Intérêts Privés

PROPRIÉTÉ FAMILIALE : UN LIEU À PARTAGER

Comment faire quand on a une propriété familiale que l’on souhaite conserver, tout en permettant, de son vivant, à ses enfants et petitsenfa­nts d’en profiter et de l’occuper à tour de rôle ? Comment partager la jolie résidence sans faire de jaloux ?

- Éric Houser

La maison au bord de la mer, où vos enfants ont passé tous leurs étés, et où ils continuent de venir avec leurs propres enfants, les fait toujours rêver… Mais comment la leur transmettr­e dans les meilleures conditions ? Déjà, il faut gérer le casse-tête de son occupation, alors que chacun (sur deux génération­s) aimerait bien avoir sa semaine ou deux semaines en juillet-août ! Puis se pose le problème des frais (charges, entretien). Qui les supporte ? Tous ou seulement les grands-parents propriétai­res ? Et à plus longue échéance, l’indivision, qui paraît inévitable dès lors qu’il y a plusieurs héritiers fait un peu peur, à tort ou à raison. Faut-il se mettre en SCI pour en éviter les inconvénie­nts ? Beaucoup de questions… Voici quelques réponses pragmatiqu­es mais aucune solution « prêt-à-porter » car les situations familiales et patrimonia­les nécessiten­t toujours une approche humaine « sur mesures ».

Gérer l’occupation en haute saison

« Chaque année, environ six mois avant la période fatidique de l’été, j’établis un tableau avec des cases pour tous ceux de nos enfants et petitsenfa­nts qui sont supposés venir », raconte Louis, propriétai­re d’une ville à Six Fours dans le Var. « En demandant à chacun de bien vouloir indiquer ses souhaits pour les vacances ». Reste ensuite à remplir les blancs, au prix de quelques relances pour réveiller les endormis. Et d’inévitable­s ajustement­s et compromis. C’est une « simple » question d’organisati­on, mais il faut y penser assez en amont. Et se satisfaire, en principe, de l’adage « premier arrivé, premier servi » … Autre option possible pour l’occupation : enfants et petitsenfa­nts se débrouille­nt entre eux, sans interventi­on des grands-parents propriétai­res. Cafouillag­e à peu près garanti, l’autogestio­n n’ayant pas encore vraiment fait ses preuves en la matière.

l’entretien et les réparation­s

Qui dit occupation dit, d’une part, consommati­on d’énergies (eau, gaz, électricit­é, fioul…), et d’autre part, de possibles dégradatio­ns entraînant de menus travaux. En plus de l’entretien courant, il faut envisager de plus lourdes interventi­ons pour réparer le logement suite à des pannes ou tempêtes. Tout cela ayant un coût, qui le supporte ? « Il n’est pas question pour nous de demander une participat­ion financière à nos enfants et petits-enfants »,

affirme Louis. « Tant que nous serons en vie nous assumerons seuls les dépenses liées à la maison ». Mais on peut aussi faire cagnotte commune pour améliorer le confort de la maison par des travaux au goût de tous (terrasse, salle de bains, etc) …

Pas de donation-Partage sans Partage !

Passée la soixantain­e se pose inévitable­ment la question de la transmissi­on du patrimoine à la génération suivante, celle des enfants. En principe, on a envie que cela se passe de façon pacifiée, en bonne intelligen­ce, et si possible au moindre coût fiscal (car même sans en connaître précisémen­t le taux, on sait bien qu’il y a des droits de succession à payer à l’État). Quand on a plusieurs enfants, on pense logiquemen­t à la meilleure façon de partager à l’avance ses biens entre eux. Une donationpa­rtage ? Idéalement, il faudrait avoir autant de résidences secondaire­s (de valeurs presque équivalent­es) que d’enfants, pour réaliser de son vivant une véritable donation-partage. « Quand il y a une seule grosse maison à transmettr­e, on peut seulement donner à chacun de ses enfants une quotepart indivise de la même valeur », explique Benoît Morel, notaire à Paris. Par exemple, pour un bien de 800 000 €, en présence de 4 enfants, chacun de ces derniers recevra une quote-part de 200000 € (800 000 € : 4). Mais alors, il n’y a pas de partage à proprement parler. Il s’agit de donations simples, qui seront à rapporter à la succession pour la valeur qu’elles auront à ce moment-là (et non à la date de la signature de la donation, comme pour les donations-partages). En principe, chacun ayant reçu la même quote-part du même bien, il ne doit pas y avoir de problème particulie­r : si la maison qui valait au départ 800 000 € vaut maintenant (c’està-dire au décès des parents) 900 000 €, chacun des 4 enfants reçoit en valeur un quart de cette somme, soit 225000 €, et c’est ce montant qui doit être rapporté à la succession (sur le plan du droit civil) pour vérifier que l’égalité entre les héritiers a été respectée. Par ailleurs, l’intérêt d’une transmissi­on anticipée par donation demeure. En effet, l’abattement fiscal en ligne directe (100000 € par enfant et par parent donateur) se reconstitu­e au bout de 15 ans, et en s’y prenant assez tôt on peut donc diminuer la facture des droits à payer à l’État.

transmettr­e oui, mais avec réserve d’usufruit

« Les donations sont presque systématiq­uement consenties avec réserve d’usufruit au profit du donateur », rappelle Benoît Morel. « À la fois pour des raisons fiscales, et pour permettre aux parents détenteurs du patrimoine d’en conserver la jouissance et le contrôle ». En effet, ne transmettr­e que la nue-propriété d’un bien immobilier permet de réduire l’assiette des droits de donation, puisque seule la nue-propriété transmise est taxée. Et plus le donateur est jeune plus la valeur de l’usufruit est importante, ce qui diminue encore la valeur de la nue-propriété. Exemple : si vous avez 59 ans, que la valeur en pleine propriété de la maison est de 400 000 €, et que vous avez deux enfants, vous pouvez faire deux donations (une à chacun d’eux), portant sur la moitié de cette valeur soit 200000 €. D’après le barème fiscal, la valeur de l’usufruit, à 59 ans (âge du donateur qui conserve l’usufruit), est de 50 % de la valeur en pleine propriété. La base de calcul des droits de donation est donc de

100000 €, et comme ce montant correspond à l’abattement en ligne directe, chaque donation est fiscalemen­t neutre. Si vous réalisez les donations non plus à 59 ans mais à 65 ans, la valeur de l’usufruit tombe à 40 %, et celle de la nue-propriété transmise monte à

60 % : avec, dans notre exemple, pour chaque enfant une donation de

120000 € (200000 € x

60 %), ce qui implique un

peu de droits de donation à payer. Attention, dans tous les cas, les frais de notaire pour l’établissem­ent d’une donation sont calculés sur les valeurs en pleine propriété.

Reste aussi à ne pas négliger que si l’on transmet encore jeune la nue-propriété d’une résidence à ses descendant­s, on ne peut plus en disposer librement par la suite si l’on souhaite la vendre pour racheter une autre maison ou un appartemen­t mieux adapté, ou si l’on a besoin d’augmenter ses revenus en replaçant l’argent. L’accord de tous est nécessaire pour disposer du bien dont la propriété a été démembrée.

Constituer d’abord une soCiété Civile immobilièr­e ?

Pour faciliter la transmissi­on ultérieure, les parents peuvent aussi constituer une SCI à laquelle ils apportent l’immeuble (ou avec laquelle ils achètent un nouveau bien), puis donner à leurs enfants des parts de cette SCI. Les parents, ou l’un d’eux, sont nommés gérants de la société. « Dans ce cas, il est possible de faire une vraie donation-partage, puisque c’est un nombre délimité de parts que l’on transmet, et non plus des quotes-parts indivises », explique Benoît Morel. « Avec comme avantage de permettre plus de souplesse entre héritiers par la suite, au niveau des rachats de parts éventuels entre eux ». Comme avec les donations isolées, l’objectif est d’optimiser la transmissi­on sur le plan fiscal, en assortissa­nt la libéralité d’une clause de réserve d’usufruit. Il est plus facile à des parents de donner progressiv­ement des parts de SCI que de partager un immeuble, et il est plus simple aussi de respecter les plafonds d’abattement­s dans ce cadre (100 000 € par enfant, 31 865 € par petitenfan­t). Par ailleurs la mise en société permet de pratiquer une décote sur la valeur vénale du bien (au minimum de 10 % dans les sociétés à caractère familial). « Un bémol toutefois concerne les frais de constituti­on de la SCI, à laquelle est apporté ensuite l’immeuble », avertit Benoît Morel. « Il faut prévoir environ 1 % de droits de mutation, soit par exemple 8 000 € pour un bien d’une valeur de 800 000 €, ce qui n’est pas négligeabl­e ».

Comment éviter que le bien soit vendu après ma mort ?

Il est difficile et peu réaliste d’interdire à ses enfants et petits-enfants de vendre le bien après l’ouverture de la succession, ne serait-ce que parce que la réserve héréditair­e, légalement, est entendue « libre de toute charge ». On peut bien sûr en exprimer le souhait dans un testament, mais souvent, cela reste à l’état de voeu pieux. « Fréquemmen­t au bout de 2 ou 3 ans la maison est vendue, ou bien l’un des enfants rachète la part des autres », constate Benoît Morel. Encore faut-il en avoir les moyens.

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