POURQUOI LES FRANÇAIS DONNENT MOINS
DONS AUX OEUVRES, PHILANTHROPIE…
Les changements fiscaux en 2018 ont entraîné une décollecte massive des dons aux oeuvres, pénalisant tout le secteur de la philanthropie. Est-ce à dire qu’à défaut d’incitation fiscale, la générosité disparaît ? La réalité est plus nuancée. Certains donateurs choisissent de s’engager dans la durée, pour soutenir un projet qui a du sens pour eux.
Dans le monde de la philanthropie, on se souviendra de l’année 2018 comme d’une « année noire ». Elle a été marquée, notamment, par la suppression de l’ISF et son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière. Ainsi que par l’adoption du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu qui s’est traduit par un grand flou sur l’imposition des revenus de 2018. Ces deux événements, auxquels il faut ajouter la hausse de la CSG des retraités (partiellement annulée en 2019), ont fait chuter de moitié le volume des dons récoltés par les grandes associations et
fondations reconnues d’utilité publique ! Le constat, chiffré, est assez brutal. Mais il donne l’occasion de réfléchir au sens d’une action philanthropique, qui ne peut être réduite au circuit court de la réponse à une incitation fiscale. À cet égard, le contenu de la cause soutenue, souvent en résonance avec une thématique propre au donateur, est très important.
Changements fisCaux : un séisme
« Nous avons perdu 44 % de notre collecte, et sur 2018 il y a eu 26 % de donateurs en moins », annonce Delphine Binard, directrice de la Fondation des Petits Frères des Pauvres. C’est un peu en dessous de la moyenne, évaluée à 50 % (pour certaines fondations la décollecte est contenue à 30 %, pour d’autres elle atteint jusqu’à 70 % …). Ces chiffres révèlent combien la nouvelle donne fiscale en 2018 dont la suppression de l’ISF et de son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) a perturbé les dons. Petit rappel historique : c’est la loi TEPA qui avait permis aux contribuables payant l’ISF de bénéficier d’une très forte réduction d’impôt à partir de 2008, en déduisant une partie de leurs dons (voir encadré). Le passage de l’ISF à l’IFI, en faisant chuter le nombre de foyers concernés par l’impôt sur la fortune de 350 000 à seulement 150 000, a mécaniquement réduit le nombre de donateurs. Quant aux contribuables qui restent assujettis à l’IFI, ils voient leur facture fiscale diminuer, et peuvent donc la réduire ou l’effacer avec des dons moins importants. Enfin, le poids des prélèvements accrus sur les retraités en 2018, dans l’incertitude quant à leur réduction d’impôt, a sans doute pesé. « Reconquérir les donateurs, ce n’est pas si simple ! », observe Delphine Binard. « Il faut aller à leur rencontre, les convaincre, les accompagner sur des projets ».
La mosaïque des donateurs
Si la générosité est liée aux incitations fiscales, c’est un fait, l’attitude face au don n’est pas non plus totalement monolithique. « Nos clients se répartissent entre trois types assez différents », résume Maxime Vermesse, directeur de la gestion privée chez Meeschaert France. « Ceux pour lesquels le prisme fiscal est très fort, et qui ont effectivement contribué à la baisse de la collecte. Voisinent avec eux, les donateurs qui ont intégré la philanthropie dans la gestion de leur patrimoine ». Pour les premiers, il s’agit d’arbitrer entre payer ses impôts et choisir une cause. Il ne faut pas oublier que l’ISF avait mauvaise réputation, et que faire son chèque à une fondation plutôt qu’au Trésor public était parfois vécu
comme une « protestation » contre cet impôt, jugé confiscatoire. Dans une dernière catégorie, on trouve plutôt des personnes qui, par tradition familiale, ne remettent pas en cause un engagement si le stimulus fiscal se tarit. Cela pourra être le cas des personnes soutenant un culte. On peut rappeler que l’Église catholique se finance largement en appelant à la générosité des fidèles. En dehors des donations et des legs, ses principales ressources sont réparties en trois catégories. La plus importante est le « Denier de l’Église » (contribution versée chaque année pour assurer le fonctionnement des paroisses et la vie matérielle des prêtres, faisant l’objet d’un reçu fiscal). Il n’y a pas de tarif, chacun donnant en conscience selon ses possibilités.Les autres ressources proviennent des quêtes effectuées au cours des célébrations,
et du « casuel » (offrande spécifique liée aux cérémonies telles que baptêmes, mariages, obsèques…). Parmi ces donateurs engagés qui croient à une cause, figurent aussi les jeunes. « Plus clairement en recherche de sens en ce
qui concerne leur patrimoine, le prisme de la solidarité les oriente plutôt vers les investissements dans lesquels l’accent est mis sur l’environnement, la gouvernance…, ainsi que vers les fonds de partage » complète Maxime Vermesse.
Les seniors en tête
Le profil du donateur varie ainsi selon la cause qu’il contribue à soutenir. Aux Petits Frères des Pauvres, il s’agit le plus souvent d’une femme, retraitée, âgée de 72 ans et veuve, qui vit en région parisienne. Elle adresse deux chèques par an à la Fondation, au printemps et à Noël. « 17 % de nos donateurs ont choisi plutôt le prélèvement automatique », précise Delphine Binard. À la Fondation pour la Recherche Médicale, c’est une personne senior de plus de 65 ans, vivant en ville et à fort pouvoir d’achat, et qui n’a pas choisi de soutenir la recherche par hasard. « Soit qu’elle soit, elle-même (ou un proche), atteinte de telle ou telle maladie, soit qu’elle fasse partie du secteur médical ou scientifique », souligne Marie-Charlotte Brun, directrice du développement des ressources et de la communication. L’âge avançant, beaucoup d’entre-nous sont davantage sensibilisés à la maladie, notamment au cancer, qui fait encore tant de victimes parmi nos proches.