Jalouse

La fête crêve l'écran

Explosive, joyeuse ou tragique, la fête a aidé le septième art à lutter contre sa mort sans cesse annoncée. Quitte à y laisser quelques plumes et beaucoup de confettis. Revue de détail.

- Par Julien Welter

La bamboche sous son jour le plus avenant, on la célèbre dans Boogie

Nights (1997). Avec dérision et virtuosité, Paul Thomas Anderson met finalement moins en scène l'hédonisme californie­n des 70s et son industrie du porno que le paradis communauta­ire d'alors. Cet éden a beau être artificiel, avec son bellâtre (Mark Wahlberg) au sexe de taille exceptionn­elle, sa starlette qui n'existe qu'en rollers (Heather Graham) et son cinéaste médiocre (Burt Reynolds) qui rêve de faire de l'art avec du cochon, il n'en permet pas moins à tous ces freaks de constituer une famille heureuse, ensemble autour d'une piscine, à condition de ne pas s'échapper vers l'individual­isme des années 1980 et le sida. Bonheur et dérision aussi dans

Hairspray (1988), où John Waters s'amuse à recréer les concours de danse télévisés de l'amérique du début des 60s, pour mieux suggérer, derrière le défilé des teenagers aux têtes aussi vides que leur expression, les prémices explosifs de la contre-culture hippie, de la lutte pour les droits civiques et du LSD. L'émancipati­on est ce qui fait le prix des innombrabl­es comédies américaine­s où lycéens geeks ou beaufs trentenair­es perdent tout contrôle en soirée. Impossible d'être exhaustif, mais retenons Very Bad Trip, de Todd Phillips (2009), pour son art de la transgress­ion mêlé de tendresse, et celui de la surprise (celle de découvrir, après coup, les audaces dont sont capables des protagonis­tes dont l'existence est d'habitude soporifiqu­e). Retenons également

Supergrave, de Greg Motolla (2007), pour sa capacité à sublimer les fantasmes de dépucelage des lycéens losers. La fête par le haut, c'est aussi dans

24 Hour Party People, de Michael Winterbott­om (2002). Sous couvert d'un hommage à la culture club anglaise – du post-punk à l'acid house – et à la figure de Tony Wilson, héros et formidable marchand de tapis troués, le film célèbre surtout la transforma­tion du bassin ouvrier à l'agonie de Manchester en berceau de la rave. Et au milieu de tous ces pétards et verres de bière, un soupçon de réalisme ne fait jamais de mal, comme dans Dazed and Confused (1993), inspiré des souvenirs universita­ires de son auteur, Richard Linklater, durant l'été 1976. Ici, les agapes ne convergent pas vers de grands discours sur les peurs et les espoirs de la jeunesse pour l'avenir, comme chez John Hugues dans

Breakfast Club (1985), mais sur le graal d'une vie d'étudiant, cette année-là : des places pour le concert d'aerosmith.

Tout dézinguer

Ce n'est pas une raison pour oublier que la sauterie au cinéma relève le plus souvent de la surenchère, qui plus est dans l'anarchie. À ce jeu-là, le plus inoubliabl­e est Hrundi Bakshi (Peter Sellers), l'invité surprise de The Party, de Blake Edwards (1968). Implacable­s comme la fatalité en marche, ses gaffes vont tout dézinguer au cours d'une soirée huppée, dans une villa moderniste (on se croirait chez Antonioni ou Tati). Absolument tout : la bêtise, la suffisance, le mauvais goût et l'ennui des invités, représenta­tifs de ce gotha du paraître, voire de l'ordre social, quand les domestique­s bourrés finissent par twister avec les VIP. L'alcool est primordial chez Blake Edwards, qui en a filmé aussi bien l'euphorie que ses conséquenc­es dévastatri­ces. La cocaïne l'est tout autant dans

Le Loup de Wall Street, de Martin Scorsese (2013). Elle prolonge la fête et lui donne son goût amer. D'ailleurs, elle n'a pas d'autre but que la perpétuati­on des signes extérieurs de puissance d'un escroc multimilli­onnaire (Leonardo Dicaprio). Alcool et cocaïne se mêlent dans Spring Breakers, de Harmony Korine (2012). L'effet est ravajeur dans cette version art contempora­in de Projet X, de Nima Nourizadeh (2011), où la vision du fameux rite saisonnier, éthylique et floridien sur des plages bondées de nymphettes rouges comme des homards (Vanessa Hudgens et Selena Gomez) oscille entre paradis et enfer, angoisse et ridicule, recyclage de l'esthétique MTV et câlins surréalist­es dans des jacuzzis remplis de tequila sunrise, en compagnie de James Franco grimé en Scarface hip hop. Gloire à Korine de continuer à chercher ce qu'il y a de poétique et de créatif dans l'univers de ces garçons et filles rose fluo, qui vomissent leur donuts en écoutant Taylor Swift.

Cheval consul

On a connu plus tragique, comme fin de soirée. C'est même un genre à part au cinéma dont le pinacle est le Gatsby de F.S. Fitzgerald (toutes adaptation­s confondues). Ce parvenu mélancoliq­ue qui n'arrive pas à oublier son amour de jeunesse tente de se forger une identité dans une quête de magnificen­ce. Il a besoin d'en faire des tonnes pour exister, mais tout sonne faux dans cet étalage nouveau riche, où la profusion de champagne ne fait pas oublier le vide, la solitude et la mort. Celle-ci guette bien sûr dans Caligula, de Tinto Brass (1979). Cette évocation du règne sanguinair­e de l'empereur romain détraqué (Malcolm Mcdowell), qui nomma son cheval consul, a beau contenir la plus monumental­e des bacchanale­s jamais imprimées sur pellicule (une demi-heure de partouze kitsch sur une galère d'apparat !), sa démesure est surtout une allégorie mégalomane de la funèbre décadence romaine. Un genre qu'entretient le cinéma italien, du Satyricon de Federico Fellini (1969), où la java a des allures de happening éruptif, jusqu'à La Grande Bellezza, de Paolo Sorrentino (2013), et ses farandoles plus contempora­ines, mais tout aussi corrompues. En passant par l'allemagne dans Les Damnés, de Luchino Visconti (1969), avec son orgie d'athlètes aryens. En chemises brunes, perruques et faux cils, ils vomissent autant en raison de la bière munichoise que de l'abus maladif du zoom cher au maestro, avant d'être massacrés par des S.S. sans aucune notion de l'amitié. Une sérieuse opérette nazie. Les macarons couleur framboise et pistache dont raffole la Marieantoi­nette de Sofia Coppola (2006) retournent aussi l'estomac des convives versaillai­s car, au bout, c'est la guillotine. Folles dépenses, ivresse du déballage, coquetteri­es exubérante­s, tocades de privilégié­s et désarroi faste ou rococo personnifi­ent la reine (Kirsten Dunst), tout comme le film qui lui est consacré, et qui rencontra une impopulari­té comparable à celle de la souveraine blonde lors de sa sortie en salles.

Ses rêves sont sa réalité

Il est presque aussi douloureux d'évoquer Les Nuits de la pleine lune, d'éric Rohmer (1984) avec ses soirées en appartemen­t pour jeunes gens modernes. Cette histoire est trop indissocia­ble du destin brisé de son actrice principale, Pascale Ogier. On préférera se souvenir de Sophie Marceau lors de la mythique Boum de Claude Pinoteau (1980), quand elle fredonne Dreams are

my reality. À l'image de Tom Cruise, qui ne saura jamais s'il a vécu ou rêvé sa folle nuit new-yorkaise dans Eyes Wide

Shut (1999), après les révélation­s de sa femme (Nicole Kidman) qui regrette de ne pas l'avoir trompé lorsqu'elle en eut l'occasion. D'ailleurs, qui pourrait croire à l'orgie libertine où il s'incruste, cette partouze dont le rituel est quasi religieux et les motifs propres au carnaval vénitien, sinon ce docteur dont les rêves sont trop grands pour sa vie bien lisse ? À défaut de faire enfin l'amour à son épouse, on lui conseiller­ait plutôt Dazed

and Confused, Spring Breakers ou La Party comme remèdes festifs.

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