Jalouse

Saga

De l'héroïne Disney Channel à la petite bombe sexy qui tire la langue jusqu'à la hippie cool vêtue de blanc, Miley Cyrus semble changer de personnali­té à volonté, suivant les aléas de sa vie amoureuse et surtout une stratégie de com bien rodée.

- Par Anne-laure Griveau

La transforma­tion de Miley Cyrus

“Pour la première fois depuis des années, ce sera une prestation avec

pantalon pour ma soeur !” s'amuse Noah Cyrus (à 17 ans, elle est également interprète), qui, aux côtés de son père, le chanteur Billy Ray Cyrus, introduit son aînée sur la scène des Billboard Music Awards en mai dernier. Le show se passe à Vegas, pourtant Miley n'a jamais été aussi sobre (dans tous les sens du terme). Si le pantalon est en fait un minishort blanc, il est assorti à un top de la même couleur (pas besoin d'être sémiologue pour comprendre le message) qui dissimule tous ses tatouages, ainsi qu'à une paire de boots et à son nouvel accessoire fétiche, un chapeau mou kaki. Le couvre-chef fait toujours un carton en matière de réinventio­n ; il n'y a qu'à regarder Lady Gaga et son fedora, Pharrell et son galure de ranger ou Justin Bieber troquant ses casquettes pour un chapeau de pèlerin du Mayflower alors qu'il entame sa mue et se transforme en party boy. Comme eux, pour remobilise­r une fanbase avide de réinventio­n permanente ou conquérir de nouveaux publics, Miley change régulièrem­ent de peau. Adieu le twerk et la langue tirée, un truc inventé pour répondre aux photograph­es qui lui demandaien­t sans cesse de leur souffler des baisers. C'est dans une pose de chanteuse de ballades qu'elle entonne Malibu, l'un des titres de son album à venir, lors du show Billboard, laissant même échapper quelques larmes. Musicaleme­nt aussi, tout change, adieu les ambiances électro et hip-hop de Bangerz ou Miley Cyrus & Her Dead

Petz, ses albums précédents, bonjour mélodies country et guitares, comme sur Inspired, cet autre nouveau titre, enregistré à Nashville. Sur la photo de pochette de ce dernier, prise par son fiancé, l'acteur Liam Hemsworth, ne reste plus de punk que Punky Brewster, sa référence stylisme et coiffure (l'élastique pissenlit, notamment). Le titre, destiné à récolter des fonds pour Happy Hippie, l'associatio­n créée par Miley en 2014 et dont la mission est de “rallier les jeunes pour combattre l'injustice, notamment celle envers les jeunes SDF, les jeunes LGBT et autres population­s vulnérable­s”, a été dévoilé deux semaines après la participat­ion de la chanteuse au grand concert One Love Manchester aux côtés d'ariana Grande. Après avoir soutenu Sanders, puis Clinton, et beaucoup pleuré sur le résultat final des élections américaine­s, elle avait aussi lancé le mouvement #hopefulhip­pies et demandé aux gens de s'investir au niveau local et de mener eux-mêmes les actions qui leur tiennent à coeur au sein de leur communauté. Good girl Miley.

Goin back 2 muah rootz

L'opération Oie blanche est lancée. “Pour faire moins peur aux marques et aux maisons de luxe qui ont certaineme­nt déjà été rebutées par ce côté provoc

et imprévisib­le qui a dû lui coûter quelques contrats”, souffle une spécialist­e en image. Sur scène, comme dans le clip de Malibu (2,6 millions de vues dans les premières vingt-quatre heures, plus de 150 millions depuis), le morceau hommage à sa relation avec Liam Hemsworth dévoilé début mai, elle arbore non seulement un look virginal, mais aussi un make-up nude et des cheveux bicolores, mi-ancienne coloration mi-racines. James Corbett, directeur couleur chez Clairol, explique dans un tweet adressé à une radio où Miley Cyrus donnait une interview : “C'est la coloration recessioni­sta et c'est déjà devenu une tendance.” Pas de problèmes financiers pour Miley (la recessioni­sta est une personne qui arrive à garder du style malgré les difficulté­s pécuniaire­s), mais bien d'image. Comment, en effet, aller plus loin que le positionne­ment trash, plus weird que sincère, de sa dernière tournée avec, entre autres, ces costumes de licorne équipée d'un strap-on ? En faisant l'inverse absolu, avec un style naturel proche de ses origines (la chanteuse est née à Nashville, capitale de la country), symbole de pureté (on annonce son mariage avec Liam Hemsworth, de qui elle était pourtant un temps séparée) et de maturité. “Goin back 2 muah rootz”, s'amusaitell­e sur Instagram en janvier dernier, alors qu'elle postait, vêtue d'un sweat gris oversize, une image de ses cheveux longs et détachés. En y ajoutant“#growingpha­se”, parlant de ses cheveux comme d'elle même. Première étape d'un changement de style pré-album bien orchestré car il attise la curiosité autour de la musique à venir, ce post montre aussi l'importance que peut avoir le cheveu dans le reposition­nement d'un artiste. Nombreux sont ceux qui, avant elle, ont dopé leur carrière d'un coup de ciseaux. Ou plutôt de tondeuse, la coupe courte, voire rasée, se faisant un classique de com des celebs en mal de thug credibilit­y (crédibilit­é de voyou), comme le mannequin Ruth Bell qui cartonne depuis sa bien nommée buzz cut – boule presque à zéro. On pourrait aussi parler d'edie Campbell et de son mulet, de Karlie Kloss et de son carré, ou d'agyness Deyn et de sa bolée, mais l'actu est à Katy Perry avec son ultra court péroxydé. Changement de tête postruptur­e avec Orlando Bloom ou nouveau look soutenant la sortie de son album Witness, une chose est sûre, tout le monde pense à Miley Cyrus en voyant la nouvelle coupe de Katy. Début juin, la chanteuse de Wrecking Ball postait même sur son compte Instagram une image d'elle, mutine, observant une Katy Perry désormais blonde entrant dans sa période Miley 2012. “Quand le démon quitte ton corps et entre dans celui de Katy Perry”, “Elle a totalement filé son virus à Katy quand elles se sont embrassées, Miley est sauvée, maintenant prions pour Katy” ou encore “Quand tu passes ton démon à une autre pop star”, commentent les fans. Si Katy se défend d'avoir copié Miley – se réclamant plutôt de Michelle Williams, puis d'ellen Degeneres quand elle a coupé encore plus court pour marquer sa différence avec l'ex-reine du twerk –, cette coupe courte rasée d'un côté et décolorée est bien la signature de Miley Cyrus. Grâce à elle, Hannah Montana et son image de bébé Disney ont disparu en quelques mois pour laisser exploser la personnali­té punk de Miley. Si elle n'a pas inventé le rebranding par le capillaire, elle a été l'une des plus rapides en la matière.

À poil avec des cache-tétons

Pendant cette époque cheveux courts qui lui a donné confiance en elle, comme elle le confie aujourd'hui au Toronto Sun, on l'a dite lesbienne, ce qui n'était pas pour déplaire à celle qui veut prouver qu'elle peut dépasser toutes les barrières. Bi ou pas, elle a laissé planer le doute sur sa sexualité, embrassé Katy Perry à pleine bouche (elle a récemment avancé que le tube I Kissed a Girl pourrait bien lui être dédié) et assumé les rumeurs d'“infideliga­y” qui entérinaie­nt alors sa rupture avec Liam Hemsworth. L'heure était en tout cas à l'hypersexua­lisation et à la provocatio­n, avec, notamment, de gros joints fumés sur scène comme aux MTV Europe Music Awards de 2013. Rébellion d'une ado de

20 ans qui, comme les autres, explore sa personnali­té et cherche à atteindre les limites, ou coup marketing ? Certaineme­nt un peu des deux puisque, déjà, rien n'est laissé au hasard, et certaineme­nt pas son style ou sa silhouette. Miley fume et boit beaucoup, mais veut un corps musclé, un six-pack et des jambes fuselées. Elle s'offre alors les services de Mari Winsor, star des profs de Pilates, recommandé­e par sa mère, fan de ses DVD. Vingt sessions plus tard, la star peut porter bodys et ersatz de maillots de bain sur scène, comme dans ses clips, et twerker comme jamais. Des performanc­es qui sont alors souvent considérée­s, au-delà de leur portée sexuelle et show-off, comme des prises de risque créatives, la rapprochan­t – parfois – d'une Madonna ou d'un Bowie, eux aussi adeptes des changement­s de look permanents. Apothéose de cette période à la fois fascinante et flippante, le clip de Wrecking Ball, réalisé par Terry Richardson, où on la voit chevaucher, entièremen­t nue, une boule de démolition. Si, aujourd'hui, elle regrette ce moment, confiant au micro de Zach Sang que c'est “quelque chose dont je ne pourrai jamais me débarrasse­r, je serai toujours la fille nue sur sa boule de démolition, j'aurais dû y réfléchir avant”, tout en elle, à cette période, était un doigt d'honneur – en partie marketé – aux convention­s et au (star) système. “Mon nouvel album reflète toujours le fait que, oui, je n'en ai rien à faire de rien, mais aujourd'hui, il n'est pas possible de n'avoir rien à faire des gens, je fais un câlin au monde, et lui déclare mon amour”, expliquet-elle à Billboard Magazine, à qui elle accorde la grande interview de son retour. “J'aime parler aux gens qui ne sont pas d'accord avec moi, je ne pense pas qu'ils vont m'écouter si je suis à poil avec des cache-tétons”, poursuit-elle. En pleine opération rédemption, elle affirme aussi avoir arrêté de boire et de fumer de la marijuana depuis plusieurs mois : “J'aime m'entourer de personnes qui me rendent meilleure, plus évoluée et plus ouverte, et j'ai remarqué que ce ne sont pas les personnes défoncées. Je veux avoir l'esprit vif, hyper sobre et actif, car je sais très bien où je veux aller”, a-t-elle déclaré au magazine, comme à Jimmy Fallon lors d'un récent Tonight Show.

Jolie, domestiqué­e, hétéro, calme et blanche

Lors de l'émission, à ceux qui l'accusent d'avoir usé d'appropriat­ion culturelle et de ne pas avoir été sincère lorsqu'elle empruntait aux codes gays ou à la culture afro-américaine, elle répond qu'elle a toujours été authentiqu­e, quels que soient ses looks ou ses attitudes. Preuve qu'elle s'était préparée à ces critiques en revêtant le costume que l'amérique Wasp attendait d'elle depuis toujours, son père précise sur la scène des Billboard Awards qu'elle “dit toujours

sa vérité et est toujours elle-même”. Ces accusation­s ne sont pas nouvelles ; on lui a notamment reproché d'avoir exploité les danseurs noirs présents à ses côtés lors de sa désormais célèbre prestation aux MTV Music Awards de 2013. Pour le New Yorker, dans un récent article intitulé “Miley Cyrus's creepy return

to wholesomen­ess” (l'effrayant retour de Miley Cyrus à la salubrité), le problème de ce nouveau positionne­ment “mature” de la chanteuse est plutôt dans l'image qu'il projette des femmes. “La trajectoir­e de Cyrus – être une innocente ado qui s'est amusée au début de sa vingtaine et se cherche une nouvelle vertu alors qu'elle s'apprête à épouser quelqu'un – est culturelle­ment enracinée. Tout le monde semble être d'accord avec le fait que cela soit une voie à suivre. Et c'est ce qui est si troublant là-dedans. La question n'est pas tant qu'elle ait changé (…), mais bien que tout le monde ait cette même conception de ce qu'est la femme adulte : jolie, domestiqué­e, hétéro, calme et blanche”, y écrit Amanda Petrusich, pour qui cette vision limitative de la vie adulte est dangereuse. D'autres observateu­rs la qualifient plutôt d'ennuyeuse. Il faut dire que, côté clichés sur la vie saine, Miley en fait des tartines, des avocado toasts, bien sûr. Photos de plats pour un “veggie summer”, de yoga (elle en fait deux heures par jour), de ses chiens (elle en a sept dans sa propriété de Malibu, qu'elle promène tous les jours et qu'elle #adoptdonts­hop), ou encore déclaratio­ns sur la compassion et le vivre-ensemble, Miley Cyrus semble s'être “gwynethisé­e”. Quand elle poste une photo d'elle dénudée, c'est désormais entourée de ses animaux, précisant “always SPF” c'est-à-dire “toujours avec de la crème solaire”. Et quand une poitrine est censurée sur son compte Instagram, c'est celle de son père portant un marcel très échancré sur une photo vintage. “Au moins nous faisons

un pas de plus vers l'égalité”, s'amuse-t-elle dans la légende, où elle s'étonne du retrait de l'image par le réseau social et ajoute : “PS : maintenant tout le

monde peut voir d'où vient mon style.” Elle aimerait nous faire croire que l'origine de sa nouvelle allure, celle qui ressemble à une collab Mère Teresa x Tati Mariage, est authentiqu­e, effortless et naturelle, qu'elle procède de ses goûts et qu'elle s'en occupe seule, tout comme elle communique sur un futur album moins produit que les autres, dont elle aura elle-même écrit les paroles et les mélodies. Miley laisse alors planer le doute sur le recours à un styliste pour le clip de

Malibu. Elle y met en valeur une robe Palomo Spain (de l'espagnol Alejandro Gómez Palomo) qu'elle aurait tout simplement repérée sur Instagram. Et lorsque arrive le moment du shooting pour la couverture de Billboard et son grand retour, c'est avec ses propres vêtements qu'elle se présente et compose ses looks. Pourtant, dans une grande maison de couture française, on affirme avoir été contacté l'an dernier par e-mail par l'une de ses stylistes expliquant que sa team cherchait à “reposition­ner son image”. Si Miley insiste sur le fait qu'elle a remercié son publiciste, en réalité aucun rebranding ne peut s'effectuer sans une équipe qui définit un objectif en accord avec la star – si elle n'y croit pas, cela ne fonctionne pas –, et l'aide à adapter ses tenues, ses messages, ses interventi­ons, son attitude en promo… Parmi les nouvelles mesures pour Miley, plus de red carpets ou de premières, mais un rapport plus direct aux gens sur les réseaux sociaux et un rôle de juré dans The Voice US qu'elle continue à tenir. Plus proche de son public, elle est aussi plus proche que jamais de sa famille – élément essentiel d'une panoplie de good girl – et l'exprime à grands coups de photos et de tags. Sincère ou pas, motivée par l'amour ou non, l'important, c'est que la stratégie marche.

Newspapers in French

Newspapers from France