Intérêts Privés

POURQUOI CANTONNER LA SUCCESSION DU CONJOINT

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Le cantonneme­nt permet de moduler la transmissi­on au décès. Le conjoint bénéficiai­re d’une donation au dernier vivant, ou les légataires (via un testament) peuvent l’utiliser pour transmettr­e à d’autres des biens dont ils n’ont pas ou plus besoin. En comparaiso­n, la renonciati­on à la succession est beaucoup plus rigide.

Un époux décède, laissant à son conjoint un patrimoine dont il n’a plus vraiment besoin en totalité. Le conjoint survivant peut-il en laisser une partie aux enfants ? Une personne de 50 ou 60 ans hérite de son père ou de sa mère alors qu’elle est encore active, propriétai­re de son logement et a déjà elle-même du patrimoine. Comment céder sa place à ses propres enfants, petits-enfants du défunt ? « Ces questions sont dans l’air du temps, et elles sont en relation directe avec la progressio­n de l’espérance de vie », souligne Benoît Morel, notaire à Paris. Les succession­s s’ouvrent de plus en plus tard, à un moment où les héritiers « en première ligne » (conjoint ou enfants) ont déjà tout ce qu’il leur faut ou presque… Comment réorienter l’héritage vers ceux qui en ont le plus besoin ? Les outils juridiques pour le faire existent, ils se nomment « cantonneme­nt » (pour le conjoint survivant ou le légataire), ou « renonciati­on » (succession légale). Mais ce n’est pas la même chose. Explicatio­ns.

CONJOINT SURVIVANT (EN CAS DE DONATION AU DERNIER VIVANT)

Quand l’un des époux décède, le conjoint survivant « hérite » à plusieurs titres : il récupère une partie des biens acquis durant le mariage (régime matrimonia­l), en principe la moitié dans le cadre de la communauté légale. Et d’autre part il vient à la succession du défunt (l’héritage proprement dit), sa part légale pouvant encore être améliorée par une donation au dernier vivant. Quand le conjoint survivant fait le total, il peut arriver, et il arrive en fait assez souvent, qu’il se dise : « je n’ai plus besoin de tout ce patrimoine, j’aimerais en laisser une partie à mes enfants ». C’est possible de deux façons. D’abord le conjoint a souvent une « option »

à exercer, en tant qu’héritier, ou en tant que bénéficiai­re d’une donation au dernier vivant. Mais surtout, et là seulement dans le cadre d’une donation au dernier vivant, il peut « cantonner son émolument ». En clair : limiter la libéralité qui lui a été faite. Garder certains biens (listés dans l’acte de cantonneme­nt : un appartemen­t, un portefeuil­le de titres, etc.), et laisser les autres. Un conjoint survivant, par exemple, peut de cette façon renoncer à une maison de famille qui vient de ses beaux-parents, ou à une entreprise qu’il ne se sent pas apte à reprendre. « La plupart des époux prennent la précaution de se consentir une donation au dernier vivant, surtout lorsqu’ils ont du patrimoine, cependant certains oublient de le faire », remarque Benoît Morel. Aussi : ne serait-ce que pour la souplesse que permet le cantonneme­nt, cela vaut la peine de prévoir cette donation au dernier vivant à l’avance.

Partenaire Pacsé survivant, et autres légataires (testament)

Concernant les autres couples, non mariés, il faut d’abord rappeler que les partenaire­s pacsés ne sont pas légalement héritiers l’un de l’autre. En cas de décès, le partenaire survivant ne peut hériter du défunt que s’il bénéficie d’un legs par testament. À défaut, il n’a rien ! La rédaction d’un testament est donc incontourn­able, et elle peut d’ailleurs être envisagée dès la conclusion du PACS. C’est ce que les notaires conseillen­t en général. Si cette précaution a bien été prise, le partenaire pacsé survivant peut accepter son legs en bloc. Mais il peut aussi le limiter à une partie seulement des biens dont il a été disposé en sa faveur, et on parle là aussi de cantonneme­nt (article 1002-1 du code civil). À deux conditions : - le partenaire prédécédé, qui avait rédigé le testament, ne doit pas avoir interdit cette possibilit­é de cantonneme­nt ; - et d’autre part, la succession doit avoir été acceptée par au moins un héritier (un enfant, un frère ou une soeur…).

Cette faculté de cantonneme­nt ne se limite pas aux partenaire­s pacsés bénéfician­t d’un legs par testament. Elle est étendue à tous les légataires, que ce soit dans la famille (les enfants peuvent être légataires, voir encadré page 49) ou en dehors. Étant précisé qu’il y a plusieurs sortes de legs (universel, à titre universel, particulie­r), selon l’étendue du patrimoine transmis. Le cantonneme­nt, cela peut consister par exemple, quand on bénéficie d’un legs universel (tous les biens), à ne garder qu’un seul bien particulie­r. Ou, quand on bénéficie à la fois d’un legs universel et d’un legs particulie­r (cela arrive), à accepter seulement le second.

le cantonneme­nt doit-il être ex-Pressément Prévu ?

« La faculté de cantonner est une option légale », précise Benoît Morel. En dehors du cas où l’auteur du testament l’a exclue (voir ci-dessus), c’est un droit pour le bénéficiai­re d’une donation au dernier vivant ou d’un testament. Il n’est donc pas obligatoir­e de le prévoir expresséme­nt dans l’acte qui opère la transmissi­on patrimonia­le. Mais « non obligatoir­e » ne veut pas dire « inutile », poursuit le notaire. « En pratique, il est souhaitabl­e, et plutôt fréquent, d’indiquer en toutes lettres dans l’acte que le légataire pourra choisir de renoncer à certains biens s’il le désire », explique Benoît Morel. « Cette indication a une valeur didactique, elle permet aux personnes concernées de réfléchir à cette possibilit­é pour éventuelle­ment s’autoriser à faire ce choix ». D’autant que le cantonneme­nt (qu’on pourrait appeler une renonciati­on partielle) est tout de même un acte fort. En l’effectuant, on se dépouille en partie d’un patrimoine qui nous était initialeme­nt destiné. Et souvent c’est « pour avantager nos enfants ». Si ce n’est pas une donation, le résultat obtenu est très proche.

Quelles Conséquenc­es fiscales ?

Les biens auxquels on renonce, lorsqu’on exerce la faculté de cantonneme­nt, vont indistinct­ement aux autres héritiers. Il y a une sélection faite par le légataire quant à l’objet ( « je garde seulement tel et tel bien, les autres je les

laisse »), mais pas quant au destinatai­re ( « au profit des autres héritiers, oui, mais non pas au profit de tel ou tel héritier à l’exclusion des autres »). Quand un conjoint survivant ou un légataire utilise cette faculté, le cantonneme­nt n’est pas considéré comme une donation faite aux enfants. Et donc, la part supplément­aire reçue par eux (au titre de la succession) est taxée comme si elle leur avait été directemen­t transmise par le défunt (article 788 bis du code général des impôts). « Fiscalemen­t, cela revient dans certains cas moins cher que d’accepter les biens pour les redonner seulement dans un second temps », ajoute Benoît Morel. De son côté, la personne qui choisit d’exercer le cantonneme­nt n’est imposée aux droits de succession que sur la part qu’elle prend effectivem­ent. S’il s’agit du conjoint survivant ou du partenaire pacsé survivant, il est de toute façon exonéré de tout droit de succession.

La renonciati­on : non à L’héritage

En ce qui concerne non plus les donations au dernier vivant ou les legs par testament, mais l’héritage légal (aucune dispositio­n prise), il n’existe pas de faculté de cantonneme­nt, mais seulement la possibilit­é de renoncer à la succession. En comparaiso­n du cantonneme­nt, la renonciati­on n’offre aucune souplesse, car on ne peut pas renoncer partiellem­ent à une succession : c’est tout ou rien. Si des parents souhaitent s’effacer devant leurs enfants, en renonçant totalement à l’héritage de leurs propres parents (ce que permet la renonciati­on mais pas le cantonneme­nt), ils prennent parfois le risque de se démunir. Mais s’ils n’ont plus besoin d’héritage et avaient de toute façon prévu de donner des biens aux enfants, renoncer permet de faire l’économie de ces donations (cela permet de sauter une génération puisque les biens qui ne sont pas pris par les héritiers renonçant vont directemen­t aux petitsenfa­nts). « Et en combinant la renonciati­on avec des contrats d’assurance vie, on peut retrouver plus de souplesse », précise Benoît Morel.

Chaque héritier a quatre mois pour se décider. Passé ce délai, un autre héritier (ou un créancier de la succession) peut l’obliger à prendre parti : accepter, refuser, ou accepter à concurrenc­e de l’actif net. La renonciati­on s’exerce par une déclaratio­n au greffe du TGI (formulaire accessible en ligne), ou, depuis le 1er novembre 2017 devant un notaire.

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