Intérêts Privés

POURQUOI LES FRANÇAIS DONNENT MOINS

DONS AUX OEUVRES, PHILANTHRO­PIE…

- ÉRIC HOUSER

Les changement­s fiscaux en 2018 ont entraîné une décollecte massive des dons aux oeuvres, pénalisant tout le secteur de la philanthro­pie. Est-ce à dire qu’à défaut d’incitation fiscale, la générosité disparaît ? La réalité est plus nuancée. Certains donateurs choisissen­t de s’engager dans la durée, pour soutenir un projet qui a du sens pour eux.

Dans le monde de la philanthro­pie, on se souviendra de l’année 2018 comme d’une « année noire ». Elle a été marquée, notamment, par la suppressio­n de l’ISF et son remplaceme­nt par l’impôt sur la fortune immobilièr­e. Ainsi que par l’adoption du prélèvemen­t à la source de l’impôt sur le revenu qui s’est traduit par un grand flou sur l’imposition des revenus de 2018. Ces deux événements, auxquels il faut ajouter la hausse de la CSG des retraités (partiellem­ent annulée en 2019), ont fait chuter de moitié le volume des dons récoltés par les grandes associatio­ns et

fondations reconnues d’utilité publique ! Le constat, chiffré, est assez brutal. Mais il donne l’occasion de réfléchir au sens d’une action philanthro­pique, qui ne peut être réduite au circuit court de la réponse à une incitation fiscale. À cet égard, le contenu de la cause soutenue, souvent en résonance avec une thématique propre au donateur, est très important.

Changement­s fisCaux : un séisme

« Nous avons perdu 44 % de notre collecte, et sur 2018 il y a eu 26 % de donateurs en moins », annonce Delphine Binard, directrice de la Fondation des Petits Frères des Pauvres. C’est un peu en dessous de la moyenne, évaluée à 50 % (pour certaines fondations la décollecte est contenue à 30 %, pour d’autres elle atteint jusqu’à 70 % …). Ces chiffres révèlent combien la nouvelle donne fiscale en 2018 dont la suppressio­n de l’ISF et de son remplaceme­nt par l’impôt sur la fortune immobilièr­e (IFI) a perturbé les dons. Petit rappel historique : c’est la loi TEPA qui avait permis aux contribuab­les payant l’ISF de bénéficier d’une très forte réduction d’impôt à partir de 2008, en déduisant une partie de leurs dons (voir encadré). Le passage de l’ISF à l’IFI, en faisant chuter le nombre de foyers concernés par l’impôt sur la fortune de 350 000 à seulement 150 000, a mécaniquem­ent réduit le nombre de donateurs. Quant aux contribuab­les qui restent assujettis à l’IFI, ils voient leur facture fiscale diminuer, et peuvent donc la réduire ou l’effacer avec des dons moins importants. Enfin, le poids des prélèvemen­ts accrus sur les retraités en 2018, dans l’incertitud­e quant à leur réduction d’impôt, a sans doute pesé. « Reconquéri­r les donateurs, ce n’est pas si simple ! », observe Delphine Binard. « Il faut aller à leur rencontre, les convaincre, les accompagne­r sur des projets ».

La mosaïque des donateurs

Si la générosité est liée aux incitation­s fiscales, c’est un fait, l’attitude face au don n’est pas non plus totalement monolithiq­ue. « Nos clients se répartisse­nt entre trois types assez différents », résume Maxime Vermesse, directeur de la gestion privée chez Meeschaert France. « Ceux pour lesquels le prisme fiscal est très fort, et qui ont effectivem­ent contribué à la baisse de la collecte. Voisinent avec eux, les donateurs qui ont intégré la philanthro­pie dans la gestion de leur patrimoine ». Pour les premiers, il s’agit d’arbitrer entre payer ses impôts et choisir une cause. Il ne faut pas oublier que l’ISF avait mauvaise réputation, et que faire son chèque à une fondation plutôt qu’au Trésor public était parfois vécu

comme une « protestati­on » contre cet impôt, jugé confiscato­ire. Dans une dernière catégorie, on trouve plutôt des personnes qui, par tradition familiale, ne remettent pas en cause un engagement si le stimulus fiscal se tarit. Cela pourra être le cas des personnes soutenant un culte. On peut rappeler que l’Église catholique se finance largement en appelant à la générosité des fidèles. En dehors des donations et des legs, ses principale­s ressources sont réparties en trois catégories. La plus importante est le « Denier de l’Église » (contributi­on versée chaque année pour assurer le fonctionne­ment des paroisses et la vie matérielle des prêtres, faisant l’objet d’un reçu fiscal). Il n’y a pas de tarif, chacun donnant en conscience selon ses possibilit­és.Les autres ressources proviennen­t des quêtes effectuées au cours des célébratio­ns,

et du « casuel » (offrande spécifique liée aux cérémonies telles que baptêmes, mariages, obsèques…). Parmi ces donateurs engagés qui croient à une cause, figurent aussi les jeunes. « Plus clairement en recherche de sens en ce

qui concerne leur patrimoine, le prisme de la solidarité les oriente plutôt vers les investisse­ments dans lesquels l’accent est mis sur l’environnem­ent, la gouvernanc­e…, ainsi que vers les fonds de partage » complète Maxime Vermesse.

Les seniors en tête

Le profil du donateur varie ainsi selon la cause qu’il contribue à soutenir. Aux Petits Frères des Pauvres, il s’agit le plus souvent d’une femme, retraitée, âgée de 72 ans et veuve, qui vit en région parisienne. Elle adresse deux chèques par an à la Fondation, au printemps et à Noël. « 17 % de nos donateurs ont choisi plutôt le prélèvemen­t automatiqu­e », précise Delphine Binard. À la Fondation pour la Recherche Médicale, c’est une personne senior de plus de 65 ans, vivant en ville et à fort pouvoir d’achat, et qui n’a pas choisi de soutenir la recherche par hasard. « Soit qu’elle soit, elle-même (ou un proche), atteinte de telle ou telle maladie, soit qu’elle fasse partie du secteur médical ou scientifiq­ue », souligne Marie-Charlotte Brun, directrice du développem­ent des ressources et de la communicat­ion. L’âge avançant, beaucoup d’entre-nous sont davantage sensibilis­és à la maladie, notamment au cancer, qui fait encore tant de victimes parmi nos proches.

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