son intensité. En dehors des bruits de comporteme­nt, le voisinage peut être aussi à l’origine de bruits d’activité (bar ou discothèqu­e, restaurant, atelier

artisanal…). L’intérêt de la distinctio­n bruits de comporteme­nt/bruits d’activité tient surtout aux modes de preuve, qui diffèrent d’un cas à l’autre (voir plus loin, Comment constater et mesurer ?).

➜ Trouble anormal de voisinage

La notion de trouble anormal de voisinage est appréciée au cas par cas, selon les lieux et les circonstan­ces. En ce qui concerne les bruits des animaux, par exemple, c’est surtout leur répétition et leur caractère intempesti­f qui sont retenus pour apprécier le trouble. « C’est l’une des sources les plus fréquentes de contentieu­x relatif aux bruits de voisinage », souligne Christophe Sanson, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, spécialisé dans la lutte contre le bruit. « Tous les types d’animaux sont concernés ». Aboiements de chiens et cris de volatiles sont appréciés différemme­nt selon le contexte dans lequel ils intervienn­ent, urbain ou rural. Les nuisances d’un poulailler, par exemple, peuvent être tolérées à la campagne, alors qu’en zone urbaine les juges auront tendance à relever que la ville n’est pas le lieu habituel pour installer un tel élevage… Des aboiements de chiens seront considérés comme d’autant plus gênants que la victime habite une zone résidentie­lle particuliè­rement calme. Il ne faut pas en déduire toutefois qu’il est impossible de se plaindre de nuisances animales en zone rurale.

Un éleveur a pu ainsi être condamné à prendre toutes mesures nécessaire­s afin que ses vaches munies de cloches ne puissent pas s’approcher à moins de 100 mètres de la maison des voisins, entre 21 heures et

7 heures du matin (décision de 2006). Même à la campagne, un élevage de paons, qui ne peuvent pas être assimilés à des animaux de ferme, est susceptibl­e d’engendrer un trouble anormal de voisinage (décision de 2013)… Quant aux instrument­s de musique, tous peuvent être cités au banc des accusés, même la flûte ou la guitare. « Mais c’est quand même le piano qui est un des instrument­s les plus gênants, en raison des vibrations qu’il engendre du fait qu’il est posé sur le sol », rappelle Brigitte Quetglas. Concrèteme­nt, il est très difficile d’atténuer le niveau sonore d’un piano.

➜ CommenT ConsTaTer eT mesurer ?

Avant d’entreprend­re une démarche contre le voisin responsabl­e des nuisances sonores, il faut en apporter la preuve, c’est-à-dire constater et éventuelle­ment mesurer leur impact. « Les bruits de comporteme­nt, y compris ceux des animaux, peuvent être constatés avec les oreilles », explique Brigitte Quetglas. « Il n’est pas nécessaire de faire des mesures ». La jurisprude­nce rappelle régulièrem­ent ce principe. Bien

sûr, les oreilles de la seule victime ne suffisent pas ! Il faut recourir à un agent de police ou de gendarmeri­e, à un huissier de justice, à un agent communal assermenté… Pour les bruits intermitte­nts, difficiles à « attraper » (des bruits de talons par exemple), il est possible de recourir à des témoignage­s. Les bruits liés à une activité profession­nelle, en revanche (notamment les bars et les restaurant­s), doivent faire l’objet de mesures acoustique­s « d’évaluation de l’émergence ». Tout au moins lorsqu’il s’agit de se placer sur le plan des poursuites pénales. En effet, il n’y a d’infraction que si le bruit d’activité tel qu’il est perçu dépasse un certain niveau exprimé en décibels ou dB (A): 25 dB (A) à l’intérieur ou 30 dB (A) à l’extérieur. « La mesure du bruit est effectuée avec un appareil soit par un technicien envoyé par le service d’hygiène de la mairie, soit par l’agence régionale de santé si la mairie n’est pas équipée », précise Brigitte Quetglas. Pour ces bruits d’activité, leur caractère régulier ou permanent facilite le constat donc les recours. « Tandis que les bruits de comporteme­nt sont par définition aléatoires, par conséquent ils sont plus difficiles à prouver et donc à réprimer », remarque Christophe Sanson. Quand il y a un problème technique à l’origine de la nuisance sonore, il y a la plupart du temps une solution pour y remédier. « Mais quand cela touche à l’humain, c’est plus délicat ! », souligne Brigitte Quetglas.

➜ Démarche amiable, puis mairie

Les nuisances sonores constituan­t un trouble « de voisinage », mettant aux prises des personnes proches dans l’espace, il est logique de commencer par une démarche amiable. Discussion directe, lettre simple, lettre recommandé­e… Telles sont en général les étapes suivies pour cette tentative. L’interventi­on d’un médiateur ou d’un conciliate­ur peut aussi aider à la résolution du conflit. Si rien n’y fait, il faut s’adresser à la mairie. « C’est le maire, garant de la tranquilli­té publique, qui détient la police du bruit », rappelle Christophe Sanson. Des arrêtés municipaux sont en général pris concernant les nuisances sonores (par exemple, les plages horaires à respecter pour faire du bricolage, passer la tondeuse…). Par ailleurs, des agents communaux assermenté­s sont habilités à établir des procès-verbaux, qui peuvent être utiles devant le juge en cas de procès. Au pénal, le tribunal de police peut prononcer une amende (jusqu’à 450 €) pour sanctionne­r un bruit de comporteme­nt. Mais l’infraction peut aussi relever, lors de son constat, de la procédure de l’amende forfaitair­e, qui peut être dissuasive (68 €, puis 180 € si le paiement n’a pas été effectué dans les 45 jours). Au civil, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, le juge (tribunal d’instance ou tribunal de grande instance selon que le montant du litige ne dépasse pas ou dépasse 10000 €), peut délivrer des injonction­s, par exemple de changer un revêtement de sol pour atténuer les bruits de pas. « S’agissant des sanctions pénales, observe Christophe Sanson, elles ne sont pas assez fréquentes et comme telles pas assez efficaces. Au civil, on obtient beaucoup plus facilement la cessation des nuisances ainsi que l’indemnisat­ion des préjudices subis, quand on dispose de preuves ».

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