Intérêts Privés

LE QUASI USUFRUIT, OUTIL DE GESTION PATRIMONIA­LE

Dans cette tribune d’expertise, le fiscaliste Louis-Pascal Brabant explique comment le recours au démembreme­nt de propriété avec constituti­on d’un quasi usufruit offre de la souplesse de gestion pour son détenteur et un allégement fiscal en cas de donatio

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Le droit de propriété est l’addition de deux prérogativ­es : ainsi, la pleine propriété d’un bien peut se partager (l’actif est alors dit « démembré ») entre l’usufruit, qui est le droit d’user d’un bien et d’en tirer des revenus, et la nue-propriété, qui est le droit de disposer d’un bien (mais sans en avoir l’usage ni les revenus). Selon le code civil, l’usufruitie­r peut jouir des choses, comme le propriétai­re lui-même, mais à charge d’en conserver la substance: ainsi, il ne peut consommer la chose ni l’aliéner.

Par exception, il peut arriver que l’usufruit porte sur des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer (comme un somme d’argent) : le droit à la jouissance se traduit alors par un droit de disposer de ces biens. Dans ce cas, l’usufruitie­r doit, au terme de l’usufruit, restituer au nu-propriétai­re soit un bien semblable, soit sa valeur ; on parle alors de quasi usufruit.

Dans la plupart des cas, en présence d’un quasi-usufruit viager (situation dans laquelle l’usufruitie­r peut disposer d’un bien jusqu’à son décès), le nu-propriétai­re détiendra une créance sur la succession de l’usufruitie­r, cette créance pouvant, le cas échéant, faire l’objet d’une indexation.

LA CONSTITUTI­ON D’UN QUASI USUFRUIT

Le démembreme­nt de propriété peut avoir une source légale : ce sera fréquemmen­t le cas dans l’hypothèse d’une succession, lorsque le conjoint du défunt reçoit l’usufruit de l’actif successora­l.

Dans d’autres hypothèses de planificat­ion successora­le, le quasi usufruit sera également mis en place lors du décès du souscripte­ur d’un contrat d’assurance vie, qui désignera un bénéficiai­re en usufruit (fréquemmen­t son conjoint survivant), et un bénéficiai­re en nue-propriété (ses enfants): c’est le « démembreme­nt de la clause bénéficiai­re », NDLR.

Alternativ­ement, le démembreme­nt de propriété peut être établi par l’individu lui-même, ou, plus couramment, à l’occasion d’une donation de nue-propriété d’un bien à ses héritiers. Par une convention (idéalement, un acte préparé par un notaire), les personnes physiques mettront alors en place un quasi usufruit, plutôt qu’un usufruit classique.

LE QUASI USUFRUIT ET SES AVANTAGES PATRIMONIA­UX

Si l’on doit comparer de manière synthétiqu­e le démembreme­nt classique et le quasi usufruit, il convient de retenir que le quasi usufruitie­r pourra intégralem­ent consommer son actif, et ses héritiers récupérero­nt sa valeur avec d’autres biens présents dans la succession. Dans un usufruit classique, seuls les revenus d’un bien pourront être perçus, ou ce bien utilisé.

À titre d’exemple, dans une situation que l’on retrouvera fréquemmen­t, si le souscripte­ur d’un contrat d’assurance vie avait désigné son conjoint comme bénéficiai­re en usufruit des sommes transmises à l’occasion du décès, et ses enfants comme nus-propriétai­res :

- Le conjoint survivant aura droit à l’intégralit­é des sommes disponible­s dans le contrat, et pourra en faire usage,

- Les enfants pourront faire valoir, au second décès, la créance de restitutio­n dont ils disposent, et l’imputer sur les actifs de la seconde succession.

Cette organisati­on permettra au conjoint survivant, ayant potentiell­ement moins de revenus que le défunt, de disposer de l’intégralit­é de la somme transmise, mais également en parallèle de conserver et transmettr­e à long terme un patrimoine moins liquide (résidence principale, voire secondaire ne générant pas de revenus). Cette organisati­on est recommanda­ble dans un but de protection du conjoint survivant, puisque statistiqu­ement, le conjoint survivant est une femme, dont les pensions de retraites sont inférieure­s à celles de son mari.

Dans une autre situation fréquente suite à un décès, le conjoint survivant reçoit l’usufruit d’un portefeuil­le de titres. S’il conserve ce portefeuil­le de titres démembré, il peut le gérer et procéder à des arbitrages, il doit toutefois réinvestir dans d’autres titres. Le titulaire d’un quasi usufruit aura, lui, une plus grande souplesse, et pourra disposer du prix de cession, par exemple pour ne pas réinvestir, ou réinvestir dans un autre actif, ou enfin financer son train de vie.

UNE OPPORTUNIT­É À ENVISAGER AVANT UNE CESSION DE TITRES

Outre l’avantage patrimonia­l reposant sur la souplesse de gestion de l’actif, la mise en place d’un quasi usufruit pourra également présenter des avantages fiscaux, en impôt de plus-value, de transmissi­on, voire l’ISF.

Plaçons-nous, à titre d’exemple, dans la situation classique d’un entreprene­ur sur le point de céder sa participat­ion, ou d’un actionnair­e faisant un arbitrage sur un portefeuil­le. Cet acteur économique peut, préalablem­ent à la cession de titres, en donner à ses enfants. Cette chronologi­e sera fréquemmen­t plus opportune que celle consistant, dans un premier temps, à céder les titres (avec le paiement de l’impôt de plus-value correspond­ant), avant de transmettr­e le produit net d’impôt (cette transmissi­on étant assujettie à des droits de donation ou de succession). La donation de titres n’est pas assujettie à l’imposition de plus-value, mais à des droits de donation (après applicatio­n d’une exonératio­n de 100 000 € par parent et par enfant) ; lorsque ces titres entrent dans le patrimoine des donataires, le prix de revient pour ces derniers est la valeur retenue pour le calcul des droits de donation (valeur figurant dans l’acte notarié, ou dans le formulaire de don manuel). Si ces titres sont cédés pour la valeur de la donation, les enfants ne réalisent pas de plus-value et disposent donc de l’intégralit­é du produit de cession. Le même entreprene­ur ou actionnair­e pourra, au lieu de donner la pleine-propriété des titres, n’en donner que la nue-propriété. Dans cette hypothèse, seule une quote-part du prix de revient fait l’objet d’une réévaluati­on, de sorte que la plus-value latente n’est pas intégralem­ent supprimée (la valeur de la nue-propriété est fixée par le Code Général des Impôts en fonction de l’âge de l’usufruitie­r, par tranche de 10 % tous les 10 ans). Post cession des titres, le produit de vente pourra alors faire l’objet de trois affectatio­ns (voir ci-dessous) et le redevable de l’impôt dépendra de la situation retenue; en outre, le calcul de la plus-value sur les titres cédés bénéficie d’un abattement pour durée de détention, dont les modalités d’applicatio­n varient également.

1) Un partage du produit de cession : l’usufruitie­r percevant la valeur de l’usufruit, et le nu-propriétai­re la valeur de la nue-propriété; chacun est alors redevable de l’impôt sur la plus-value qu’il a réalisée ; le démembreme­nt a pris fin, et les effets favorables du processus de transmissi­on sont limités. Deux durées de déten-

tion devront être retenues, celle de l’usufruitie­r à partir de l’acquisitio­n des titres, celle du nu-propriétai­re à compter de la donation.

2) Le report du démembreme­nt: les actifs acquis avec le produit de cession sont eux-mêmes démembrés, le nu-propriétai­re sera alors redevable de l’impôt ; à terme, au décès de l’usufruitie­r, la pleine-propriété est reconstitu­ée chez le nu-propriétai­re, sans droit de succession. En revanche, cette situation est moins favorable pour le calcul de la plus-value, puisque l’abattement pour détention est calculé à partir de la donation : si la cession a lieu moins de deux ans après la donation, aucun abattement ne s’applique.

3) Un quasi usufruit: le prix de cession étant intégralem­ent perçu par l’usufruitie­r, redevable de l’impôt de plus-value ; le nu-propriétai­re fera valoir une créance au décès de l’usufruitie­r, cette créance venant en déduction de la base taxable aux droits de succession. L’abattement pour durée de détention est calculé à partir de l’acquisitio­n des titres par l’usufruitie­r.

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