Le pique-assiette de la mode A
LA MODE A SES RENDEZ-VOUS QUE LES PROFESSIONNELS DE LA PROFESSION SE DOIVENT D’HONORER. LES CROISIÈRES À L’AUTRE BOUT DU MONDE, LES FASHION WEEKS, LES RE-SEE, LES PREVIEWS, LES FOIRES D’ART CONTEMPORAIN ET SURTOUT LES PRESS DAYS SONT AUTANT D’OCCASIONS DE CROISER UN DRÔLE DE SPÉCIMEN : LE PIQUE-ASSIETTE. COMMENT LE RECONNAÎTRE ? QUELLES SONT SES HABITUDES ? PORTRAITROBOT DE CELUI QUI EST TOUJOURS LÀ OÙ IL N’EST PAS ATTENDU.
fin de pouvoir écumer toutes les présentations (comptez une cinquantaine les jours de grande affluence), le pique-assiette arrive souvent aux aurores. Dans un souci de rentabilité militaire, il s’assure de faire un maximum de rendez-vous en un minimum de temps. A priori, un geste noble censé honorer la mode et ceux qui la font. Détrompez-vous. Si le pique-assiette arpente les showrooms, ce n’est ni pour la beauté du geste ni pour étoffer sa culture mode. C’est pour accumuler les cadeaux presse distribués par les marques aux invités. Goodies qu’on retrouvera par dizaines dès le lendemain sur ebay. Le pique-assiette a un business parallèle à faire tourner.
Il ne doute de rien À l’entendre, le pique-assiette, qui n’a rien à faire là, travaille sur mille projets dont il ne peut pas encore parler, et se doit d’être là pour se “faire le porteparole du créateur” et “relayer l’information à sa communauté”. La réalité est tout autre. Son nombre de followers dépasse péniblement la centaine, amis et famille inclus, sa dernière contribution à un magazine remonte à l’époque où Gianni Versace était encore vivant, et le dernier mannequin à avoir travaillé à ses côtés a pris sa retraite en 1992 et a ouvert depuis un bar à smoothies à Formentera. Il a vécu les grandes heures que les snapchateurs de moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais personne dans la salle ne peut en attester.
C’est un fin gourmet Les press days, il les écume depuis la nuit des temps (traduction : l’époque où les défilés n’étaient pas diffusés en live stream sur la toile). Du coup, il en connaît parfaitement le déroulé, les itinéraires et les ficelles. Très utile lorsqu’on a besoin de savoir où s’arrêter prendre le meilleur expresso au lait de soja, chez qui déjeuner gluten-free, ou encore dans quelle maison faire un stop pour un dernier apéro millésimé. Si la mode avait son guide Michelin des meilleures tables, il en serait le rédacteur en chef.
Il est passionnant Snobisme et mauvais esprit mis à part, il faut avouer que le pique-assiette est passionnant. Comme on vous l’expliquait, le pique-assiette n’est plus tout jeune, et même s’il n’est plus, il a tout de même été, à une époque plus ou moins lointaine. Ancien directeur artistique, rédacteur en chef mode ou consultante toute-puissante, le piqueassiette est un mine de petites histoires collector, vacheries du milieu survenues pendant les années Palace et anecdotes aussi croustillantes qu’un toast avec gluten. Offrez-lui un verre, faites-le parler, vous ne le regretterez jamais. Mais vous risquez de devoir payer l’addition…