PARTAGE DE GAINS PROS EN CAS DE DIVORCE
Vivre et travailler en couple marié, c’est possible quand on a une entreprise ou qu’on exerce en tant que professionnel indépendant. Projet sympathique. Mais un divorce n’étant jamais à exclure, mieux vaut choisir le bon régime matrimonial, avec un statut
Commerçant, artisan, professionnel libéral.., dans le meilleur des cas, tous créent de la valeur en exerçant leur activité. S’ils sont mariés, qu’advient-il en cas de divorce de cette richesse ? En clair, le professionnel garde-t-il pour lui son fonds de commerce, la valeur patrimoniale que représente sa clientèle, son office, son cabinet, ou bien lui faut-il partager avec son conjoint ? La réponse varie selon le régime matrimonial, du plus communautaire au plus séparatiste. Par ailleurs, si le conjoint a travaillé dans l’entreprise, sa situation professionnelle est plus ou moins impactée par le divorce, selon le statut pour lequel il avait opté. En dehors de l’entreprise individuelle, un salarié qui bénéficie de revenus liés à l’épargne professionnelle, de stock-options…, peut aussi se poser la question de leur devenir en cas de divorce. Dans tous les cas, les différents choix (régime matrimonial, statut professionnel) doivent être faits en principe en amont. Avec la possibilité, toutefois, de changer de régime matrimonial en cours de mariage.
LE TITRE, PERSO, LA FINANCE COMMUNE
Comme on peut s’en douter, le régime légal des époux mariés sans contrat ( « communauté réduite aux acquêts ») est par définition le plus favorable au partage de l’enrichissement procuré par l’activité de l’entrepreneur. « Tous les biens créés pendant le mariage par l’un ou par l’autre des époux tombent dans la masse commune, et ont donc vocation à être partagés par moitié quand la communauté est dissoute, suite au divorce », rappelle Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris. Un médecin, un dentiste, un notaire… ont chacun un « titre » pour l’exercice de leur profession. Ce titre leur reste propre, parce qu’il traduit des qualités et compétences spécifiques. Mais ce qu’on appelle la « finance », c’est-à-dire la valeur que représente le droit de présentation du successeur (à la clientèle, pour une profession libérale) fait partie de la communauté (à partager en cas de divorce). Il a été jugé, par exemple, que la valeur d’une officine de pharmacie, ouverte
au public un mois après le mariage, devait être intégrée dans l’actif de la communauté (cass. 1e civ., 4 décembre 2013, n° 12-28076). La distinction entre titre et finance a été appliquée, en dehors des clientèles civiles, à une concession de parc à huîtres, à une licence de taxi… Elle est transposée aux titres de société non négociables (notamment les parts de sociétés de personnes et de SARL) : la qualité d’associé, les droits sociaux qui y sont attachés (le « titre ») et les parts elles-mêmes appartiennent à l’époux qui a réalisé financé ses parts avec des fonds (ou des biens) communs. « Mais, en ce qui concerne la valeur patrimoniale des parts sociales (la ‘finance’, NDLR), elle dépend de la communauté, même si le conjoint a renoncé à la qualité d’associé », précise Nathalie Couzigou-Suhas.
INDEMNISATION PROBLÉMATIQUE
Dans tous les cas, l’indemnisation du conjoint « commun en biens » par le chef d’entreprise ou le professionnel indépendant est l’un des principaux problèmes qui se posent en cas de divorce. La somme à payer peut être importante. Par exemple, un boulanger divorce. L’ordonnance de non-conciliation est rendue en 2008, le divorce prononcé en 2013, et le partage effectué seulement en 2018. Le boulanger doit reverser à son conjoint la moitié des bénéfices de la boulangerie réalisés entre 2008 et 2018. Il peut toutefois bénéficier d’une « indemnité de l’indivisaire gérant » qu’il conserve au titre de son travail. Les banques sont souvent peu enclines à accorder un prêt pour permettre au professionnel d’effectuer le rachat de la part de son conjoint lors d’une séparation. « Cela peut conduire à mettre une entreprise à genoux, jusqu’au dépôt de bilan », témoigne Nathalie Couzigou-Suhas. D’autant que l’époux entrepreneur, attributaire du fonds, à défaut de ce financement, ne peut pas se voir accorder (sauf à l’amiable) des délais de paiement.
Par ailleurs, en pratique, l’évaluation elle-même n’est pas simple : une entreprise peut valoir une certaine somme d’après le bilan comptable, mais il faut tenir compte du fait que la clientèle est attachée à la personne du professionnel…
FIN DE LA COLLABORATION PROFESSIONNELLE
Si l’amour et le travail ne font pas nécessairement bon ménage, c’est encore plus vrai lorsque survient le désamour ! Comment continuer à travailler ensemble alors qu’on décide de se séparer sur le plan conjugal ? Souvent, le divorce entraîne avec lui la rupture de la collaboration professionnelle.
Le code de commerce (article L. 121-4) oblige l’épouse ou le mari du chef d’une entreprise (artisanale, commerciale ou libérale), s’il y exerce de manière régulière une activité professionnelle, à opter pour l’un des trois statuts suivants : conjoint collaborateur, conjoint salarié, conjoint associé. Les critères de choix sont divers (coût financier pour l’entreprise, implication demandée au conjoint, protection sociale souhaitée…). Si le divorce met fin au statut de conjoint collaborateur, il n’a de conséquence ni sur le statut de salarié, ni sur celui d’associé. « Le contrat de travail du conjoint est rompu seulement en suivant une procédure de licenciement, ou en cas de démission », rappelle Nathalie Couzigou-Suhas. « Bien souvent cela se termine aux prud’hommes, car c’est une manière de régler ses comptes en utilisant tous les codes possibles, le code civil comme le code du travail ! ». Quant au conjoint associé, étant rappelé que ce statut n’est possible que si le professionnel exerce en société, c’est encore plus compliqué. Ce sont les clauses du contrat de société qui prédominent, et on risque la paralysie, car on ne peut pas obliger un conjoint à céder ses parts, ni l’autre à les racheter.
SALARIÉS : DES PLANS À PARTAGER !
Il n’y a pas que les indépendants qui se posent des questions sur les conséquences d’un divorce. C’est le cas aussi des salariés quand ils bénéficient notamment de produits d’épargne
liés à leur emploi, de stock options… Le principe, c’est que tous les revenus liés à l’activité professionnelle sont communs, y compris l’épargne salariale (participation, intéressement, etc) comme les revenus de substitution tels que des arrérages de plans de retraite par capitalisation (type contrat Madelin, Perco, etc), des dispositifs qui restent personnels mais dont la valeur de capitalisation doit être prise en compte dans le partage. Seules les indemnités réparant un préjudice personnel restent propres à l’époux concerné. Mais ce n’est pas le cas des indemnités de licenciement, si du moins celui-ci est notifié avant l’ordonnance de non-conciliation ! Quant aux stock-options, les actions acquises sont communes ou propres, selon que la levée des options a lieu pendant la communauté ou après sa dissolution (cass. 1e civ., 9 juillet 2014, n° 13-15948). « Dans ce dernier cas, le conjoint du bénéficiaire peut espérer obtenir une prestation compensatoire plus élevée », précise Nathalie Couzigou-Suhas.
LE CAS DES PARTENAIRES PACSÉS
Le choix d’un statut professionnel (collaborateur, associé ou salarié), pour le partenaire pacsé, se pose dans les mêmes termes que pour un conjoint. Et la rupture du Pacs a les mêmes effets que le divorce. En cas de décès, l’attribution préférentielle de l’entreprise peut bénéficier au partenaire pacsé survivant comme au conjoint survivant (voir ci-dessous). L’un et l’autre sont exonérés de droits de succession, à condition, pour le partenaire, qu’il ait été gratifié par un testament. En revanche, à la différence des époux, le régime matrimonial légal est, sauf option pour l’indivision, celui de la séparation de biens. Donc, lors de la séparation des pacsés (comme des concubins), il n’y a pas lieu à partager les gains présentés plus haut, comme pour un couple marié.