Jalouse

Nocturnal animals

- Par Yal Sadat

POUR SON RETOUR À LA MISE EN SCÈNE, TOM FORD S’OFFRE UN EXERCICE DE STYLE AUSSI FLAMBOYANT QUE LUI, OÙ BEAUTÉ ET VACUITÉ DANSENT MAIN DANS LA MAIN.

l fallait au moins ça pour revenir aux affaires après A Single Man : une sorte de thriller doublé d’une fable glaciale sur Los Angeles, ses spectres superficie­ls qui hantent les vernissage­s d’art contempora­in, et surtout sur la vie conçue comme un long acte manqué. Autant de sujets rebattus? Oui. Mais c’est justement l’ambition de Tom Ford, ici : trouver une nouvelle manière de raconter ce que l’on sait déjà, trouver une façon de commencer là où tout est fini. Car le point de départ hautement postmodern­e du film ne se suffit pas à lui-même. L’héroïne, Susan, une galeriste riche et cocue aux illusions perdues (Amy Adams), reçoit le roman de son ex, Edward (Jake Gyllenhaal), écrivaillo­n qu’elle aima tendrement et auprès de qui elle est subitement tentée de se réfugier. Tout en rêvant à leur passion, elle se plonge dans le livre : Tony, l’alter ego d’edward, se fait agresser avec femme et enfant sur une route aride, par une bande de pécores revenus de Délivrance. S’ensuivent une descente aux enfers et une enquête menée par un shérif cancéreux (Michael Shannon). De ces allers-retours entre la narration et le roman imbriqué en elle, entre les fantasmes d’amy et ses souvenirs réels, Ford tire un doute sur le degré de réalité de chaque scène, et floute la frontière entre les clichés (le polar de gare et ses rednecks de carnaval) et le portrait ordinaire d’une Californie­nne d’aujourd’hui (n’est-elle pas, elle aussi, une chimère échappée d’un médiocre roman noir?). Et surtout, en bâtissant un écrin rutilant, chiadé – la photograph­ie du film est sublime –, il ne fait que plonger les mains plus profond dans le désespoir. À l’image des danseuses obèses qui agitent leur chair triste dans le générique d’ouverture (et qui ont suffi à créer la polémique à Venise), Ford rappelle que les beaux atours du décor ouaté dans lequel les artistes (et les stylistes?) passent leur non-vie n’empêchent pas celle-ci d’être cruellemen­t grotesque et boursouflé­e.

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