NOUVELLE DÉFINITION FISCALE DE L’ABUS DE DROIT
LA DONATION AVEC RÉSERVE DE PROPRIÉTÉ NON VISÉE
La nouvelle définition fiscale de l’abus de droit, applicable à partir de 2020, offrira plus de latitude à l’administration pour remettre en cause certains montages de défiscalisation. Toutefois, les techniques classiques de transmission patrimoniale, comme la donation avec réserve d’usufruit, ne devraient pas en être affectées.
Par la voie d’un amendement, la loi de finances pour 2019 a créé une nouvelle définition de l’abus de droit, qui sera effective seulement en 2020. Une définition plus large que l’actuelle, car elle permettra à l’administration de contester des actes juridiques qui poursuivent un objectif « principalement » fiscal. Alors qu’aujourd’hui, c’est la recherche d’un objectif « exclusivement » fiscal qui tombe sous le coup de l’abus de droit… Ce changement d’adverbe est loin d’être anodin, mais les
inquiétudes que fait naître la réforme doivent être relativisées.
Deux procédures pour viser Deux variantes De l’abus De Droit
La réforme s’appliquera aux rectifications notifiées à partir du 1er janvier 2021, portant sur des actes passés à compter du 1er janvier 2020. Que dit précisément la loi de finances ? Que l’administration peut (pourra) écarter les actes qui, « recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes […] à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » de l’intéressé (article L 64 A nouveau du Livre des procédures fiscales). La procédure actuelle (qui continuera à s’appliquer) vise les actes « qui n’ont pu être inspirés par aucun autre motif » que fiscal. « Dans les deux cas on est dans le cadre d’une fraude à la loi, et, avant toute chose, l’administration doit d’abord démontrer que le contribuable a utilisé la lettre d’un texte fiscal contre son esprit », souligne Catherine Orlhac, présidente de l’AUREP (organisme de formation de référence en gestion de patrimoine).
la Donation avec réserve D’usufruit épargnée
Malgré cette utile précision, une rumeur a rapidement enflé : et si la donation avec réserve d’usufruit, acte courant s’il en est (pas seulement pour les grosses successions), allait bientôt tomber dans l’illégalité ? « Nous n’y avons pas cru une seconde ! », s’écrie Benoît Morel, notaire à Paris. Pour lui comme pour la majorité des professionnels, les arguments ne manquent pas pour démontrer que cette donation est avant toute chose… une donation : un acte par lequel le donateur s’appauvrit (il abandonne la nue-propriété), et « perd le pouvoir d’arbitrage de la pleine propriété, pouvoir qui sera partagé avec les enfants donataires », complète Jean Aulagnier, ancien président de l’AUREP (1). S’il y a bien un avantage fiscal, il n’est pas prépondérant. L’administration a calmé le jeu dans un communiqué du 19 janvier, précisant que la donation avec réserve d’usufruit, à condition de ne pas être fictive, n’est pas visée par la nouvelle définition de l’abus de droit. On attend la transcription dans un bulletin officiel des impôts (Bofip). Et une réponse ministérielle à une question du sénateur Claude Malhuret (2) devrait aller dans le même sens.
Quels autres actes pourraient être visés ?
Tout le monde étant a priori rassuré à propos des donations avec réserve d’usufruit, qu’en est-il des autres actes qui ont pour effet de réaliser une économie d’impôt, notamment en utilisant le démembrement de propriété ? Sans pouvoir établir un catalogue de ces pratiques, il est probable que devraient « passer » celles qui poursuivent un objectif patrimonial comme la protection de la famille, la préparation de la retraite, l’anticipation de la dépendance. « En assurance-vie, une clause bénéficiaire démembrée entre le conjoint usufruitier et les enfants nus-propriétaires est protectrice de ces derniers », remarque Yves Gambart de Lignières, conseiller en gestion de patrimoine à Vannes et à Paris. Une donation de titres avant cession (qui a pour effet de neutraliser la plus-value taxable) ne devrait pas poser plus de problème si la motivation est effectivement de donner… « Par ailleurs, entre deux schémas ayant le même résultat et qui n’ont pas pour seul but d’éluder l’impôt, on peut choisir celui qui est fiscalement moins coûteux », rappelle Christine Chiozza-Vauterin, avocate à Paris (LightHouse LHLF) « Faire l’inverse serait presque comparable à un acte anormal de gestion ». Cela étant, n’y a-t-il pas, tout de même, des montages qui risquent d’être plus facilement interceptés grâce à la nouvelle définition de l’abus de droit ? « Certains schémas sont limite, sur-
tout dans le domaine des sociétés », reconnaît Catherine Orlhac, « et ce sont eux qui sont visés. Il y a une incertitude, par exemple, pour des montages qui font intervenir la cession d’usufruit temporairede parts de sociétés, dans le cadre de l’immobilier d’entreprise ».
Flou et insécurité juridique
La référence à l’objectif principalement fiscal aurait été adoptée pour cause d’harmonisation européenne, a-t-il été expliqué lors du vote de la loi. Mais, alors qu’en France les relations des contribuables avec l’administration fiscale sont d’un esprit moins partenarial qu’ailleurs en Europe, n’est-ce pas conférer un pouvoir d’appréciation bien large au fisc ? La notion retenue est floue, car si les avantages fiscaux peuvent être quantifiés, ce n’est généralement pas le cas des avantages patrimoniaux, comme la protection du conjoint ou des enfants, ou encore l’équité… Or il faudra bien faire une comparaison pour distinguer ce qui est « principal » de ce qui ne l’est pas. Une certaine insécurité juridique est à craindre, l’appréciation très subjective des situations risquant de varier d’un contrôleur des impôts à l’autre, et d’un tribunal à l’autre en cas de contentieux. Sans que l’on soit certain d’arriver à une jurisprudence unifiée car, en ce qui concerne les questions de fait (telle situation caractérisant un abus), les juridictions décident « souverainement ». Plus que jamais, lorsqu’on envisage un acte ou une stratégie « à résonance fiscale », il est conseillé de rédiger un argumentaire, un « exposé des motifs » qui en explique les raisons (économiques, civiles, psychologiques…). « C’est ce que nous recommandons aux conseillers en gestion de patrimoine », indique Catherine Orlhac.