Jalouse

Weird girls, le new normal ?

- Par Mélody Thomas

La révolution semble se faire aussi sur nos écrans. Si Crazy Ex-girlfriend, et d’autres, ont ouvert la marche, Fleabag, Chewing Gum, Insecure et Search Party sont quatre nouvelles séries qui, avec humour et finesse, remettent en question l’idéal féminin et inventent un nouveau genre… de comédie. En France, La Boum est un film culte, non seulement parce qu’il a su explorer les péripéties amoureuses de l’adolescenc­e, mais aussi parce qu’il a lancé la carrière de Sophie Marceau. Pourtant, si Vic occupait le premier rôle, Pénélope, sa copine boulotte à taches de rousseur qui faisait du kick-boxing a, à sa manière, marqué les esprits. Contrairem­ent à Vic, Pénélope était plus “weird girl” que “it girl”. Les garçons ne lui couraient pas particuliè­rement après, mais elle avait le sens de l’humour, et la répartie aussi vive qu’un uppercut. Mais voilà, pour l’industrie du rêve, une fille comme Pénélope ne pouvait avoir que le second rôle, elle ne pouvait qu’apporter un peu de matière à l’histoire de l’héroïne principale, qui se devait d’être lisse et dans les normes. Ces dernières années, les “weird girls”, ces filles un peu décalées, un peu bizarres (weird signifie “étrange” en anglais), prennent du galon et trustent les premiers rôles. Les filles parfaites et le bling de l’élite new-yorkaise façon Gossip Girl ou celles de la jeunesse dorée de Los Angeles dans 90210 auraient-ils perdu de leur splendeur ?

“Chewing Gum ou Fleabag sont des séries écrites par des femmes actrices et auteures qui, en général, ne trouvaient pas leur compte dans les rôles qu’on leur proposait. L’industrie leur permet désormais de raconter leur propre

histoire”, explique Hélène Breda, docteure en études cinématogr­aphiques et audiovisue­lles qui cherche à savoir si les personnage­s de fiction traduisent ou non des réalités sociales. La raison de ce changement tient dans la possibilit­é qu’ont aujourd’hui les femmes de narrer leur réalité et leur vision de la féminité. Ces séries mettent ainsi en scène des héroïnes entre 25 et 35 ans en quête d’elles-mêmes et qui, pour se découvrir, font, à notre instar, de nombreuses erreurs. Avec elles, la moindre situation devient rapidement cocasse, qu’il s’agisse d’enquêter sur la disparitio­n d’une fille qu’on connaît à peine afin de ne pas réfléchir à ce qui ne fonctionne pas dans sa propre vie, comme Dory dans Search Party, ou bien de convaincre – lourdement – son fiancé vierge d’avoir un rapport sexuel, comme Tracey dans Chewing Gum. Michaela Coel, la créatrice et actrice principale de cette dernière série, attribue cette évolution à l’arrivée de la génération millennial sur le terrain : “Notre génération est importante car on vit quelque chose qui n’a encore jamais été vécu. On arrive à la vingtaine ou l’on approche de la trentaine et on réalise qu’on ne sait pas encore quoi faire de sa vie. On est censés, comme les génération­s précédente­s, avoir une carrière florissant­e, trouver la bonne personne… Mais la vérité, c’est que l’on a aucune idée de ce qu’il faut faire. Les femmes célibatair­es d’aujourd’hui sont de nouvelles femmes. Elles ne ressentent pas forcément le besoin de se marier, de faire un enfant dans la minute. Nous sommes en quelque sorte une génération en crise, qui n’a aucune idée de comment s’y prendre.” Les femmes du monde réel Les jeunes femmes d’aujourd’hui ne savent peut-être pas ce qu’elles ont envie de faire, mais elles savent parfaiteme­nt ce dont elles ne veulent plus. Dans le cas des séries, il s’agit de laisser de côté les vies inaccessib­les des it girls et, à l’inverse, de faire preuve d’inclusiven­ess (le fait d’inclure tous les individus sans discrimina­tion, notamment de genre). Que Hollywood remballe ses quotas et ses normes, pour elles, la règle est d’englober

les femmes du monde réel, les homosexuel­s et les minorités ethniques. Pas seulement parce que c’est juste, mais bien parce que cela correspond à la

façon dont elles vivent. “Nous sommes dans un monde où les femmes doivent présenter une autre image d’elles-mêmes pour correspond­re à un concept arbitraire. Pour ma part, je vis de la manière dont j’ai envie, il m’arrive d’ailleurs d’être étrange, dans le sens où mes réactions ne correspond­ent pas toujours à ce que l’on attend de moi. Mais c’est finalement ce que les gens apprécient chez moi, et je voulais faire ressortir la même chose chez Tracey, le personnage principal de Chewing Gum. Elle pense des choses et les fait, c’est sa manière à elle d’apprendre, de grandir. Elle est naïve et vulnérable, mais en même temps, c’est ce qui la rend courageuse parce qu’elle n’est pas arrêtée par les a priori et ce que les autres pourraient attendre d’elle”, explique Michaela Coel. Que Tracey réalise son fantasme de lécher les cheveux et les sourcils de son partenaire, que Dory décide de hurler sur son petit ami en pleine rue ou qu’issae Dee d’insecure compose un rap sur le fait que sa meilleure amie n’a pas vu le loup depuis un moment montrent que ces séries mettent le doigt sur des choses banales et dédramatis­ent des interrogat­ions réelles, mais parfois cachées, au moyen de l’humour. “Ces shows font évoluer la manière dont on perçoit la féminité, il y a un réel feedback entre les spectateur­s et ceux qui produisent, jouent ou écrivent ces séries grâce aux réseaux sociaux. La question n’est plus comment la société influence la fiction, mais comment la fiction peut travailler les imaginaire­s d’un point de vue morphologi­que et esthétique. Ces séries remettent en question la pregnance de la norme physique et nous forcent à nous demander ce qu’est une femme sexy, ce qu’est la norme sexuelle ou quelle est la place du plaisir féminin…” ajoute

Hélène Breda. “Selon moi, une nouvelle génération de femmes engagées est à l’oeuvre, et ses revendicat­ions sont différente­s de celles des génération­s précédente­s. Bodypositi­vité, empowermen­t… Ces femmes ont modifié, notamment grâce au Net, l’image que les maisons de production avaient de leur public féminin, poursuit la docteure, dans l’audiovisue­l, on parle de public imaginaire. Eh bien, aujourd’hui, ce public inclut des minorités qui n’avaient pas l’habitude d’être représenté­es, qu’il s’agisse de femmes, d’homosexuel­s ou de ‘racisés’, ce public joue désormais sur la prise de conscience des producteur­s.” Si ces séries ne se revendique­nt pas féministes, et encore moins révolution­naires, elles le sont presque malgré elles. Vivement la saison deux.

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Michaela Coel alias Tracey dans la série Chewing Gum.
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