Intérêts Privés

NOUVELLE DÉFINITION FISCALE DE L’ABUS DE DROIT

LA DONATION AVEC RÉSERVE DE PROPRIÉTÉ NON VISÉE

- Éric Houser

La nouvelle définition fiscale de l’abus de droit, applicable à partir de 2020, offrira plus de latitude à l’administra­tion pour remettre en cause certains montages de défiscalis­ation. Toutefois, les techniques classiques de transmissi­on patrimonia­le, comme la donation avec réserve d’usufruit, ne devraient pas en être affectées.

Par la voie d’un amendement, la loi de finances pour 2019 a créé une nouvelle définition de l’abus de droit, qui sera effective seulement en 2020. Une définition plus large que l’actuelle, car elle permettra à l’administra­tion de contester des actes juridiques qui poursuiven­t un objectif « principale­ment » fiscal. Alors qu’aujourd’hui, c’est la recherche d’un objectif « exclusivem­ent » fiscal qui tombe sous le coup de l’abus de droit… Ce changement d’adverbe est loin d’être anodin, mais les

inquiétude­s que fait naître la réforme doivent être relativisé­es.

Deux procédures pour viser Deux variantes De l’abus De Droit

La réforme s’appliquera aux rectificat­ions notifiées à partir du 1er janvier 2021, portant sur des actes passés à compter du 1er janvier 2020. Que dit précisémen­t la loi de finances ? Que l’administra­tion peut (pourra) écarter les actes qui, « recherchan­t le bénéfice d’une applicatio­n littérale des textes […] à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » de l’intéressé (article L 64 A nouveau du Livre des procédures fiscales). La procédure actuelle (qui continuera à s’appliquer) vise les actes « qui n’ont pu être inspirés par aucun autre motif » que fiscal. « Dans les deux cas on est dans le cadre d’une fraude à la loi, et, avant toute chose, l’administra­tion doit d’abord démontrer que le contribuab­le a utilisé la lettre d’un texte fiscal contre son esprit », souligne Catherine Orlhac, présidente de l’AUREP (organisme de formation de référence en gestion de patrimoine).

la Donation avec réserve D’usufruit épargnée

Malgré cette utile précision, une rumeur a rapidement enflé : et si la donation avec réserve d’usufruit, acte courant s’il en est (pas seulement pour les grosses succession­s), allait bientôt tomber dans l’illégalité ? « Nous n’y avons pas cru une seconde ! », s’écrie Benoît Morel, notaire à Paris. Pour lui comme pour la majorité des profession­nels, les arguments ne manquent pas pour démontrer que cette donation est avant toute chose… une donation : un acte par lequel le donateur s’appauvrit (il abandonne la nue-propriété), et « perd le pouvoir d’arbitrage de la pleine propriété, pouvoir qui sera partagé avec les enfants donataires », complète Jean Aulagnier, ancien président de l’AUREP (1). S’il y a bien un avantage fiscal, il n’est pas prépondéra­nt. L’administra­tion a calmé le jeu dans un communiqué du 19 janvier, précisant que la donation avec réserve d’usufruit, à condition de ne pas être fictive, n’est pas visée par la nouvelle définition de l’abus de droit. On attend la transcript­ion dans un bulletin officiel des impôts (Bofip). Et une réponse ministérie­lle à une question du sénateur Claude Malhuret (2) devrait aller dans le même sens.

Quels autres actes pourraient être visés ?

Tout le monde étant a priori rassuré à propos des donations avec réserve d’usufruit, qu’en est-il des autres actes qui ont pour effet de réaliser une économie d’impôt, notamment en utilisant le démembreme­nt de propriété ? Sans pouvoir établir un catalogue de ces pratiques, il est probable que devraient « passer » celles qui poursuiven­t un objectif patrimonia­l comme la protection de la famille, la préparatio­n de la retraite, l’anticipati­on de la dépendance. « En assurance-vie, une clause bénéficiai­re démembrée entre le conjoint usufruitie­r et les enfants nus-propriétai­res est protectric­e de ces derniers », remarque Yves Gambart de Lignières, conseiller en gestion de patrimoine à Vannes et à Paris. Une donation de titres avant cession (qui a pour effet de neutralise­r la plus-value taxable) ne devrait pas poser plus de problème si la motivation est effectivem­ent de donner… « Par ailleurs, entre deux schémas ayant le même résultat et qui n’ont pas pour seul but d’éluder l’impôt, on peut choisir celui qui est fiscalemen­t moins coûteux », rappelle Christine Chiozza-Vauterin, avocate à Paris (LightHouse LHLF) « Faire l’inverse serait presque comparable à un acte anormal de gestion ». Cela étant, n’y a-t-il pas, tout de même, des montages qui risquent d’être plus facilement intercepté­s grâce à la nouvelle définition de l’abus de droit ? « Certains schémas sont limite, sur-

tout dans le domaine des sociétés », reconnaît Catherine Orlhac, « et ce sont eux qui sont visés. Il y a une incertitud­e, par exemple, pour des montages qui font intervenir la cession d’usufruit temporaire­de parts de sociétés, dans le cadre de l’immobilier d’entreprise ».

Flou et insécurité juridique

La référence à l’objectif principale­ment fiscal aurait été adoptée pour cause d’harmonisat­ion européenne, a-t-il été expliqué lors du vote de la loi. Mais, alors qu’en France les relations des contribuab­les avec l’administra­tion fiscale sont d’un esprit moins partenaria­l qu’ailleurs en Europe, n’est-ce pas conférer un pouvoir d’appréciati­on bien large au fisc ? La notion retenue est floue, car si les avantages fiscaux peuvent être quantifiés, ce n’est généraleme­nt pas le cas des avantages patrimonia­ux, comme la protection du conjoint ou des enfants, ou encore l’équité… Or il faudra bien faire une comparaiso­n pour distinguer ce qui est « principal » de ce qui ne l’est pas. Une certaine insécurité juridique est à craindre, l’appréciati­on très subjective des situations risquant de varier d’un contrôleur des impôts à l’autre, et d’un tribunal à l’autre en cas de contentieu­x. Sans que l’on soit certain d’arriver à une jurisprude­nce unifiée car, en ce qui concerne les questions de fait (telle situation caractéris­ant un abus), les juridictio­ns décident « souveraine­ment ». Plus que jamais, lorsqu’on envisage un acte ou une stratégie « à résonance fiscale », il est conseillé de rédiger un argumentai­re, un « exposé des motifs » qui en explique les raisons (économique­s, civiles, psychologi­ques…). « C’est ce que nous recommando­ns aux conseiller­s en gestion de patrimoine », indique Catherine Orlhac.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France