Intérêts Privés

UN PRÊT ENTRE CONCUBINS OU PARENTS

POUR ÉVITER LES DROITS DE DONATION

- Éric Houser

Mettre gratuiteme­nt un logement à la dispositio­n d’un proche, soit de son concubin soit de l’un de ses enfants, peut être une excellente solution pour le bénéficiai­re. À manier avec précaution, car au décès du « prêteur », ce n’est pas sans retombées pour ses héritiers…

S’inquiéter du logement de la personne avec laquelle on vit pour quand on ne sera plus là, ou de l’un de ses enfants qui se trouve en difficulté, quoi de plus naturel ? Si l’on est propriétai­re d’un bien immobilier, pourquoi ne pas imaginer, plutôt que de le transmettr­e en pleine propriété, de simplement le prêter au proche que l’on souhaite aider ? Le prêt à usage ou « commodat » (du latin commodare, prêter, rendre service, se montrer complaisan­t…) répond à cette préoccupat­ion. Quelque peu hors norme, ce contrat gratuit qui n’est ni une location, ni une donation, doit de

préférence faire l’objet d’un écrit. Par ailleurs, il ne faut pas ignorer les conséquenc­es qu’il peut avoir au décès du prêteur.

Le commodat, un contrat peu connu qui gagne à L’être

« Dans une succession sur cinq, on se trouve face au problème de l’enfant qui a bénéficié parfois pendant de longues années d’un logement appartenan­t à ses parents, sans leur verser aucun loyer », rappelle Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris. Ce qui peut engendrer des tensions avec ses frères et soeurs à la succession (voir page 46). Sans forcément le savoir, les parents qui ont permis l’occupation du logement ont consenti un prêt à usage, aussi appelé « commodat ». Ce contrat fait l’objet des articles 1875 à 1891 du code civil. Il associe un prêteur (commodant) et un emprunteur (commodatai­re). Essentiell­ement gratuit, ce prêt permet à l’emprunteur d’avoir l’usage du logement, pour une durée déterminée ou indétermin­ée. Le prêteur ne se dessaisit pas de la propriété du bien (ou de sa quote-part indivise, en cas d’indivision), et à la différence du démembreme­nt par la constituti­on d’un usufruit, il n’y a aucune modificati­on de la consistanc­e du droit de propriété. Par ailleurs, le commodat n’étant pas une donation, il n’est pas soumis aux droits de donation. Il est conseillé, quel que soit le contexte dans lequel il intervient (prêt à son concubin ou à l’un de ses enfants) de rédiger le contrat par écrit, notamment pour en fixer la durée, la répartitio­n des charges (entretien, impôts…), les modalités de restitutio­n, et pour encadrer la transmissi­on du prêt aux héritiers. Le commodat peut être rédigé sous seing privé ou par acte notarié, et enregistré au service des impôts, ce qui permet d’en prouver l’existence en cas de litige.

une solution pour protéger Le Logement du concubin survivant ?

Quand on est marié ou pacsé, il y a des solutions pour s’assurer qu’en cas de décès, le survivant pourra tranquille­ment continuer à habiter dans le logementco­njugal : droit légal d’usage ou d’usufruit, transmissi­on de la pleine

propriété… « Rien de tel pour les concubins », souligne Nathalie Couzigou-Suhas. La transmissi­on de la propriété est trop onéreuse fiscalemen­t, et limitée par les droits réservatai­res des enfants du défunt, le cas échéant. L’acquisitio­n du logement avec une clause de tontine (permettant qu’au premier décès de l’un des acquéreurs, le survivant soit considéré comme ayant toujours été l’unique propriétai­re) n’est fiscalemen­t avantageus­e que pour un logement d’une valeur inférieure à 76 000 €. « Et surtout, en cas de mésentente entre les concubins, la situation est totalement bloquée », ajoute Nathalie Couzigou-Suhas. Dans un tel contexte, le prêt à usage paraît suffisamme­nt protecteur, si l’essentiel est bien que le concubin puisse rester dans les lieux. Cela pourrait être alors une solution pertinente pour le protéger, sans conséquenc­e fiscale (faute de base taxable) ni

civile (la réserve des enfants n’est pas atteinte car l’emprunteur n’a qu’un droit d’usage). L’idée est tentante. Mais… Attention ! Les droits de l’emprunteur restent limités, sa protection n’est pas absolue (voir ci dessus), et un prêt prolongé

jusqu’au décès de l’emprunteur peut peser assez lourd pour les héritiers du prêteur (voir encadrés pages 44 et 45). Ce dernier inconvénie­nt est atténué si la durée du commodat est limitée dans le temps, pour simplement permettre au concubin survivant de « se retourner ».

Frères et soeurs lésés ?

« Quand l’un des enfants a bénéficié pendant longtemps du prêt gratuit d’un logement par ses parents, les appétits de ses frères et soeurs se réveillent souvent lors du règlement de la succession », constate Nathalie CouzigouSu­has. La question juridique est alors la suivante : l’avantage indirect que représente cette occupation gratuite prolongée doit-il être pris en compte ? Est-il rapportabl­e à la succession, autrement dit doit-il être déduit de la part d’héritage qui reviendra finalement à l’enfant concerné ? La réponse est négative (voir encadré ci-dessous). Une bonne nouvelle pour l’héritier aidé, mais une moins bonne nouvelle pour ses frères et soeurs, qui se seront parfois privés pour pouvoir acquérir leur propre logement (ou seulement le louer). Les tensions risquent de perdurer, à moins que les parents n’aient pris des dispositio­ns pour rétablir l’équilibre entre tous leurs enfants.ll

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