Jalouse

Zoe Kazan.

- Par Violaine Schütz

À 33 ans, la petite-fille d’elia Kazan, figure discrète mais incontourn­able du cinéma indé américain, sera cette année à l’affiche de The Big Sick, produit par Judd Apatow. Elle écrit aussi pièces de théâtre et scénarios, comme celui de Wildlife, film à venir avec Jake Gyllenhaal et Carey Mulligan. Bien née, elle a grandi à Los Angeles dans une famille qui ne vit et ne respire que pour le cinéma. Ses parents, les scénariste­s américains Nicholas Kazan (Patty Hearst, Matilda) et Robin Swicord (Mémoires d’une geisha, L’étrange Histoire de Benjamin Button) passaient leur temps à écrire quand leur fille était enfant. Elle a vu son premier Charlie Chaplin à l’âge de 2 ans. Sa petite soeur, Maya Kazan (vue dans Frances Ha), joue elle aussi la comédie. Mais surtout, son grand-père s’appelle Elia Kazan…

Un patronyme légendaire. Zoe s’est construite en idolâtrant son cultissime aïeul, disparu en 2003. Et il y a de quoi. Génie oscarisé, ce fils d’un marchand de tapis grec émigré aux États-unis a réalisé des chefs-d’oeuvre, parmi lesquels : Un tramway

nommé Désir (1951), Viva Zapata (1952) et À l’est d’éden (1955). Mais l’époux de la fascinante Barbara Loden (réalisatri­ce de Wanda) était aussi une figure controvers­ée. Membre du parti communiste dans les années 30, il participer­a ensuite à la chasse aux sorcières de Maccarthy en dénonçant ses amis du cinéma de gauche. Le réalisateu­r regrettera plus tard amèrement cet acte, faisant allusion à sa trahison dans Sur les quais (1954) avec une scène fortement symbolique où Marlon Brando suit un long chemin de croix pour expier ses fautes. Un héritage à la fois inspirant et lourd à porter pour Zoe.

Broadway, télé, ciné. Enfant de la balle, donc, la jeune fille a été éduquée pour suivre dignement la lignée. Inscrite dans des écoles huppées de Los Angeles, elle est ensuite admise à Yale, dont elle sort diplômée de la filière théâtre en 2005. Très vite, son réseau lui permet de décrocher des rôles dans des pièces offbroadwa­y puis Broadway officiel. Elle est dirigée, entre autres, par Ethan Hawke, et monte sur les planches avec Christophe­r Walken, Kristin Scott Thomas et Peter Sarsgaard. Ses performanc­es sont saluées par la critique. Derrière son visage de petite souris espiègle aux grands yeux clairs, ses airs cartoonesq­ues et sa frêle silhouette, elle possède une présence attachante. Au cinéma, son physique mutin et son jeu toujours juste font mouche. On la remarque dans The Savages (2007) aux côtés de Philip Seymour Hoffman, dans Les Noces rebelles (2007) de Sam Mendes, avec Kate Winslet et Leonardo Dicaprio, dans Les Vies privées de Pippa Lee, aux côtés de Blake Lively et Winona Ryder, ou encore dans Pas si simple de Nancy Meyers, dans lequel elle joue avec Meryl Streep. S’il y a bien un terrain sur lequel elle ne joue pas – ou peu, elle a tout de même 70k followers (pour 96 publicatio­ns) sur Instagram et presque autant sur Twitter, où elle est plus active –, c’est celui des acteurs influenceu­rs et de la surexposit­ion sur les réseaux sociaux.

Prochaine héroïne de Lena Dunham. Son côté désuet, un peu décalé, donne de la poésie et de la fantaisie aux comédies romantique­s indé du grand comme du petit écran. Zoe apparaît ainsi dans l’excellente série Bored to Death D’HBO, où elle incarne Nina, le “love interest” de Jason Schwartzma­n. Pour HBO encore, elle tourne dans The Deuce (2016), avec James Franco et Maggie Gyllenhaal. Réalisée par le créateur de The Wire, la série nous plonge dans l’industrie porno new-yorkaise des années 70 et 80. Consécrati­on dans le monde des séries indé : Lena Dunham a récemment choisi Zoe pour le premier rôle de Max, son nouveau bébé TV (très) attendu pour l’automne 2017. Elle y joue Maxine, une ambitieuse auteure évoluant dans la deuxième vague féministe au début des années 60. Comme Zoe, Lena a grandi dans un milieu arty avec des parents peintre et photograph­e, et pour les deux trentenair­es la créativité s’impose comme mode de vie. Un penchant néohipster que Zoe n’est pas près d’entacher avec un blocksbust­er puisqu’en juillet prochain on la verra dans The Big Sick, nouvelle comédie produite par Judd Apatow et présentée à Sundance. Mais si la comédienne est souvent embauchée pour jouer les intellos, beaucoup de rôles lui échappent car on ne la trouve pas assez jolie et lookée selon les canons hollywoodi­ens...

Écriture automatiqu­e. Heureuseme­nt, comme son grand-père, qui était aussi auteur et qui a tenu son journal jusqu’à sa mort, Zoe n’attend pas sagement qu’on l’appelle pour tourner, elle écrit elle-même pièces et scénarios. À Yale déjà, elle imagina une “dramédie” racontant une relation tendue entre un père et ses enfants. Autobiogra­phique ? Peut-être… Ce qui est sûr, c’est que l’une de ses pièces les plus réussies, Trudy and Max in Love, une histoire d’amour arrivant en même temps que l’âge adulte de ses protagonis­tes, a été publiée il y a quelques mois (chez Dramatists Play Service). Mais son coup de maître reste le scénario d’elle s’appelle Ruby (2012), une comédie romantique onirique, DIY et génération­nelle, signée par les créateurs de

Little Miss Sunshine, dans lequel Zoe, en plus d’écrire, joue auprès de son amoureux, l’acteur Paul Dano (vu dans Youth et Prisoners). L’histoire est celle d’un écrivain solitaire qui invente la créature de ses rêves sur papier et la voit prendre vie. Fan de cinéma français, mais aussi de Woody Allen, Stephen King, Fitzgerald ou Nabokov, Zoe voulait prendre le contre-pied des personnage­s de fiction féminins de ces dernières années et avait envie d’une héroïne passionnée. Pari réussi.

Indé ? Pas dans son couple. Le film Elle s’appelle Ruby marque aussi les esprits par l’alchimie qui unit la comédienne à Paul Dano. Quelque part entre Harmony Korine et Chloë Sevigny ou R-patz et Kristen Stewart, Dano et Kazan incarnent le it couple indie par excellence. Si à Hollywood beaucoup de romances ne tiennent pas le coup, celle de Zoe et Paul épate. Depuis 2007, les deux jeunes esprits créatifs s’aiment et travaillen­t ensemble. Zoe a d’ailleurs coécrit avec Paul le script du film Wildlife (à venir en 2017), réalisé par ce dernier ; sans doute entre deux matcha latte et un concert des Black Angels. Les amoureux vivent en effet entre Brooklyn et Manhattan. Mais loin d’être une branchée édulcorée, Zoe s’engage sur Twitter contre Trump et confiait récemment au New York Times les aléas de son combat difficile contre l’anorexie et la dépression, et les traumatism­es d’une histoire d’amour ancienne. Elle racontait alors avoir mis des années avant de pouvoir dire à quelqu’un : “This is me.

I’m not perfect. Can you still love me ?” Qui dirait non ?

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