LOGER GRATUITEMENT
UN ENFANT OU UN PROCHE
il arrive assez fréquemment que des parents mettent gratuitement à la disposition de l’un de leurs enfants un logement dont ils sont propriétaires et dont ils n’ont pas l’usage. Quelle en est la motivation? Est-ce pour accorder à cet enfant un avantage particulier par rapport à ses frères et soeurs ? Ou est-ce plutôt pour lui venir en aide, parce qu’il est au chômage, en train de divorcer, ou qu’il n’a pas terminé ses études, etc. ? Les effets ne sont pas les mêmes selon la réponse.
➜ RÉPERCUSSION à la succession ?
« Quand on prête un logement à l’un de ses enfants sans aucune contrepartie, il peut y avoir du ressentiment de la part de ses frères et soeurs », constate Benoît Morel, notaire à Paris. Il arrive qu’ils se sentent lésés, et pensent que celui ou celle qui a été aidé(e) de cette manière leur sera redevable de quelque chose au moment de la succession de leurs parents. Ce n’est pas nécessairement le cas! Tout dépend de l’intention des parents, de la durée de la mise à disposition… « C’est très variable selon les familles », observe Benoît Morel. « Pour certaines, le prêt de logement est considéré comme une libéralité, alors que pour d’autres c’est quelque chose de tout à fait normal, qui relève de l’entraide et de la solidarité familiales ». Dans le premier cas seulement (libéralité), il y a lieu à « rapport ». Cette opération, l’un des piliers du droit des successions, a pour but de vérifier que tous les héritiers qui ont une vocation successorale égale, ont bien été traités de manière égalitaire. Si vous avez trois enfants, ils ont une vocation égale à votre héritage! Vous pouvez en avantager un, dans le respect des droits minimaux des autres (leurs droits réservataires). Mais dans le cas général, il sera tenu compte, au décès des parents, de tout ce qui a été donné de leur vivant à tel ou tel enfant en avance de la succession, pour le déduire de la part d’héritage à recevoir.
➜ PROUVER une intention LIBÉRALE
Pendant longtemps les tribunaux ont eu tendance à estimer, dès lors qu’ils étaient saisis d’une contestation par un frère ou une soeur de l’enfant aidé, que la mise à disposition du logement valait donation, et devait être rapportée. « Le montant à rapporter est en principe la valeur locative pour la mise à disposition, proche d’un loyer », explique Benoît Morel. « 500 € par mois pendant 20 ans, par exemple, cela représente au total 120000 €, une somme conséquente ». Pour l’héritier aidé, une somme à déduire de sa part. Depuis un arrêt de 2012 de la Cour de cassation (Cass 1ère civ., 18 janvier 2012, n° 10-27325), ce n’est pas si simple. En
effet, il a été clairement réaffirmé qu’un avantage tel que la mise à disposition d’un logement ne doit être rapporté à la succession qu’à la condition que l’intention libérale soit clairement démontrée. Or, c’est rarement établi en pratique. Et cela, d’autant moins qu’une libéralité suppose, en principe, un appauvrissement de celui qui donne et un enrichissement de celui qui reçoit… Cela n’est pas évident s’agissant de la mise à disposition d’un logement : tout au plus pourrait-on parler d’un manque à gagner, le logement laissé à la disposition d’un enfant ne pouvant, de ce fait, pas être loué et rapporter un revenu.
Par ailleurs, il a été jugé que lorsque la jouissance gratuite du logement a pour contrepartie le paiement de l’ensemble des charges du logement mis à disposition, l’intention libérale n’est pas établie (Cassation 1ère civ., 30 janvier 2013, n° 11-25386). « Si, en fonction des circonstances, les parents souhaitent considérer que la mise à disposition est une libéralité, et que comme telle elle sera rapportable au moment de la succession, ils peuvent établir un testament en ce sens », précise Benoît Morel.
À titre de frais d’éducation
En pratique, le prêt gratuit de logement est souvent lié aux études des enfants. Exemple: pour permettre à l’un de leurs fils de suivre son internat de médecine à Paris, ses parents le laissent occuper gratuitement un studio qu’ils possèdent dans la capitale à titre de pied à terre. Ses frères et soeurs n’y voient aucun inconvénient. Dans une telle situation, si l’opération s’est faite en totale transparence, avec l’assentiment de tous, il n’y a pas grand risque de tension dans la famille. Juridiquement, la mise à disposition s’analyse dans un tel cas non pas comme une libéralité, mais plutôt comme l’exécution d’une obligation parentale d’entretien, au même titre que les frais de nourriture ou d’éducation. Une telle aide ne devrait donc pas être rapportée, ni rentrer dans les comptes de la succession. « D’une manière générale, il est préférable de régler ces questions du vivant des parents, en recherchant un consensus familial sur le sujet », conseille Benoît Morel. « Chaque fois qu’il y a une inégalité entre les enfants, et si ce n’est pas expliqué, il peut y avoir des tiraillements ». Pourquoi ne pas formaliser le geste de mise à disposition par un contrat écrit de prêt à usage, même gratuit ? Il est possible de préciser que le parent n’entend pas avantager l’enfant qui en bénéficie mais simplement l’aider temporairement en exécution de son obligation d’entretien et d’éducation. Il est recommandé de passer par un notaire pour bien rédiger ce contrat. Cela permet de sécuriser l’opération. Sinon, et à défaut de bail en bonne et due forme, une attestation d’hébergement (déclaration sur l’honneur) est suffisante pour prouver l’occupation du logement.