Intérêts Privés

SELON SON LITIGE, QUEL TRIBUNAL SAISIR ?

La maison « Justice » est un grand bâtiment comportant plusieurs ailes, plusieurs niveaux, plusieurs pièces… À quelle porte frapper ? Quel est le mode d’emploi à suivre pour introduire une procédure ?

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Au départ, il y a un litige : je veux divorcer alors que mon conjoint s’y oppose, demander la révision d’une pension alimentair­e dont je suis débiteur, contester mon licencieme­nt… Ou encore, obliger mon voisin à tailler ses arbres (qui me plongent dans l’obscurité), obtenir une indemnisat­ion suite à l’annulation d’un séjour touristiqu­e… Aucun domaine de la vie quotidienn­e n’est a priori à l’abri d’un contentieu­x. Dans certains cas, il faut se poser la question « Est-ce que ça vaut la peine d’aller en justice ? ». Ensuite, il faut déterminer quel est le tribunal compétent, avant de lancer concrèteme­nt la procédure en saisissant le juge, selon un formalisme à respecter. La justice n’est pas un service public tout à fait comme les autres.

S’ENTENDRE EN AMONT DU PROCÈS ?

Même quand on est sûr de son bon droit, aller en justice fait toujours un peu peur. Combien de temps cela va-t-il durer, et pour quel coût ? Les tribunaux ne sont-ils pas saturés ? Ce n’est pas un hasard si les modes « alternatif­s » de règlement des litiges, notamment la conciliati­on et la médiation, sont si fortement encouragés. Un double avantage en est attendu, d’une part pour les justiciabl­es (gain de temps et d’argent), d’autre part pour l’institutio­n judiciaire elle-même, qui espère par ce biais « désencombr­er » les tribunaux.

C’est dans cet esprit qu’a été récemment instauré un divorce par consenteme­nt mutuel « sans juge », applicable depuis le 1er janvier 2017 (loi de modernisat­ion de la justice du 21ème siècle, du 18-112016). Objectif ? Limiter l’interventi­on du juge aux affaires familiales aux autres procédures de divorce. « Même pour celles-ci, tous les dossiers ne se prêtent pas à la conciliati­on », souligne Mélanie Courmont-Jamet, avocate à Paris, « notamment en cas de violences conjugales ». Quant aux petits litiges de la vie quotidienn­e, ceux pour lesquels on peut saisir le juge d’instance par simple déclaratio­n au greffe (voir p. 32 : «Des procédures simplifiée­s»), la même loi du 18 novembre 2016 a posé en principe qu’il faut obligatoir­ement, au préalable, tenter une conciliati­on avec un conciliate­ur de justice. Par ailleurs, à titre expériment­al dans certains tribunaux de grande instance (jusqu’au 31 décembre 2019), une tentative de médiation est obligatoir­e avant toute demande de modificati­on des décisions

sur l’autorité parentale (résidence des enfants, pension alimentair­e).

UN LITIGE, UN TRIBUNAL

Malgré tous les efforts pour parvenir à des solutions négociées, il faut parfois aller au contentieu­x. « Juge » et « procès » ne sont pas des mots vides de sens. Mais à quel tribunal s’adresser ? Les litiges entre particulie­rs, ou entre particulie­rs et commerçant­s, relèvent en principe du tribunal d’instance ou du tribunal de grande instance (juridictio­ns civiles), selon le montant de la demande : le tribunal d’instance jusqu’à 10000 €, le tribunal de grande instance au-delà (donc à partir de 10 001 €). Avant le 1er juillet 2017, si la somme en jeu ne dépassait pas 4000 €, le juge de proximité était compétent. Cette juridictio­n étant supprimée depuis cette date, le tribunal d’instance intervient dès le premier euro.

Attention toutefois ! Ces deux tribunaux ont certaines compétence­s « exclusives », quel que soit le montant concerné (voir tableau). Si votre locataire vous doit un arriéré de loyers de 20 000 €, par exemple, vous devez vous adresser au tribunal d’instance, qui a compétence exclusive pour tous les litiges liés à la location. Quant au tribunal de grande instance, il est incontourn­able pour les litiges concernant la famille (dont la filiation, les succession­s…), la propriété des immeubles, la réparation des dommages corporels…

Les conflits du travail relèvent du conseil de prud’hommes, et les litiges entre artisans, commerçant­s ou sociétés commercial­es, du tribunal de commerce. Lorsque l’administra­tion est en cause, notamment en matière d’impôt sur le revenu ou d’urbanisme, il faut se tourner vers le tribunal administra­tif.

Vous vous sentez un peu perdu dans le labyrinthe ? Sachez qu’il existe désormais, sur presque tout le territoire, un service d’accueil unique du justiciabl­e qui doit faciliter l’accès à la bonne porte (voir aussi www.justice.fr, portail du justiciabl­e).

TERRITORIA­LITÉ : DANS QUELLE VILLE AGIR OU SE DÉFENDRE ?

Quand on sait à quel tribunal s’adresser en fonction du litige, encore faut-il choisir la juridictio­n « territoria­lement compétente ». Il y a en France 164 tribunaux de grande instance, 307 tribunaux d’instance et tribunaux de police, 210 conseils de prud’hommes, 42 tribunaux administra­tifs (source : Les chiffres-clés de la Justice 2017), lequel saisir ? Aucun problème si les parties en litiges habitent au même endroit, mais dans le cas contraire ? Le principe de base est tout simple : il faut s’adresser au tribunal dont dépend le domicile du défendeur, la personne attaquée en justice. Exemple : mon ami Paul me doit 10000 € (il a signé une reconnaiss­ance de dette). Il habite à Morlaix, et moi à Rennes. C’est au tribunal d’instance de Morlaix que je dois m’adresser pour

demander une injonction de payer, et non à celui de Rennes. Et s’il s’agit d’une société commercial­e ou d’une associatio­n ? On prend en compte l’adresse du siège social (ou d’une succursale). Dans certains cas, il existe un choix. Si le litige porte sur l’exécution d’un contrat, par exemple la vente d’un bien, on peut s’adresser soit au tribunal du lieu de livraison, soit à celui du siège social de la société qui vend le bien. « Dans les contentieu­x familiaux, le juge aux affaires familiales compétent est en principe celui de la résidence de la famille, ou de celle des enfants si les parents vivent séparément », rappelle Mélanie Courmont-Jamet. « Mais en cas de demande conjointe, et seulement dans ce cas, les personnes ont le choix ».

Enfin, pour certains litiges, il y a des règles spéciales qui s’imposent : quand un immeuble est en cause (vente, location…), c’est le tribunal du lieu où il est situé qu’il faut saisir. Pour les litiges concernant une succession, c’est le dernier domicile du défunt qui est à prendre en compte.

FORMALISME : ASSIGNATIO­N ET REQUÊTE

Pour faire juger son litige par la juridictio­n compétente, il faut respecter un certain formalisme. Procès rime avec procédure ! L’acte le plus courant pour saisir le tribunal de grande instance (et le tribunal d’instance, au-dessus de 4 000 €) est l’assignatio­n. Pour le demandeur, c’est le moyen de convoquer son adversaire devant le juge. L’assignatio­n indique l’objet de la demande et les documents sur lesquels elle est fondée. Elle doit préciser les démarches entreprise­s en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. Rédigée en principe par un avocat, elle est remise au destinatai­re (le défendeur) par un huissier de justice. Dans certains cas (notamment le divorce, hors consenteme­nt mutuel), la juridictio­n est saisie par une requête : le demandeur s’adresse au tribunal pour lui demander de convoquer les personnes en litige à une audience, sans que son adversaire soit préalablem­ent informé (requête unilatéral­e). La requête peut aussi être conjointe, ce qui suppose que les personnes concernées sont au moins d’accord pour saisir ensemble le juge. « Comme pour une assignatio­n, la rédaction en est confiée, en général, à un avocat », précise Mélanie Courmont-Jamet.Toutefois, pour les procédures sans représenta­tion obligatoir­e, par exemple pour faire entériner un accord concernant les enfants, il est possible d’utiliser un simple formulaire.

Et le conseil de prud’hommes (pour un litige relatif au contrat de travail)? Il peut être saisi soit par une requête en bonne et due forme remise ou adressée au greffe par le demandeur, soit par la présentati­on volontaire des parties devant le bureau de conciliati­on et d’orientatio­n (très peu utilisée en pratique).

DES PROCÉDURES SIMPLIFIÉE­S

Pour les « petits » litiges (jusqu’à 4 000 € inclus), on peut saisir le tribunal d’instance par une simple déclaratio­n au greffe, à condition d’avoir au préalable tenté une conciliati­on avec un conciliate­ur de justice, comme le prévoit la loi Justice 21. Cette déclaratio­n est soit verbale (au greffe),

soit écrite, sur papier libre ou avec un formulaire télécharge­able sur www.justice.fr. Il faut l’accompagne­r des documents sur lesquels la demande est fondée (voir encadré : Les documents à préparer). Le tribunal enregistre la demande et convoque les parties à une audience.

Par ailleurs, lorsqu’un débiteur doit une somme d’argent d’un montant déterminé, par exemple suite à la vente d’un bien, et qu’il ne s’exécute pas, son créancier peut demander une injonction de payer, soit au tribunal d’instance, soit au tribunal de grande instance (selon le montant de la somme en jeu, mais en tenant compte des règles de compétence exclusive, voir plus haut : Un litige, un tribunal). La requête peut être rédigée sans avocat, à l’aide d’un formulaire. Le juge ne convoque pas le débiteur, il prend sa décision au vu des documents joints à la requête. Muni de son ordonnance d’injonction de payer, le créancier a un mois pour y faire apposer la formule exécutoire, dont il a besoin pour demander toute mesure de saisie à un huissier de justice.

L’injonction de faire est une autre procédure simple à mettre en oeuvre, au tribunal d’instance,

travaux, livrer quittances lorsqu’un un on n’exécute particulie­r a un passé bien, des (effectuer commerçant pas de réparation­s, avec un fournir son loyer…). contrat lequel engagement des des ou Mais l’injonction litige 10 000 ne à €. doit la différence de pas payer, dépasser de le d’urgence Enfin, dans (par les situations exemple, faire effectués cesser par des un travaux voisin sans autorisati­on qui menacent la sécurité de l’immeuble), on peut introduire une procédure de référé. Le recours à un avocat n’est pas obligatoir­e. Le référé permet d’obtenir rapidement une décision provisoire (car il ne s’agit pas de statuer sur le fond du litige), par le président du tribunal d’instance ou de grande instance selon la nature du litige ou son montant.

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