HÉRITER D’UN LOGEMENT LOUÉ
GÉRER, REPRENDRE OU VENDRE ?
Lorsque le bailleur d’un logement loué décède, le contrat de bail n’est pas résilié pour autant. Il continue de s’appliquer, a priori, sans modification. Le seul élément qui change, c’est l’identité du bailleur : celui qui hérite du bien loué prend tout simplement la place du bailleur décédé, le locataire devant en être informé pour savoir à qui régler désormais son loyer et adresser ses demandes. Et s’il y a non pas un seul, mais plusieurs héritiers à se retrouver propriétaires du même bien locatif ? L’indivision qui en résulte ne change pas fondamentalement la situation du locataire, même si vient s’y ajouter, comme c’est très souvent le cas, l’usufruit du conjoint survivant. Toutefois, les décisions concernant la gestion locative, la vente ou la reprise du logement, etc., peuvent être un peu plus compliquées à prendre, du fait de cette dimension collective, que lorsqu’il y a un bailleur unique.
Changement d’interloCuteur
Pour le (s) héritier (s), avant même de décider du sort du bien loué, il y a des démarches concrètes à entreprendre. D’abord, il faut avertir le locataire du décès du bailleur, et lui préciser quel sera désormais son interlocuteur. Ensuite, si le loyer est payé par virement bancaire, même si la banque doit en principe comptabiliser les virements reçus en faveur du défunt après le décès, un changement de RIB s’impose sans trop tarder pour que la somme parvienne désormais au bon destinataire. S’il y a plusieurs héritiers en indivision sur le bien, le mieux est d’ouvrir un compte joint dont ils seront cotitulaires, de manière à ne programmer qu’un seul virement du compte du locataire vers ce compte joint. Rien de plus simple, normalement. « Mais il y a parfois du ‘tangage’, lorsque les héritiers en indivision ne veulent pas d’un compte joint », observe Benoît Morel, notaire à Paris. « Dans ce cas, par exemple s’il y a trois indivisaires, il faut faire trois virements, chacun pour un tiers du loyer, ce qui n’est pas franchement
pratique… ». En présence d’un conjoint survivant usufruitier, c’est lui qui perçoit les loyers, et c’est donc lui qui doit devenir destinataire du virement bancaire lorsque le loyer est payé par virement, ce qui n’est pas obligatoire, mais très fréquent.
REPRENDRE LE BIEN POUR L’HABITER
La « reprise pour habiter » est l’un des cas, prévus par la loi, dans lesquels le bail peut prendre fin à l’initiative du bailleur. Mais attention, le décès de ce dernier n’ouvre pas en lui-même, pour ses héritiers, le droit d’effectuer cette reprise. Celle-ci ne peut intervenir qu’au terme du bail initial ou du bail renouvelé (dans le cadre d’une location non meublée), soit, en pratique, tous les 3 ans. Si le bailleur décède en avril 2018 alors que le bail vient d’être renouvelé en mars, le droit de reprise pour habiter ne pourra pas intervenir avant mars 2021. Le « repreneur » devra respecter un délai de préavis de six mois avant cette échéance, en envoyant son congé au locataire en septembre 2020, par lettre recommandée ou par acte d’huissier. La reprise ne peut bénéficier qu’au nouveau bailleur lui-même, à son conjoint, partenaire pacsé ou concubin (depuis au moins un an), à l’un de ses ascendants ou descendants, ou encore à un ascendant ou descendant de son conjoint, partenaire ou concubin. Le congé doit préciser les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise, la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire, et justifier du caractère réel et sérieux de la décision de reprise. « Si le logement loué est en indivision, entre des frères et soeurs, par exemple, chacun de ces co-indivisaires peut bénéficier de la reprise pour habiter », rappelle Benoît Morel. Il faut donc se mettre d’accord pour décider lequel d’entre eux délivrera le congé. Faute d’accord, il convient de s’adresser au tribunal. En présence d’un conjoint survivant ayant un droit d’usufruit sur le logement, c’est plus simple : seul l’usufruitier peut bénéficier de la reprise pour habiter.
LE REVENDRE OCCUPÉ OU LIBRE
La décision de vendre le logement loué peut prendre deux modalités différentes. Soit une vente « occupé » (le locataire reste dans les lieux et son contrat se poursuit sans modification), sachant que la valeur qui peut en être obtenue subit alors une décote, de l’ordre d’au moins 10 %. Soit une vente « libre d’occupation », et dans ce cas il faut passer par la procédure de la « reprise pour vendre », qui suit à peu près le même formalisme que la reprise pour habiter (voir ci-dessus). Si le nouveau bailleur est un seul et unique héritier qui a la pleine propriété du bien, il prend lui-même la décision de vendre occupé ou libre. Dans ce dernier cas, il doit respecter la procédure du congé pour vendre (6 mois à l’avance), au terme du bail initial ou renouvelé,
Si le logement loué est en indivision, entre des frères et soeurs, par exemple, chacun de ces co-indivisaires peut bénéficier de la reprise pour habiter »
Benoît Morel, notaire
le locataire en place bénéficiant légalement d’un droit de préemption. Si le logement est en indivision, la vente étant un acte de disposition quelle qu’en soit la modalité, l’unanimité des co-indivisaires est en principe nécessaire pour en prendre la décision.
• À noter : il existe une procédure assez complexe permettant aux indivisaires représentant les deux tiers des droits indivis d’obtenir, en cas d’opposition, une vente aux enchères du bien, sur autorisation du tribunal de grande instance.
En pratique, les héritiers restent rarement en indivision très longtemps. Le plus souvent, soit le bien loué est vendu, soit il revient à l’un des héritiers dans le cadre d’un partage. « Dans tous les cas, l’une des questions centrales à régler est celle de la valorisation du bien », souligne Benoît Morel. En fonction de celle-ci, il peut y avoir un impact fiscal, que ce soit au niveau des droits de succession (voir encadré Droits de succession page 38) ou de l’imposition des plus-values immobilières. Si le logement est vendu occupé peu de temps après le décès, il y a moins de chance pour que l’opération génère une plus-value imposable. C’est différent si la vente a lieu libre d’occupation, dans le cadre d’un congé pour vendre.
CONTINUER À LOUER
Tant qu’aucune décision n’est prise concernant le logement loué, le contrat de bail est géré soit « en solo » (héritier unique), soit en collectif (héritiers en indivision). Dans ce dernier cas, il peut être utile de donner un mandat de gestion à l’un des héritiers, pour l’encaissement des loyers, l’établissement de quittances, la régularisation des charges, les demandes du locataire concernant des réparations incombant au bailleur… Cette décision est prise à la majorité des deux tiers des indivisaires. S’il y a un démembrement de propriété (conjoint usufruitier, enfants nus-propriétaires), une convention d’usufruit peut être signée entre les différents protagonistes, pour régler leur mode de gestion du bien (clauses concernant les travaux, la gestion de la copropriété, la vente du bien libre ou occupé). Les nus-propriétaires ne sont pas en contact direct avec le locataire : ils ne perçoivent pas les loyers, et ils ne peuvent ni mettre fin au bail, ni exiger d’occuper le logement lorsqu’il arrive à son terme. Si le logement loué est en copropriété (voir encadré page 38), l’usufruitier et les nus-propriétaires sont représentés par un mandataire commun aux assemblées générales.
EN CAS DE LOCATION MEUBLÉE
Deux points sont à signaler concernant la location meublée, dont le régime fiscal (BIC) diffère de celui de la location nue (revenus fonciers). « En cas de décès du bailleur, l’arrêt d’activité peut être générateur d’imposition », prévient Benoît Morel. « À condition, toutefois, d’atteindre des seuils qui sont élevés ». Par exemple, pour les loueurs professionnels (ce qui ne correspond pas à la situation la plus courante) et concernant les plus-values professionnelles, celles-ci sont totalement exonérées d’impôt si les recettes tirées de la location ne dépassent pas le seuil de 90 000 €.
Par ailleurs, s’il y a un démembrement de propriété : enfants nu-propriétaires et conjoint survivant usufruitier, ce dernier peut continuer à percevoir les loyers en étant imposé à ce titre. En revanche, n’étant plus pleinement propriétaire du bien, il ne peut plus déduire les amortissements correspondants, ce qui fait perdre un attrait fiscal de la location meublée.