Alexandria Ocasio-cortez, nouvelle idole politique des millennials
Elle n’est armée que de sa jeunesse, de son parcours de combattante et de son tempérament de feu. New-yorkaise d’origine portoricaine, fervente défenseuse des droits des plus vulnérables, elle est aussi la plus jeune femme siégeant au Congrès américain. Alexandria Ocasio-cortez va-t-elle devenir la nouvelle idole politique de la génération Z?
Sur Twitter : 3,4 millions de followers, et sur Instagram : 2,7 millions. Non, il ne s’agit pas de la nouvelle fiancée de Justin Bieber, mais de celle que la webosphère surnomme déjà “AOC”, pour Alexandria Ocasio-cortez. Du haut de ses 29 ans, cette jeune femme est la représentante du 14e district de la ville de New York auprès du Congrès américain – la plus jeune à accéder à ce poste dans l’histoire du pays. Une prouesse particulièrement remarquable quand on sait qu’elle est d’origine portoricaine et qu’elle a grandi dans un foyer très modeste du Bronx. “Les femmes comme moi ne sont pas censées se présenter aux élections”, explique celle qui, il y a un an encore, travaillait en tant que serveuse et barmaid pour soutenir financièrement sa mère.
Aujourd’hui, forte d’expériences de travail social local et de militantisme autour des campagnes de Barack Obama puis de Bernie Sanders, elle présente un programme qu’elle décrit comme socialiste démocrate inspiré par certains pays européens : un système scolaire et universitaire gratuit, une sécurité sociale, le droit à des arrêts maladie et grossesse rémunérés. Sans oublier la production d’électricité 100 % green pour l’intégralité des États-unis.
Prête au combat
Si elle s’inscrit dans le sillage de Bernie Sanders, une différence majeure les sépare : Alexandria est une millennial qui possède ses codes de communications, à des années-lumière des politiciens de l’âge de son père contre lesquels elle concourt. Son site, bilingue anglais-espagnol, propose sa propre ligne de merchandising avec des messages politiques… dignes de la marque Supreme. Le plus ? Ils sont fabriqués de façon éthique, “gender-neutral”. Voici le tour de force de la politicienne : consciente du poids des images, elle rend ses idéaux Instagram-friendly.
Sur les réseaux, on la voit se filmant en train de danser dans son bureau (en réaction aux conservateurs qui avaient posté une vidéo d’elle, étudiante, en train de danser, ndlr) ; elle légende ses photos de paroles de chansons de Jennifer Lopez ; distribue des high five et lance des hashtags viraux, à commencer par sa campagne, #Thecouragetochange. Son approche s’apparente au militantisme dit “social media warrior”, à des causes comme #Metoo, #Blacklivesmatter : soit à toute une génération qui a parfaitement compris et digéré les codes d’internet et qui sait aujourd’hui, grâce à eux, créer des réseaux de solidarité.
Elle réinvestit les zones que la politique traditionnelle méprise. En plus de sa stratégie 3.0, elle réfléchit de façon critique à la mode. “Je sais bien que vous allez me parler de ce que je porte, alors j’utilise la mode comme support à messages”, lance-t-elle au Elle américain. Lors du très symbolique discours State of the Union du président Trump, elle arbore un costume monochrome blanc avec trente autres députées démocrates pour manifester leur résistance, puis explique son choix de tenue : “pour honorer les femmes qui ont ouvert la voie, et pour toutes celles qui continueront le combat”. Elle s’inscrit ainsi dans une tradition datant des suffragettes, perpétuée par Shirley Chisholm, première femme afro-américaine à avoir été élue au congrès, en 1968.
L’autre Amérique
Alors qu’un “troll orange aux yeux bleus”, symbole de privilège et d’ignorance est à la tête de son pays, la simple présence D’AOC raconte une toute autre histoire américaine : féminine, latina, de classe ouvrière. Alexandria prouve à elle seule que la motivation peut encore être un moteur. Pour citer la chercheuse Kimberlé Crenshaw, le combat d’alexandria est intersectionnel : il dénonce les plafonds de verre, racistes, sexistes et de classes, qui s’entrecroisent, un système d’exclusion ancré dans l’amérique capitaliste.
Dans sa vidéo de campagne devenue virale, elle déclare : “Qu’est-ce que New York a fait pour nous ? Je viens du Bronx et j’ai grandi sachant que mon code postal déterminerait mon futur. Rallions-nous autour d’un New York que les véritables New-yorkais, ceux qui y travaillent, peuvent s’approprier.” Dans sa bouche, l’“autre” invisible devient “Nous”. Elle fédère, rassemble de multiples groupes minorés en une force et un système de valeurs, pour un contre-pouvoir potentiel.
Sa stratégie ? Rappeler le clivage qui survient quand un politicien est trop privilégié pour comprendre les gens qu’ils gouvernent. “Je veux un New York tourné vers les gens et non vers l’argent, qui ne soit pas géré par un gouverneur qui ne boit pas notre eau et n’envoie pas ses enfants dans nos écoles.” Pour la journaliste politique Mariana Viera, Alexandria Ocasio-cortez “appartient à une génération dont la sécurité sociale, la stabilité financière et la vie privée ont été compromises au nom de l’avidité et de l’excès. Alors, elle n’adhère pas au système ou à la culture dominante dont elle victime”. Ce qui lui vaut des critiques et du trolling des conservateurs : on moque la maison modeste dans laquelle elle a grandit, sa précarité, ses vêtements. À ses attaques, souvent sur Twitter, elle répond coup pour coup, en laissant ses adversaires humiliés.
L’humain au centre
Autre force ? En plus d’une communication maîtrisée et d’un programme construit, elle remet l’humain et l’action concrète au centre. Elle n’hésite pas à aller sur le terrain, se rend personnellement à la frontière mexicaine pour confronter les officiers gardant un centre de détention pour enfants. “Alexandria démontre de quoi sont capables les politiques à implantation locale progressistes”, dit Bernie Sanders qui la félicite pour son succès.
Face à un système politique monolithique et pyramidal, AOC a une vision hybride et horizontale propre à sa génération : du local combiné à du global, du politique qui passe par l’intime et le digital, et des convictions qui la prennent aux tripes. Et son feu est une bouffée d’air frais dans un pays inquiet voire terrifié. Face aux peurs dystopiques, elle propose une contre-narration quasi spirituelle. “Je sens une véritable connexion avec Martin Luther King, avec le concept d’un univers moral, l’idée que l’on puisse opérer au sein d’un encadrement éthique pour un véritable changement. J’ai grandi dans un environnement multiculturel et j’ai pu constater une tendance humaine commune à tendre vers un équilibre et une justice… Il y a une croyance au coeur de toutes ces croyances.” Amen.